Politique

Le manifeste anti-Macron des « stratèges » de l’Élysée

Juriste

Le livre de David Amiel et Ismaël Emelien évoque, en parfait miroir de ce qu’est pour l’heure le quinquennat Macron, les travaux des publicistes que Balzac appelle les « rienologues » : « La page a l’air pleine, elle a l’air de contenir des idées ; mais, quand l’homme instruit y met le nez, il sent l’odeur des caves vides. C’est profond, et il n’y a rien : l’intelligence s’y éteint comme une chandelle dans un caveau sans air ».

Il faut prendre au sérieux l’ouvrage des « stratèges de Macron », ainsi que l’éditeur présente sur le bandeau Le progrès ne tombe pas du ciel, co-écrit par M. David Amiel, ex-conseiller économie du président de la République du 8 mai 2017 au 25 mars 2019, et M. Ismaël Emelien, ex-conseiller spécial du président de la République pendant la même période – et précédemment conseillers au cabinet du ministre de l’Économie Emmanuel Macron de 2014 à 2016.

C’est que, avant leur publication, les 147 pages de texte « utile » de cet ouvrage à la typographie très aérée ont été inspirées, approuvées, lues, relues et corrigées par tout ce qui compte dans le groupuscule de ceux qui nous gouvernent, ainsi qu’en témoignent les trois pages de remerciements (p. 169-171). Et l’ambition de l’ouvrage n’est pas mince : il s’agit rien moins que de définir les principes, les méthodes, les objectifs de ce que les auteurs appellent « progressisme », qui selon eux est incarné par la doctrine et les actions de l’actuel président de la République (voir la quatrième de couverture : « Il y a aussi les progressistes, dont l’élection d’Emmanuel Macron est la plus belle victoire ») et auxquels ils croient habiles de conférer l’exclusivité[1].

Cet ouvrage étant rédigé par deux jeunes hommes ayant pour qualité de ne pas être issus de l’un des grands corps de l’État ni même d’avoir été élèves de l’ENA, d’avoir œuvré pendant au moins quatre années – deux années ou presque à l’Élysée, deux années au ministère de l’Économie sous le quinquennat précédent – au cœur du pouvoir qu’ils viennent de quitter pour – à les entendre – user d’une plus grande liberté de parole, on pouvait espérer un vent de fraîcheur intellectuelle, en contraste avec le parfum des années 1980 désormais mêlé à l’odeur affreusement irritante des gaz lacrymogènes que véhicule le premier tiers du quinquennat Macron.

Alléché par ces perspectives, tout lecteur curieux ayant déboursé 15 euros pour pouvoir enfin découvrir la pensée de deux pe


[1] « Progressiste » est l’un de ces mot-valise qui, en eux-mêmes, n’ont aucune signification particulière (ainsi de « efficacité », « pragmatisme » ou « bon sens »), qu’affectionne le président de la République et son maigre entourage : ils en monopolisent de fait le copyright précisément parce que toute personne peut se revendiquer « progressiste » – nul en revanche n’osera s’afficher « régressiste » – et donc afin de tenter de créer du consensus à leur bénéfice, tout en menant en pratique des politiques réactionnaires et inefficaces. Sur cette technique de communication dangereusement stérilisante pour le débat politique, v. : La République en miettes. L’échec de la start-up Nation, Libre et solidaire, 2019, p. 266 (« Entretenir le flou »).

[2] Ce parallèle m’a particulièrement sauté aux yeux à la lecture d’un ouvrage qui m’a beaucoup marqué. Je veux parler de La Route de la servitude de Friedrich Hayek. Pour Hayek, la concurrence, c’est d’abord une question de liberté. Du consommateur, du producteur et selon lui, du citoyen. Cette concurrence ne se construit pas contre l’État, mais avec lui. « L’État – écrit Hayek – possède un domaine d’activité vaste et incontestable : créer les conditions dans lesquelles la concurrence sera la plus efficace possible, la remplacer là où elle ne peut être efficace ».

Paul Cassia

Juriste, Professeur de droit public à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

Mots-clés

Populisme

Notes

[1] « Progressiste » est l’un de ces mot-valise qui, en eux-mêmes, n’ont aucune signification particulière (ainsi de « efficacité », « pragmatisme » ou « bon sens »), qu’affectionne le président de la République et son maigre entourage : ils en monopolisent de fait le copyright précisément parce que toute personne peut se revendiquer « progressiste » – nul en revanche n’osera s’afficher « régressiste » – et donc afin de tenter de créer du consensus à leur bénéfice, tout en menant en pratique des politiques réactionnaires et inefficaces. Sur cette technique de communication dangereusement stérilisante pour le débat politique, v. : La République en miettes. L’échec de la start-up Nation, Libre et solidaire, 2019, p. 266 (« Entretenir le flou »).

[2] Ce parallèle m’a particulièrement sauté aux yeux à la lecture d’un ouvrage qui m’a beaucoup marqué. Je veux parler de La Route de la servitude de Friedrich Hayek. Pour Hayek, la concurrence, c’est d’abord une question de liberté. Du consommateur, du producteur et selon lui, du citoyen. Cette concurrence ne se construit pas contre l’État, mais avec lui. « L’État – écrit Hayek – possède un domaine d’activité vaste et incontestable : créer les conditions dans lesquelles la concurrence sera la plus efficace possible, la remplacer là où elle ne peut être efficace ».