Le temps des cathédrales et le rythme des réseaux sociaux
Mon premier souvenir de Notre-Dame remonte à l’enfance, sous la forme d’un puzzle de mille pièces représentant la façade ouest de la cathédrale, prise sans doute dans les années 1970 au vu des véhicules circulant sur les quais et des habits des badauds. Il y eut ensuite la découverte de la cathédrale elle-même, l’admiration devant ses beffrois et son chevet, le plaisir de laisser le regard errer sur le kaléidoscope de couleurs des grandes roses, le temps passé à déambuler dans les nefs latérales en découvrant un tableau jusque-là ignoré, l’agréable flânerie sur le parvis un soir d’été. Émotions personnelles, banales, presque convenues, mais aussi reflet des innombrables expériences vécues autour de la cathédrale par tant de personnes qui se croisent sous le regard de Notre-Dame et se reconnaissent, l’espace d’un instant, une identité commune.
Or, le 15 avril au soir, Notre-Dame brûle ! De longues heures durant, l’impensable devient probable : le vaisseau de pierre que l’on pensait éternel, non en raison d’une croyance quelconque, mais par sa simple présence dans le tissu urbain, s’avère brusquement mortel. Le choc est violent, l’émotion immédiate. Sans doute est-ce dans cette émotion qu’il faut chercher les raisons qui amènent, dès les premiers instants du drame, tant de personnes à s’imaginer vétéran des sapeurs-pompiers ou expert en restauration de bâtiments anciens. Le phénomène est exacerbé par les réseaux sociaux, où fausses bonnes idées – l’usage des Canadair suggéré par Donald Trump et une myriade d’internautes sincèrement choqués mais peu au fait des réalités de la lutte contre les incendies –, théories du complot farfelues ou xénophobes et indignations fracassantes se répandent aussi vite que le feu dans la charpente de la malheureuse cathédrale. Certaines prises de positions sont odieuses : des accusations islamophobes formulées par plusieurs représentants de l’extrême-droite aux railleries de quelques représentants d’un syndicat étudiant autref