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Démocratie américaine : pour qui sonne le glas ?

Politiste

Autrefois modèle, la démocratie libérale américaine traverse une grave crise. Symptôme le plus évident de cet égarement : l’attitude paradoxale d’une tranche peu favorisée de la population qui, contre son propre intérêt, apporte son soutien aux ploutocrates au pouvoir. Comment l’expliquer ?

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La démocratie américaine se présente aujourd’hui sous un jour sombre. L’observateur français, habitué depuis Tocqueville à scruter dans ce « laboratoire conceptuel de la démocratie » (François Furet) les aventures de la liberté aux temps de l’égalité, en tire souvent prétexte à gloser sur la culture démocratique américaine. Pour autant que l’on puisse échapper à ce tropisme intellectuel, je propose ici de donner la parole à quelques Américains, dont la réflexion ou l’action politiques sont le métier. À travers une sélection libre d’ouvrages récents et de débats publics organisés au Ash Center for Democratic Governance and Innovation de Harvard émerge un regard éclairant et sans illusions des intellectuels et des praticiens sur eux-mêmes. Sous la direction du politiste Archon Fung, le centre offre une vue imprenable sur la démocratie américaine. Modèle longtemps hégémonique quoique contesté, « leur » démocratie a bien changé depuis Tocqueville et l’élection de Donald Trump, et ils n’en finissent plus d’exhiber ses plaies, dont certaines pourraient bien être mortelles. La crise de la conscience démocratique libérale américaine est avancée.

Nous autres démocrates libéraux savons maintenant
que nous sommes mortels

Ainsi l’un des grands succès de librairie de l’année 2018 est-il How Democracies Die ? (Viking, Crown, 2018), un exercice de politique comparée lancé comme un cri d’alarme dans le chaos de l’année 2017 par Daniel Ziblatt et Steven Levitsky, tous deux politistes à Harvard. Comme avant eux l’historien Timothy Snyder – dans son ouvrage contre Trump On Tyranny (Tim Duggan books, 2017 ; trad. Gallimard) – ils osent dire le nom du mal politique qui menace, et rangent les États-Unis parmi les régimes autoritaires auxquels ils firent si souvent la leçon, mais dont ils partagent désormais les travers.

Ceux-ci sont liés, selon eux, à l’extrême polarisation politique actuelle, qui, jointe aux faiblesses institutionnelles des partis (« weak parties » ;« strong


[1] « Historians shouldn’t be pundits », New York Times, 26 juin 2017

[2] Trump a remporté 41 % des votes à la primaire républicaine dans cet État, battant Ted Cruz.

[3] Termes empruntés à Émile Durkheim.

[4] Sa somme, The Right to Vote (Basic books, 2000, rééd. 2009), fait référence.

[5] Sondage du Pew Research Center, May 8 2018

[6] 52% des électeurs ne voteraient jamais pour quelqu’un accusé de harcèlement sexuel, cf. Barbara Lee Family Foundation, New Research : « Voters, Candidates and # MeToo »

 

Muriel Rouyer

Politiste, Professeure à l'Université de Nantes

Notes

[1] « Historians shouldn’t be pundits », New York Times, 26 juin 2017

[2] Trump a remporté 41 % des votes à la primaire républicaine dans cet État, battant Ted Cruz.

[3] Termes empruntés à Émile Durkheim.

[4] Sa somme, The Right to Vote (Basic books, 2000, rééd. 2009), fait référence.

[5] Sondage du Pew Research Center, May 8 2018

[6] 52% des électeurs ne voteraient jamais pour quelqu’un accusé de harcèlement sexuel, cf. Barbara Lee Family Foundation, New Research : « Voters, Candidates and # MeToo »