Être vivant, un appel à multiplier les mondes
Dans ce titre – « être vivant » –, j’ai entendu un genre particulier d’invite, de celle que le philosophe Alfred North Whitehead appelait une proposition. Pour Whitehead, les propositions sont des « appâts pour des sentirs ». L’entendre ainsi, c’est activement relayer ce que ce titre, « être vivant », indique du changement que la situation dans laquelle nous nous trouvons requiert. Il y a quelques années, on se serait sans doute vu proposer : « Le vivant », ou encore « La vie ». Ces titres auraient sans doute convoqué pas mal de savoirs « sur » (ce qu’est la vie, ce qu’elle n’est pas) et de jugements. Ce n’est plus le cas, cette invite fait autre chose.

Les propositions, selon Whitehead, sont rarement des jugements. Ce sont des opérations rusées de capture qui invitent à de nouvelles manières de se mettre en rapport[1]. Si l’appât est bien piège, il est en même temps ce qui détourne, dévie un mouvement, modifie le cours d’un événement, crée de nouveaux sentirs, mobilise ou intensifie des importances. L’appât est un art des effets, et c’est ce qui explique que rarement les propositions soient des jugements. Si, explique Whitehead, on veut comprendre le monologue de Hamlet, « Être ou ne pas être », comme un jugement sur la vérité de ces énoncés, on lui fait immanquablement perdre « le saut imaginatif impliqué dans la proposition ».
Ce que le monologue comme proposition produit, c’est « une intensification des sentirs qu’il appâte », il accroît « l’expérience incarnée dans les sentirs qui y sont attachés », il déploie la puissance des importances. Et c’est bien d’être vivant qu’il est question. Car justement, la question du vivant touche aux importances et au fait de les éprouver – c’est d’ailleurs ainsi que Whitehead proposait de penser le corps vivant, dont les différentes parties sont sensibles aux autres, au sens où elles importent les unes pour les autres. Au sens où elles font « milieu » les unes pour les autres[2].
« Être vivant » comme appât pour des sentirs,