Société

La Gretaphobie est une jeunophobie

Professeur de Sciences économiques et sociales

Militante à l’initiative d’un soulèvement intergénérationnel et international contre le réchauffement climatique, Greta Thunberg fait en France l’objet d’attaques scandaleuses. Ces réactions offrent l’occasion de prendre toute la mesure de la relation problématique qu’entretiennent nombre de nos concitoyens à l’autonomie de la jeunesse dans un système scolaire encore fortement hiérarchisé.

Certaines réactions à la venue en France de Greta Thunberg ont été très vives et surprenantes. S’il peut y avoir un débat sur la réponse à apporter au dérèglement climatique et la crise écologique, en revanche, les attaques sur l’âge, la personnalité et même le physique de cette jeune femme sont choquantes. Elles sont en tout cas révélatrices d’un certain nombre de travers bien français et, pour l’éducateur que je suis, d’une méfiance à l’égard de la jeunesse. La « Gretaphobie » est surtout une jeunophobie !

On pourrait faire la longue liste des griefs reprochés à cette jeune fille. Pour ma part je souhaiterais me concentrer sur quelques aspects.

Un mot, quand même, sur le fond. On lui fait des reproches contradictoires. Pour certains, elle n’est pas assez radicale et serait une marionnette aux mains d’un capitalisme vert. D’autres en revanche, lui reprochent son extrémisme pessimiste et sa logique culpabilisatrice au nom de l’optimisme de la science qui pourrait résoudre la crise écologique.

La polémique française autour de Greta Thunberg et de sa supposée « manipulation » révèle aussi un travers très français ; le nécessaire esprit critique se transforme en « esprit de critique » où on en vient à douter de tout et on se préoccupe plus du porteur du message que du message lui même. À force de s’intéresser à QUI parle plutôt qu’à ce qui est dit, on se transforme en petits commissaires politiques jugeant de la pureté idéologique et des éventuelles contradictions de celui ou celle qui s’exprime. Elle ne veut pas prendre l’avion ? On va s’intéresser à son entourage pour montrer que ce ne serait qu’hypocrisie. Et en oubliant au passage que ceux qui la critiquent, sont eux aussi emplis de contradictions et ne sont guère parfaits.

Il y a ici refus de la culpabilisation et des donneurs de leçons. En France, on n’aime pas la culpabilisation (surtout quand elle est justifiée ?). Il y a probablement des explications culturelles liées à la sociologie, le rapport à la religion et l’histoire. Or, Greta Thunberg veut nous faire « paniquer » et nous amène à questionner nos pratiques individuelles et pas seulement les grands choix économiques. Et alors ? Cette réflexion n’est-elle pas nécessaire ? Le refus de cette culpabilisation ressentie ne relève-t-elle pas du déni et d’une forme de procrastination collective ?

Une société qui a se méfie de sa jeunesse est une société bien malade.

Je ne reviendrai pas ici sur les remarques indignes concernant le physique de Greta Thunberg dont on moque le visage fermé et enfantin. Certains sont même allés jusqu’à la comparer à Chucky, la poupée d’un film d’horreur ! Eh oui, Greta n’est pas « aimable » au sens où elle serait souriante et avec un visage avenant. Elle a un visage grave car la situation l’est. Et on oublie aussi son autisme ou alors on s’appuie dessus pour suggérer qu’elle serait manipulée.

« Elle ferait mieux d’aller à l’école ». Cette remarque souvent entendue est à lire à plusieurs niveaux.

Tout d’abord, c’est ignorer que l’année de césure est répandue dans de très nombreux pays dont les pays scandinaves. Dans une approche très scolaro-centrée, on suppose aussi qu’on apprendrait uniquement à l’École en oubliant que bon nombre d’apprentissages informels se font autrement. Ne pas aller à l’École pendant un an, ce n’est pas ne rien apprendre.

En France, pays de vieux mâles où le diplôme acquis le plus tôt possible agit comme un titre de noblesse, on aime les parcours rectilignes et sans anicroches. « Tais-toi, soumets-toi et un jour tu auras le droit d’avoir un travail stable et de parler. » Mais pas tout de suite…

« À 16 ans, on n’a pas de pensée propre », a déclaré Michel Onfray à son propos. On a envie de lui demander à partir de quel âge ce serait le cas ? Ou bien de se questionner sur l’autonomie de pensée de bien des adultes. Ou lui renvoyer des exemples de personnes tout aussi jeunes et qui se sont engagées (Guy Môquet, ou Henri Fertet résistants à 16 ans) ou qui étaient des créateurs (Rimbaud, La Boétie…).

Mais derrière toutes ces déclarations, j’ai le sentiment qu’il y a surtout une méfiance voire une peur, à l’égard de la jeunesse. Or, au contraire, celle ci nous donne ici une leçon d’une grande maturité tout comme c’était le cas pour la jeunesse mobilisée aux États-Unis après la tuerie de Parkland.

Je crois que c’est une partie du malheur français que d’avoir cette culture de l’esprit de critique et de cynisme

En tant qu’enseignant, qu’éducateur, qui intervient en lycée, je suis au contact de ces jeunes qui forment leur jugement et leurs opinions et s’éveillent à la démocratie et aux débats. Ce n’est pas simple et l’accès à l’émancipation et à la « pensée propre » qui s’écarte des prénotions et des idées toutes faites est quelquefois laborieux. Mais mon métier suppose une confiance et un optimisme dans la jeunesse et sa capacité d’apprendre et de progresser, et je suis très souvent récompensé de cette confiance. C’est pour cela que le cynisme que je rencontre dans le discours sur l’éducation ou ici dans cette polémique sur cette jeune fille me choque tant il est contraire à mes valeurs.

Je crois que c’est une partie du malheur français que d’avoir cette culture de l’esprit de critique et de cynisme. Ce manque de confiance à l’égard de la jeunesse interroge aussi la manière dont fonctionne le système éducatif.

Combien de fois ai-je été agacé par la manière dont on contestait ou refusait l’expression des jeunes, que ce soit dans les instances de représentation d’un établissement (conseil d’administration ou conseil de classe). Tel élève qui s’exprime en conseil de classe se voit reprocher son manque de sérieux et donc de légitimité à parler. Comme si seuls les bons élèves avaient le droit de parler. Je me souviens aussi, lorsque j’étais référent adulte d’un journal lycéen, que mes collègues venaient me voir pour me dire que les élèves « n’avaient pas le droit de dire ça ». Combien de fois aussi se gausse-t-on de l’engagement des élèves lors des mobilisations qui ne seraient en grève que pour sécher les cours ?

Bien sûr, il ne faut pas généraliser et constater que la « démocratie lycéenne » progresse. Mais ce que je voudrais retenir de cette réflexion partie des critiques à l’égard de Greta Thunberg, c’est qu’une société qui a se méfie de sa jeunesse est une société bien malade… Et en tant qu’enseignant et éducateur militant, mon ambition est de changer la société pour changer l’école mais aussi de changer l’école pour changer la société. Une école plus juste et coopérative et qui écoute la jeunesse et lui permette de s’émanciper. Une école qui permette de penser la complexité nécessaire pour affronter la crise écologique et sociale et se construire une « pensée propre ».


Philippe Watrelot

Professeur de Sciences économiques et sociales, Professeur en temps partagé à l'INSPÉ de Paris

Mots-clés

Climat