Enseignement supérieur

Comment le gouvernement veut trier les étudiants étrangers

Philosophe, Philosophe, Philosophe, Philosophe, Philosophe, Philosophe, Philosophe, Philosophe, Philosophe, Philosophe, Philosophe, Philosophe, Philosophe

Derrière l’annonce par le Premier ministre qu’une augmentation considérable des droits d’inscription pour les étudiants étrangers, il y a d’abord la volonté de procéder à un tri inacceptable, une manière de barrer l’accès aux africains. Il y a ensuite sans doute un premier pas vers la généralisation de tels droits d’inscription prohibitifs.

Dans le cadre des « Rencontres universitaires de la francophonie », le premier ministre a dévoilé lundi 16 novembre un plan baptisé « Bienvenue en France – Choose me », destiné à renforcer la « stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux ». Une telle ambition ne peut que rencontrer notre adhésion : nous travaillons tous les jours, dans des conditions souvent difficiles, à renforcer par tous les moyens possibles cette attractivité. Nous ne pouvons également que souscrire à la nécessité d’imposer au plus vite une simplification de la politique des visas, tant les étudiants étrangers souhaitant venir étudier chez nous se trouvent très souvent confrontés à des complexités administratives opaques, à des délais dissuasifs et à l’arbitraire de décisions incompréhensibles.

Mais ce plan prévoit une mesure, annoncée pudiquement sous l’appellation « frais d’inscription différenciés », qui nous paraît absolument inacceptable : l’augmentation de 170 € à 2800 € des frais d’inscription en Licence, de 243 € à 3800 € en Master et de 380 € à 3800 € en Doctorat pour les étudiants étrangers issus des pays extérieurs à l’Union Européenne. Le gouvernement dit craindre un « décrochage » des universités françaises dans la compétition internationale et entend y remédier avec ces mesures. Le message est clair : c’est son prix qui garantit « l’excellence » d’une formation. C’est cher, donc c’est forcément bon. On ne s’appesantira pas sur le simplisme pervers du « raisonnement ». On s’étonnera à peine qu’une mesure parfaitement discriminatoire à l’égard des étudiants issus des pays francophones d’Afrique et du Maghreb soit annoncée lors de « Rencontres universitaires de la francophonie ». On est habitué désormais au procédé consistant à « vendre » ou « afficher » une mesure sous un nom exactement contraire à son contenu et à son sens réels.

Les deux mesures censées compenser ce projet inique sont des leurres. L’augmentation de 7000 à 15000 du nombre de bourses d’état réservées aux étudiants étrangers provenant majoritairement des pays du Maghreb et d’Afrique n’est pas une proposition sérieuse : seul un étudiant sur sept pourra y prétendre. L’exemption de ces frais pour les étudiants étrangers qui viennent en France dans le cadre d’accords de partenariat entre établissements n’est pas davantage une proposition sérieuse : les accords de ce genre sont très majoritairement conclus avec des universités de pays riches (Canada, USA, Japon) ou émergents (Chine, Russie, etc.), et ils sont très loin de concerner tous les mastériens et doctorants issus de ces pays mêmes.

Ce gouvernement ajoute au néolibéralisme de l’excellence payante le néocolonialisme consistant à ouvrir en Afrique des antennes d’universités françaises.

Le message du gouvernement est en réalité très clair : la France ne veut plus accueillir d’étudiants africains et nord-africains (représentants actuellement 45% des étudiants étrangers en France) ; elle veut à la place attirer les étudiants issus des nouvelles classes moyennes et supérieures des pays émergents (Chine, Inde, Russie). En réalité, ce gouvernement renonce à la francophonie et agit très directement contre elle (les étudiants qu’il veut attirer étant anglophones pour la plupart), il renonce à ce que les universités françaises continuent à jouer un rôle dans la formation de la jeunesse des grandes nations africaines et sud-américaines, il renonce à toute solidarité avec des pays francophones dans lesquels les moyens de la science et de la culture ne peuvent pas toujours être portés à la hauteur des besoins : en lieu et place de cette indispensable solidarité, il ajoute au néolibéralisme de l’excellence payante le néocolonialisme consistant à ouvrir en Afrique des antennes d’universités françaises.

La France entend donc très officiellement opérer un tri parmi les étudiants étrangers. Cette politique est inacceptable politiquement et moralement, et elle est absurde. Comment peut-on croire un instant que rendre l’inscription dans les universités françaises plus chère suffira à y attirer une jeunesse des pays émergents qui parle très majoritairement anglais et qui ne rêve que de campus nord-américains et britanniques ? Cette jeunesse ne rêverait de ces campus que parce qu’ils sont chers ? Pense-t-on attirer des étudiants en commençant par les prendre ouvertement pour des imbéciles ? Si c’est là le véritable enjeu, nos gouvernants font un calcul à très courte vue et, au passage, affichent leur mépris des universités, des étudiants et des universitaires.

En annonçant une telle hausse exponentielle, prohibitive et soudaine, applicable dès la rentrée prochaine, le gouvernement va placer un nombre considérable d’étudiants de toutes origines qui sont venus en confiance étudier chez nous dans une situation impossible : engagés dans un programme d’études sur plusieurs années, ayant planifié les ressources économiques et les sacrifices nécessaires pour le mener à bien, ils se retrouveront du jour au lendemain devant la contrainte de devoir l’interrompre, sans qu’aucune voie de secours leur soit proposée.

On a toutes les raisons de craindre que cette augmentation considérable des frais d’inscription pour les étudiants non-européens ne soit le prélude à une augmentation générale s’appliquant à tous les étudiants.

Ajoutons qu’une augmentation d’une telle proportion des frais d’inscription crée un précédent en totale rupture avec la tradition universitaire française et semble indiquer une modification d’ensemble de son financement, reposant en grande partie sur la contribution des étudiants, et permettant un relatif désengagement de l’état lui-même, qui ne peut que légitimement inquiéter nos étudiants, non seulement parce qu’ils sont solidaires des étudiants étrangers qui partagent leur salle de cours, mais pour l’avenir de leur propre formation. Le gouvernement fait preuve ainsi d’un total manque de prudence politique en touchant à la très délicate question des droits d’inscription universitaire dans le contexte social pourtant déjà bien agité… En effet, on a toutes les raisons de craindre que cette augmentation considérable des frais d’inscription pour les étudiants non-européens (x17 en Licence, x10 en Doctorat !) ne soit le prélude à une augmentation générale s’appliquant à tous les étudiants : on entend déjà l’invocation prochaine de « l’égalité » pour justifier cette future augmentation, au demeurant préconisée pour l’inscription en Master par un rapport de la Cour des comptes commandé par le député LREM du Calvados.

Au lieu de consacrer à la recherche et à l’université un budget qui représente une part du PNB comparable à ce qu’elle est dans les pays équivalents, au lieu de donner aux chercheurs et aux universitaires le temps et les moyens de leur recherche, le gouvernement choisit de faire financer les universités par leurs étudiants étrangers moyennement ou vraiment riches d’abord, français et européens bientôt. Il faut prendre le contre-pied de ces pratiques indignes du nom de politique universitaire, et réaffirmer que ce qui fait l’attractivité d’un système universitaire, indépendamment de la langue qu’on y parle ou du coût de la formation pour ses bénéficiaires, c’est la qualité des enseignements qu’on y délivre et des recherches qu’on y mène : cela suppose que les universités aient les moyens de le faire et les chercheurs le temps de s’y consacrer pleinement.

 

Ce texte est conjointement signé par :

Magali Bessone, Professeure de philosophie à l’université Paris I/Panthéon-Sorbonne
François Calori, Maître de conférences en philosophie à l’université Rennes I
Emanuele Coccia, Maître de conférences en philosophie à l’EHESS, Paris
Elsa Dorlin, Professeure de philosophie à l’université Paris VIII
Franck Fischbach, Professeur de philosophie à l’université de Strasbourg
Arnaud François, Professeur de philosophie à l’université de Poitiers
Jean-Christophe Goddard, Professeur de philosophie à l’université Jean-Jaurès de Toulouse
Yala Kisukidi, Maîtresse de conférences en philosophie à l’université Paris VIII
Jean-Claude Monod, Directeur de recherches en philosophie au CNRS, Archives Husserl-ENS Ulm, Paris
Emmanuel Renault, Professeur de philosophie à l’université Paris-Nanterre
Judith Revel, Professeure de philosophie à l’université Paris-Nanterre
Philippe Sabot, Professeur de philosophie à l’université de Lille
Philippe Saltel, Professeur de philosophie à l’université Grenoble-Alpes


Magali Bessone

Philosophe

François Calori

Philosophe

Emanuele Coccia

Philosophe, Maître de conférences à l'EHESS

Elsa Dorlin

Philosophe

Franck Fischbach

Philosophe

Arnaud François

Philosophe

Jean-Christophe Goddard

Philosophe

Yala Kisukidi

Philosophe

Jean-Claude Monod

Philosophe, Directeur de recherche en philosophie au CNRS

Emmanuel Renault

Philosophe

Judith Revel

Philosophe, Professeure à l'Université Paris Nanterre, membre du laboratoire Sophiapol

Philippe Sabot

Philosophe

Philippe Saltel

Philosophe