Société

École : de minuscules réformes pour de gigantesques défis

Linguiste

Il ne suffit pas de savoir écrire pour accéder à la culture de l’écrit, et donc aux modalités de communication propres aux sphères de pouvoir. C’est ce que montrent les enquêtes sur l’école en France et en Belgique mettant en évidence qu’un tiers des élèves restent bloqués derrière la barrière sociolangagière. Un défi laissé de côté par les récents projets de réforme du système scolaire.

La grève du bac de juin dernier et les réactions qui fusent à l’heure des grandes réformes scolaires en France et en Belgique révèlent un malaise et une colère dont on peut s’inquiéter qu’ils ne soient pas davantage entendus et explorés. Si les réformes proposées récoltent très peu de suffrages auprès des enseignants, c’est qu’elles paraissent dérisoires – voire néfastes – face aux défis auxquels l’école fait face et dont peu de monde semble prendre la mesure.

Sur la scène scolaire, se joue, depuis des décennies, une véritable tragédie dans laquelle les enseignants tentent (avec plus ou moins de moyens et plus ou moins de compétences) de lutter contre la fatalité : chaque année arrivent en septembre des enfants, des adolescents, dont il y a fort à parier que l’origine socioculturelle (et dans une moindre mesure le parcours scolaire antérieur, lui-même souvent lié au contexte socioculturel familial) déterminera grosso modo le sort en juin. Les résultats de la France et de la Belgique aux différentes enquêtes internationales (PISA et PIRLS) témoignent de ce déterminisme tragique : les systèmes éducatifs belge et français sont les champions de l’inégalité sociale en termes d’acquis scolaires à 10 et 15 ans.

Évidemment, peu se résignent à penser qu’il s’agit d’une fatalité, tant les exceptions à la règle viennent éclaircir l’horizon et donner foi en la possibilité de compenser les inégalités de départ. Toutefois, expliquer, démontrer et dénoncer les mécanismes à l’œuvre dans cette spirale inique au long cours, qui absorbe la plupart des enfants issus de milieux populaires, relève aujourd’hui d’une gageure. Le sort des moins nantis n’est d’abord, manifestement, pas la priorité dans un contexte sociopolitique où les acquis sociaux régressent et où les inégalités augmentent. Qui plus est, à la limpidité de certains argumentaires méritocratiques, déployant l’analyse des individus, de leurs compétences et de leurs possibilités d’action sur un très court terme, s’oppose la c


[1] Voir notamment Stéphane Bonnéry, Supports pédagogiques et inégalités scolaires, La Dispute, Paris, 2015 et Anne-Sophie Romainville, Les faces cachées de la langue scolaire. Transmission de la culture écrite et inégalités sociales, La Dispute, coll. L’enjeu scolaire, mai 2019.

[2] Eric A. Havelock (1976) cité par David Olson, L’univers de l’écrit, Retz, Paris, 1998, p. 268.

[3] Sylvia Scribner et Michael Cole, The Psychology of Literacy, Harvard University Press, Cambridge, 1981. Pour un commentaire de cette recherche, voir Jean-Pierre Terrail, Entrer dans l’écrit, La Dispute, Paris, 2013, pp. 108 et suivantes).

Anne-Sophie Romainville

Linguiste, maître-assistante en langue française à la Haute Ecole Galilée de Bruxelles

Notes

[1] Voir notamment Stéphane Bonnéry, Supports pédagogiques et inégalités scolaires, La Dispute, Paris, 2015 et Anne-Sophie Romainville, Les faces cachées de la langue scolaire. Transmission de la culture écrite et inégalités sociales, La Dispute, coll. L’enjeu scolaire, mai 2019.

[2] Eric A. Havelock (1976) cité par David Olson, L’univers de l’écrit, Retz, Paris, 1998, p. 268.

[3] Sylvia Scribner et Michael Cole, The Psychology of Literacy, Harvard University Press, Cambridge, 1981. Pour un commentaire de cette recherche, voir Jean-Pierre Terrail, Entrer dans l’écrit, La Dispute, Paris, 2013, pp. 108 et suivantes).