International

Des sénateurs japonais en situation de handicap ou la démocratie en question

Sociologue, Sociologue politique

En juillet dernier, les électeurs japonais ont, à la surprise générale, désigné comme sénateurs un homme et une femme en situation de handicap lourd. Cette situation inédite offre l’occasion de poser plus largement la question de la prise de parole des « invisibles » dans les démocraties.

Qui parle et au nom de qui ? Cette question traverse de nombreuses démocraties représentatives, ainsi que l’a, par exemple, montré le mouvement des Gilets jaunes en France. Mais bien au-delà, se pose la question de la prise de parole des minorités ou des « invisibles » dans l’espace public. Cet été, au Japon, est née une controverse précisément sur la possibilité même de la parole dans un régime parlementaire. C’est cette histoire singulière dont nous rendons compte ici et qui invite à changer notre regard sur la façon dont nous abordons la représentation et plus encore la délibération politique.

Le 21 juillet 2019, à la surprise générale, les électeurs japonais désignaient comme sénateurs deux candidats peu ordinaires. Il s’agissait d’un homme et d’une femme en situation de handicap, candidats du tout jeune mouvement appelé Reiwa Shinsengumi fondé le 1er avril 2019 et qui les a propulsés en tête de liste. L’intérêt des médias pour ces deux personnes a attiré l’attention sur la situation de handicap dans la société japonaise, qui a depuis peu sa place dans les politiques publiques et la gestion des entreprises.

Le handicap est défini dans l’article de 2 de la loi fondamentale sur le handicap, promulguée en 1970, et modifiée à plusieurs reprises, notamment en 2012, 2013 afin de transposer les apports de la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU signée en 2006[1]. Constitue un handicap « toute limitation importante et continue dans la vie quotidienne et sociale que rencontre une personne en raison d’un empêchement physique, cognitif, sensoriel ou d’obstacles sociaux »[2].

Les deux nouveaux élus sont en situation de handicap lourd. Eiko Kimura est une femme âgée d’une quarantaine d’années et elle est en situation de handicap suite à une paralysie du cerveau qui depuis sa naissance ne lui permet pas de bouger le corps en-dessous du cou. Yasuhiko Funago, né le 4 octobre1957 est atteint d’une maladie neurodégénérative (la sclérose latérale amyo


[1] C’est seulement en 2014 que la Convention internationale est entrée en vigueur au Japon.

[2] Article 2.1 de la Loi fondamentale sur les personnes en situation de handicap (en japonais). L’alinéa 2.1 énonce ce qui constitue un obstacle social : « C’est l’ensemble des objets, des institutions, des coutumes et des idées qui dans la vie quotidienne vont constituer des obstacles au déroulement de la vie quotidienne et sociale pour les personnes en situation de handicap ».

[3] Les deux sénateurs ont répondu à de nombreuses interviews, dont une importante faite par le journaliste Chiku Hagiue de la radio TBS le 14 août 2019 (en japonais). Madame Kimura notamment a maintes fois expliqué pour justifier sa candidature les conditions insatisfaisantes de prise en charge dans les institutions spécialisées, « où l’on n’est pas libre, où l’on est parfois maltraité ».

[4] Cette idée est développée notamment dans Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne , Calmann-Lévy 1961: « En agissant et en parlant les hommes font voir qui ils sont, révèlent activement leurs identités personnelles uniques »

[5] L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a enquêté en 2014 sur les personnes handicapées dans les Parlements nationaux des 28. Seuls 7 Parlements des états membres ont répondu à leur requête. Dans 6 autres, dont la France, l’Agence a trouvé des sources non officielles et dans les 13 autres, aucune donnée n’a été recueillie.

Anne Gonon

Sociologue, Professeure à l'Université Doshisha

Virginie Guiraudon

Sociologue politique, Directrice de recherche au CNRS, Centre d'études européennes

Notes

[1] C’est seulement en 2014 que la Convention internationale est entrée en vigueur au Japon.

[2] Article 2.1 de la Loi fondamentale sur les personnes en situation de handicap (en japonais). L’alinéa 2.1 énonce ce qui constitue un obstacle social : « C’est l’ensemble des objets, des institutions, des coutumes et des idées qui dans la vie quotidienne vont constituer des obstacles au déroulement de la vie quotidienne et sociale pour les personnes en situation de handicap ».

[3] Les deux sénateurs ont répondu à de nombreuses interviews, dont une importante faite par le journaliste Chiku Hagiue de la radio TBS le 14 août 2019 (en japonais). Madame Kimura notamment a maintes fois expliqué pour justifier sa candidature les conditions insatisfaisantes de prise en charge dans les institutions spécialisées, « où l’on n’est pas libre, où l’on est parfois maltraité ».

[4] Cette idée est développée notamment dans Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne , Calmann-Lévy 1961: « En agissant et en parlant les hommes font voir qui ils sont, révèlent activement leurs identités personnelles uniques »

[5] L’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a enquêté en 2014 sur les personnes handicapées dans les Parlements nationaux des 28. Seuls 7 Parlements des états membres ont répondu à leur requête. Dans 6 autres, dont la France, l’Agence a trouvé des sources non officielles et dans les 13 autres, aucune donnée n’a été recueillie.