Politique

Propos sur le non-discours du président de la République

Juriste

Le président de la République n’a pas diffusé son allocution de clôture du grand débat national. Son contenu, révélé par les médias, montre qu’il était probablement préférable de ne pas s’exprimer plutôt que de parler pour ne rien dire.

L’incendie de la cathédrale Notre-Dame le 15 avril 2019 au soir aura empêché le président de la République de présenter à la Nation ses conclusions personnelles de ce qu’il a appelé le « grand débat national », lequel s’est résumé en pratique en une dizaine de marathons entre le président de la République et divers publics choisis et l’expression de quelque 255 000 contributeurs – chiffre à mettre en rapport avec le nombre des 47 millions d’électeurs – sur la plate-forme internet dédiée.

Dans l’immédiat, malgré l’attente savamment entretenue par le pouvoir sur la « puissance » (Edouard Philippe, le 9 avril 2019 à la tribune de l’Assemblée nationale) des propositions qui allaient être annoncées par le président de la République, on ne saura donc pas comment ce dernier entendait faire en sorte que nous ne reprenions pas « le cours de nos vies », ainsi qu’il s’y était engagé lors de son allocution du 10 décembre 2018.

Celle du 15 avril 2019 ayant été pré-enregistrée, des éléments prêtés à son texte ont circulé dans divers médias qui ont relayé ce que l’on peut appeler un « non-discours », par analogie avec les non-anniversaires célébrés par Lewis Caroll dans Alice au pays des merveilles ou encore avec les « non-papiers » (ou « textes martyrs ») rédigés par les universitaires pour que des observations leur soient portées préalablement à la publication de l’article définitif.

Au fil du quinquennat, on peut non sans quelques raisons être devenu circonspect à l’égard d’un décideur public qui, avant même que le moindre diagnostic soit établi quant à l’étendue des désastres, a assuré au peuple français être en mesure de faire reconstruire la cathédrale de Notre-Dame dans un délai de cinq années, le jour même où la cour administrative d’appel de Paris a annulé sa décision, prise comme ministre de l’économie en 2015, de céder 49,9% des parts de l’aéroport de Toulouse à une société chinoise établie dans des paradis fiscaux.

Mais quand même : le non-discours diffusé par les médias pourrait aussi être une infox. Il est tellement pompeux, creux, amphigourique, redondant et insipide [1] qu’on a peine à penser que le président de la République française aurait pu le prononcer à l’issue de plus de quatre mois de réflexions et d’échanges. Le texte dactylographié mis en ligne sur le site lundimatin.fr est celui d’une personne sans idées, sans perspective autre que la pérennisation de l’existant, sans souffle. Un discours pour discourir. De la « poudre de perlimpinpin ». Aussi, on prendra garde de ne pas en attribuer la paternité au président de la République.

Il s’agit, au fond, de ne surtout rien changer au « cap » actuel tout en se parant de modernité au nom du « progressime » que l’on est censé incarner.

Après un très long dégagement sur l’état de la France (p. 1 à 3), l’auteur du non-discours affirme vouloir appuyer ses annonces sur trois piliers (p. 3 à 4) – « rebâtir un monde plus humain », « retrouver le contrôle (par le peuple) de son avenir » et faire « progresser l’espoir réaliste d’un pays qui retrouve l’optimisme ou au moins la volonté » – qui seraient autant de fondations pour « rebâtir le projet de notre Nation, de notre République » (p. 5). Ces mots, déjà utilisés lors de la campagne présidentielle de 2017 (v. Révolution, p. 179 : « il nous faut le goût de l’avenir », p. 193 : « maîtriser notre destin » ; p. 210 :  « nous avons un nouvel humanisme à penser » ; p. 251 : « retrouver la confiance en nous-mêmes, l’énergie qui nous manque depuis tant d’années ») paraissent être ceux d’un opposant à l’actuel président de la République, tant ils reconnaissent en creux son échec.

Mais la suite du non-discours éclaire sur sa véritable portée et c’est alors que l’on retrouve l’empreinte du résident de l’Elysée : il s’agit, au fond, de ne surtout rien changer au « cap » actuel tout en se parant de modernité au nom du « progressime » que l’on est censé incarner, c’est-à-dire de faire comme pendant le « grand débat national » : poursuivre les réformes néo-libérales (privatisation d’ADP, de la Française des jeux ou d’Engie, de la fonction publique dans son ensemble, affaiblissement de tous les services publics, maintien de l’essentiel de l’opération discriminatoire envers les étudiants étrangers dite « Bienvenue en France »…) auxquels s’ajoute désormais une restriction aux libertés sans précédant depuis la « loi anticasseurs » de 1970, pendant que l’on parle méthode, pédagogie, nécessité d’être à l’écoute…

Les médias ont restitué ce non-discours de manière notariale, parfois en classant ses maigres annonces par thèmes (fiscalité, pouvoir d’achat, institutions, éducation et santé).

Une appréciation de nature subjective peut prendre, comme échelle d’évaluation de la pertinence ou – pour reprendre un terme prisé par le pouvoir – de « l’efficacité » de ce non-discours, l’objectif que le président de la République avait fixé en lançant le « grand débat national » : est-ce que l’une ou l’autre de ces mesures pour l’instant hypothétiques, ou même leur cumul, est de nature à court, moyen ou long terme, à changer « le cours de nos vies » ?

La lecture du non-discours – qui comporte une série de quatorze mesures recouvrant des non-annonces (I), fausses annonces (II) ou annonces inachevées (III) – conduit à répondre par la négative à cette interrogation.

L’installation en mai 2019 d’une « convention de 300 citoyens tirés au sort » sera de nul dès lors que cette instance informelle n’aura aucun pouvoir décisionnel ni compétence obligatoire.

En premier lieu, trois des propositions contenues dans la vraie/fausse allocution sont purement redondantes avec celles qui ont déjà été faites depuis 2017, sans pourtant avoir été mises en œuvre à ce jour. Ces redites sont des non-annonces.

Ainsi, sur le terrain institutionnel, de la réduction du nombre des parlementaires (fausse bonne idée par excellence) et de la proportionnelle pour l’élection des députés, évoquée en ritournelle par le président de la République qui s’était déjà engagé à la mettre en œuvre « dès 2017 » avant même d’être élu. Le principe de la proportionnelle est acquis ; on attend vainement depuis mai 2017 de connaître le pourcentage de députés qui seront ainsi élus, et dans quelle circonscription, et sur ce point l’auteur du non-discours se borne à recycler les banalités habituelles de ceux qui, en définitive, entendent maintenir la situation actuelle où les 577 députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours : « avoir moins d’élus et un scrutin plus juste et significativement plus proportionnel » (p. 6).

Il est tout aussi évident que l’installation en mai 2019 d’une « convention de 300 citoyens tirés au sort » (p. 7) chargés de « travailler sur la transition écologiques et les réformes concrètes à prendre (!) » sera de nul effet sur le fonctionnement institutionnel, dès lors que cette instance informelle n’aura aucun pouvoir décisionnel ni compétence obligatoire.

Dans cette catégorie des pseudo-innovations, figure également celle, extravagante, qui consiste (p. 9) à s’engager à ne plus fermer d’ici à la fin du quinquennat aucun hôpital ni aucune école « sauf demande des maires » (!). Cette annonce d’un statu quo est une antienne, puisque dans Révolution on pouvait déjà lire que « pour les soins, l’organisation concrète de maisons de santé autour des centres hospitaliers existants doit être accélérée, (…) et pour les services publics, il faudra veiller à maintenir partout nos écoles » (p. 162-163), sans alors que la réserve tendant à la demande des maires, seuls compétents au demeurant pour les services publics municipaux, soit alors posée. Ce statu quo est en lui-même insuffisant, à l’heure où les revendications consistent à augmenter le nombre des services publics de proximité.

Les développements relatifs à l’approfondissement de la démocratie débutent par ces mots : « vous avez raison de vouloir davantage participer » ; puis rien de précis n’est proposé en ce sens.

En deuxième lieu, à côté de ces non-annonces, on trouve cinq propositions d’un vague achevé, purement programmatiques, éventuelles, conditionnelles, qui elles non plus ne peuvent, par leur caractère purement hypothétique et imprécis qui vient agglutiner des mots-valises dans des phrases-valises, constituer ces mesures « puissantes» de nature à changer nos vies.

A cet égard, nul ne peut porter sérieusement intérêt au souhait/prétexte émis (p. 10-11) par l’auteur du non-discours faire procéder « dès (!) le début de l’année 2020 » – soit  quand même dans un an, aux deux-tiers du quinquennat –, à une « évaluation objective » des conséquences de la suppression de l’ISF, « sur la base de laquelle je m’engage à apporter toutes les modifications et corrections nécessaires » – sans doute dans le cadre de la future campagne présidentielle pour le prochain quinquennat.  Ce procédé politicien vise à laisser les choses en l’état.

Dans le même sens, le paragraphe consacré à la lutte contre l’optimisation et la fraude fiscale est assez grotesque (p. 10), puisque l’auteur se borne à annoncer qu’il va « confier à la Cour des comptes la mission d’évaluer précisément ces sommes qui échappent à l’impôt et de proposer des mesures précises pour qu’en France chacun respecte les mêmes règles ».

Les développements relatifs à l’approfondissement de la démocratie débutent par ces mots, brossant le lecteur dans le sens du poil : « vous avez raison de vouloir davantage participer » ; puis rien de précis n’est proposé en ce sens. Recyclant l’ersatz de programme de la campagne présidentielle de 2017 du candidat En Marche, l’auteur « souhaite que nous consolidions la place ou le rôle du Parlement, en particulier en matière de contrôle de l’action publique, et de lisibilité de son action » (p. 6). A coup sûr, de telles phrases ne peuvent émaner de la pensée complexe du président de la République, lui qui a tant critiqué le Parlement a l’occasion de l’affaire Benalla, au prétexte de la séparation des pouvoirs, et qui promulgue chaque mois des lois d’une complexité et d’une longueur inouïes.

Après avoir fait part de son hostilité à un référendum d’initiative citoyenne (RIC) national au non de la nécessité de ne pas « affaiblir la démocratie représentative », plaide en faveur de l’assouplissement du référendum d’initiative dite partagée (RIP) – qui est en fait un référendum d’initiative parlementaire puisqu’il faut d’abord que 185 députés ou sénateurs le propose avant que s’y ajoutent les soutiens de 4,7 millions d’électeurs, mais d’une manière tellement vague et inconsistante qu’on a est gêné d’en rapporter les propos : « je suis favorable à ce qu’on puisse le rendre plus accessible, en en simplifiant les règles » (p. 6). On attend de l’auteur de ces banalités – qui est favorable à rendre le RIP plus inaccessible encore ? –, transposables à toute procédure décisionnelle, qu’il soutienne le RIP dont le Conseil constitutionnel est actuellement saisi, tendant  à reconnaître à la société Aéroport de Paris le caractère de service public national non-privatisable au sens du 9ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Dans le même sens, la p. 8 du non-discours est consacrée à l’ouverture « d’un nouvel acte de notre décentralisation » (p. 6), dont on ne connaît ni les tenants, ni les aboutissants, si ce n’est que l’auteur considère qu’il faut « trouver des solutions forcément différentes entre nos territoires d’outre-mer, la Normandie, l’Occitanie et la Corse », ce que permet déjà en partie la Constitution, et qu’il envisage – comme pour l’ISF – de proposer « d’ici à la fin de l’année, d’avoir un nouveau projet de décentralisation et de différenciation », qualifié au cas où on n’aurait pas compris son importance fondamentale de « projet de liberté locale indispensable à notre Nation », ce projet devant, naturellement, « simplifier le millefeuille de notre organisation selon le modèle adapté à chacun ». Perspective formidable, universelle, intemporelle ! Reste que l’auteur du non-discours plagie là encore celui de Révolution, où Emmanuel Macron a écrit : « parce que la France est une et indivisible (l’article 1er de la Constitution prévoit son indivisibilité, et non son caractère unitaire) et en même temps qu’elle est formidablement diverse, nous devons passer d’une logique d’uniformité et d’homogénéité à une logique différenciée et volontariste » (p. 164).

On est encore très loin de la justice fiscale dont l’auteur reconnaît le « besoin », car son tour de passe-passe revient ni plus, ni moins à perpétuer les actuelles injustices fiscales.

Enfin, en troisième lieu, on ne distingue dans le non-discours que six mesures un peu novatrices et moins abstraites que les autres, partant susceptibles en théorie de produire « l’effet blast » de l’après « grand débat national ».

Trois d’entre elles sont de nature fiscale ou sociale. A cet égard, l’annonce de la ré-indexation sur l’inflation des pensions de retraite inférieures à 2 000 euros vise à réparer partiellement une terrible injustice sociale, marqueur du quinquennat Macron, qui a consisté à transvaser 1% de l’argent de millions de retraités des retraités (y compris les pensions supérieurs à 2 000 euros) pour le faire ruisseller par millions d’euros sur les comptes en banque de 1% des plus fortunés, en privant au passage l’ensemble des administrés de la redistribution inhérente à l’ISF. Il est regrettable que l’auteur considère que cette mesure puisse attendre janvier 2020 (p. 15) pour être mise en œuvre, alors qu’elle devrait l’être toutes affaires cessantes.

L’auteur du non-discours fait miroiter des baisses de l’impôt sur le revenu pour les classes moyennes. Toutefois, ces baisses sont conditionnées à «la suppression de certaines niches fiscales, la nécessité de travailler davantage et la réduction de notre dépense publique » (p. 11). On lit bien : l’auteur souhaite que tous travaillent plus pour que certains paient une peu moins d’impôt sur le revenu, et exclut formellement que ces baisses d’impôts très ciblées soient compensées par une augmentation à proportion des « impôts de tels ou tels », ce qui aurait pourtant été logique et peut se faire à temps de travail constant. On est encore très loin de la justice fiscale dont l’auteur reconnaît le « besoin », car son tour de passe-passe revient ni plus, ni moins à perpétuer les actuelles injustices fiscales, les miettes de réduction justifiant un allongement de la durée du travail…

Sur le terrain fiscal toujours, la loi du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales a créé un mécanisme ponctuel (valable jusqu’au 31 mars 2019) et facultatif d’exonération, dans la limite de 1 000 euros, de toutes cotisations et contributions sociales, de l’impôt sur le revenu et d’autres impositions, d’une « prime exceptionnelle de pouvoir d’achat » que les employeurs ont librement décidé de verser aux salariés (cette prime exceptionnelle ne concerne pas les agents publics ou les professions libérales) dont la rémunération est inférieure à trois fois le SMIC. L’effectivité de cette mesure en termes de pouvoir d’achat reste à évaluer, mais paraît douteuse à s’en tenir aux considérations émises par le Conseil d’État [2] ; faisant toutefois preuve d’audace là où il s’était montré très prudent à l’égard du rétablissement de l’ISF, l’auteur du non-discours assure que « la prime exceptionnelle que nous avons créé l’année dernière, sera pérennisée chaque année » (p. 14).

Il faudra cependant s’assurer de la faisabilité de cette pérennisation, car dans son avis précité du 18 décembre 2018 le Conseil d’État n’avait admis la conformité au regard du principe d’égalité de ce dispositif facultatif d’exonération que « compte tenu notamment de son caractère temporaire » : la règle est celle de l’assujettissement des primes et gratifications, qui constituent un élément de la rémunération des salariés, aux cotisations sociales et prélèvements fiscaux ; le risque de la pérennisation de la prime – de la perte de son exceptionnalité – est qu’elle soit utilisée par les employeurs pour remplacer un élément de rémunération auquel les salariés auraient eu droit par ailleurs.

En matière d’éducation, l’auteur du non-discours affirme (p. 12) que « d’ici à la fin du mandat, partout sur le territoire, de la Grande Section de maternelle au CE1, les classes accueilleront au maximum 24 élèves ». Cet objectif peu ambitieux – des pays voisins comptent moins de 20 élèves dans ce type de classes – ne semble pas en lui-même infaisable dès lors que, selon un rapport publié le 3 septembre 2018 par le Centre d’observation de la société, « dans les maternelles publiques, 46 % des classes ont moins de 25 élèves, 48 % vont de 25 à 29 élèves (un nombre déjà élevé), et 5,6 % comptent plus de 30 enfants ». Toutefois, l’actuel président de la République souhaite une diminution de 70 000 fonctionnaires de l’État et de 50 000 fonctionnaires des autres fonctions publiques – parmi eux des enseignants et des personnels para-éducatifs – de sorte que l’on voit mal comment le résultat recherché pourra être atteint en pratique.   

Sur le terrain démocratique, l’auteur du non-discours veut bien de l’expression référendaire, mais pourvu qu’elle soit cantonnée aux collectivités territoriales : « je suis favorable à ce que les RIC puissent être organisés sur certains sujets d’intérêts locaux ». On rappellera pour ne rien négliger que l’actuel président de la République a délibérément violé les résultats de la consultation (positive) réalisée en juin 2016 à propos de la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Mais les modalités de ce RIC local ne sont pas précisées, ce qui rend impossible le commentaire de cet énoncé délibérément vague : pour se prononcer de manière éclairée sur les vertus éventuelles de cette réforme qui nécessite une révision de l’article 72-1 de la Constitution (lequel prévoit un référendum local à l’initiative de l’exécutif de la collectivité territoriale), il aurait été nécessaire d’aller beaucoup plus avant dans le détail de manière à pouvoir vérifier que le futur RIC local ne sera pas aussi astucieusement corseté que l’actuel RIP national..

Restent pour finir les propos – très médiatisés – sur l’ENA, qui représentent le seul véritable intérêt des 18 pages de texte, parce qu’enfin le « dossier ENA », décisif, est mis sur la table des réformes d’ampleur. Dans Révolution, Emmanuel Macron, lui-même ancien élève de l’ENA, a écrit : « je suis favorable à ce que nous maintenions le concours, celui de l’ENA, comme les autres. Car c’est une sélections sur le mérite » (p. 240). Comme président de la République, il a confié l’essentiel du pouvoir exécutif à des énarques issus des quatre « grands corps » – dont le Premier ministre. Il a choisi comme tête de liste pour la campagne des européennes son ancienne ministre Nathalie Loiseau, énarque et ancienne directrice de l’ENA. Aussi, lorsque l’on lit, dans le non-discours du 15 avril 2019 (p. 13), que son auteur « croit en l’élite » mais que « nous en changerons la formation, la sélection, les critères, en supprimant l’ENA et plusieurs autres structures (!) pour en rebâtir l’organisation profonde », on a tendance à penser que le texte du 15 avril 2019 n’est pas de la plume de l’actuel président de la République…

Quoi qu’il en soit, l’annonce « sèche » de la suppression de l’ENA et d’autres structures comparables – mais lesquelles ? – est une fausse bonne idée, a fortiori si elle conduit à fusionner l’ENA et l’École nationale de la magistrature qui sont des écoles devant conduire à l’exercice de deux types de professions (administrateur ou magistrat) totalement distinctes fonctionnellement, puisqu’il faudra nécessairement remplacer cette école par une autre formation que le non-discours n’évoque pas, de sorte qu’il pourrait n’y avoir là qu’un changement cosmétique : une École des Services Publics (ESP) viendrait se substituer à l’ENA, sans pour autant fluidifier la méritocratie républicaine ni rendre impossible la constitution de « castes » technocratiques. L’urgence en matière de lutte contre « l’oligarchisation » de la République consiste à supprimer sinon tout ou partie des trois grands corps de l’État (Conseil d’État, inspection des finances, Cour des comptes), du moins à l’accès direct et à vie à ces corps dès la sortie de l’ENA[3], ainsi que les nominations de complaisance, par le pouvoir politique, dans ces corps, dont le dernier exemple en date est celui de l’ancien préfet de police Michel Delpuech nommé conseiller d’État en service extraordinaire le 10 avril 2019.  

Ce non-discours soulève beaucoup plus de questions qu’il n’apporte de réponses aux attentes d’une partie des français. Il

Le non-discours du 15 avril 2019 n’évoque à aucun moment le vote blanc, la « réforme profonde de l’État », « la question de notre quotidien pour faire face aux changements climatiques » ou encore l’immigration, thèmes que le président de la République avait pourtant jugé nécessaire « d’affronter » dans son discours précité du 10 décembre 2018… Il ne se prononce pas davantage sur d’autres propositions de réforme apparues sporadiquement depuis – le vote obligatoire, l’institution d’un conseiller territorial… – avant d’être effacées par le flot incessant de l’actualité. Il ne permet de résoudre sérieusement aucune des injustices fiscales, sociales, démocratiques et environnementales dénoncées par tout ou partie des « gilets jaunes » et de leurs soutiens. Il ne propose pas non plus la tenue d’un référendum à projets de loi multiples, comme cela avait été envisagé début janvier 2019. Il aurait parfaitement pu être rédigé avant le 10 décembre 2018, tant on ne voit pas en quoi le « grand débat national » a apporté une quelconque valeur ajoutée à son contenu, à moins précisément qu’il ne reflète la vacuité de cet épisode auto-centré sur la personne du président de la République et boudé par 99,5% des électeurs.

Ce non-discours soulève beaucoup plus de questions qu’il n’apporte de réponses aux attentes d’une partie des français. Il fait songer à l’intervention du regretté Raymond Devos sur le plateau de l’émission télévisée Apostrophes en 1985 : « je vais parler pour ne rien dire. Non mais écoutez, je sais, vous vous dites s’il n’a rien à dire il ferait mieux de se taire. Mais c’est trop facile ! C’est trop facile ! Moi quand je n’ai rien à dire, je veux qu’on le sache ! Je veux en faire profiter les autres ». Parler ou écrire pour ne rien dire, telle est la marque de fabrique des « rienologues » [4].

Dans les méandres de cet inventaire à la Prévert d’annonces bidon, brouillonnes, décousues, énigmatiques, délibérément floues, on ne trouve pas le moindre indice de l’avènement du « nouveau projet national » promis à l’aube du « grand débat national ». Pour ces raisons, il faut se réjouir qu’elles ne puissent avec certitude être attribuées au président de la République, et a fortiori que l’Elysée ne les ait pas publiquement diffusées le 15 avril 2019 à 20 heures. Il faudra donc attendre la reprogrammation par le président de la République de l’allocution pour savoir si, comme il est très souhaitable, il y aura ou non un acte II au quinquennat Macron.

 


[1] Passages obligés, qui pourraient être prononcés par n’importe quel président de la République à n’importe quelle époque, sur : la France comme « Nation à part » ; sur la nécessité pour « chacun d’entre nous » de prendre sa part au changement à venir (« il appartient à chacun dans notre rôle de transformer la passion de dire de ces derniers moins en énergie de faire pour notre pays ») ; sur « les mères isolées, si importantes pour nos enfants et pour notre société, (qui) seront mieux protégées et l’État leur garantira les pensions alimentaires dues » ; sur l’impératif de « produire, être forts, conduire un projet agricole, industriel, écologique pour le 21ème siècle » ; sur le fait que « nous allons fixer pour le pays un cap à 2025 et simplifier nos procédures. Les artisans, paysans, entrepreneurs, les salariés, les starts-up y ont leur place. Et c’est maintenant » – maintenant, c’est 2025 ?…

[2] Dans son avis n° 396509 du 18 décembre 2018 sur le projet de loi, le Conseil d’État avait assuré, au sujet de cette exonération de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, que « il ressort des estimations fournies par le Gouvernement que la charge ainsi supportée par l’État au titre de 2018 est minime et ne saurait exiger qu’un projet de loi de finances rectificative soit soumis au Parlement » (para. 13).

[3] Sur la nécessaire réforme de l’ENA, P. Cassia, La République du futur, Libre et solidaire, 2019, p. 348 : « supprimer les trois grands corps de l’État, à tout le moins leur intégration dès la sortie de l’ENA, est le point archimédien de la transformation de notre société ».

[4] « Le manifeste anti-Macron des stratèges de l’Elysée », AOC, 3 avril 2019.

Paul Cassia

Juriste, Professeur de droit public à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Notes

[1] Passages obligés, qui pourraient être prononcés par n’importe quel président de la République à n’importe quelle époque, sur : la France comme « Nation à part » ; sur la nécessité pour « chacun d’entre nous » de prendre sa part au changement à venir (« il appartient à chacun dans notre rôle de transformer la passion de dire de ces derniers moins en énergie de faire pour notre pays ») ; sur « les mères isolées, si importantes pour nos enfants et pour notre société, (qui) seront mieux protégées et l’État leur garantira les pensions alimentaires dues » ; sur l’impératif de « produire, être forts, conduire un projet agricole, industriel, écologique pour le 21ème siècle » ; sur le fait que « nous allons fixer pour le pays un cap à 2025 et simplifier nos procédures. Les artisans, paysans, entrepreneurs, les salariés, les starts-up y ont leur place. Et c’est maintenant » – maintenant, c’est 2025 ?…

[2] Dans son avis n° 396509 du 18 décembre 2018 sur le projet de loi, le Conseil d’État avait assuré, au sujet de cette exonération de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, que « il ressort des estimations fournies par le Gouvernement que la charge ainsi supportée par l’État au titre de 2018 est minime et ne saurait exiger qu’un projet de loi de finances rectificative soit soumis au Parlement » (para. 13).

[3] Sur la nécessaire réforme de l’ENA, P. Cassia, La République du futur, Libre et solidaire, 2019, p. 348 : « supprimer les trois grands corps de l’État, à tout le moins leur intégration dès la sortie de l’ENA, est le point archimédien de la transformation de notre société ».

[4] « Le manifeste anti-Macron des stratèges de l’Elysée », AOC, 3 avril 2019.