Design

Design pour le temps présent

Directeur de l'École nationale supérieure des arts décoratifs

Le 11 décembre prochain, le ministère de la Culture et le ministère de l’Economie et des Finances organisent conjointement les Assises du design avec l’ambition de « repenser notre politique de soutien au design ». C’est dans un contexte d’urgence et de crise sociale et écologique que le monde du design et ses écoles font aujourd’hui partie des quelques structures sur lesquelles il est impératif de concentrer ce qui reste des capacités publiques d’attention et de soin. Il s’agit alors d’adapter les écoles, berceaux des futurs créateurs, aux grands enjeux d’aujourd’hui, afin qu’ils puissent œuvrer à l’habitabilité du monde de demain.

Le design a le vent en poupe. De la célébration du centenaire du Bauhaus, incluant une série télé produite par Arte (Bauhaus – un temps nouveau), à l’exposition « Le monde nouveau de Charlotte Perriand », présentée actuellement à la Fondation Vuitton, il infuse plus que jamais dans la société et la culture. Il en va de même aux plans de la formation et de l’emploi, si l’on observe la vogue persistante du Design Thinking et du UX Design, ainsi que les multiples programmes qui viennent greffer le design sur l’architecture, l’ingénierie, le business, le service ou encore les politiques publiques.

C’est dans ce contexte, et avec l’ambition de « repenser notre politique de soutien au design », que le ministère de la Culture et le ministère de l’Economie et des Finances organisent conjointement les Assises du design, qui se tiendront le 11 décembre prochain à Bercy. Mais de quoi parle-t-on exactement ici et là ? Qu’en est-il de ce design, dans lequel le « nouveau » des modernes semble préfigurer l’« innovation » de nos contemporains, et qu’on nous présente comme la grande aptitude de notre temps ? Est-ce bien là le design que notre pays et notre époque exigent ?

C’est précisément du côté du Bauhaus qu’on trouvera la meilleure approche du design tel qu’il nous concerne aujourd’hui. Dans un texte prémonitoire de 1947, Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie, l’une des grandes figures du mouvement, l’artiste, pédagogue et théoricien hongrois László Moholy-Nagy, distingue trois aspects qui permettent de dégager tout l’intérêt du design pour notre époque[1].

Le premier, c’est le rapport privilégié à trois composantes majeures de l’esprit de notre temps : la complexité (« il représente une tâche complexe »), la transdisciplinarité (le designer doit avoir « une connaissance maîtrisée de tous les aspects fondamentaux de son domaine d’intervention (arts, sciences, ingénierie, économie, connaissance du marché) ») et la relation (« Faire du design, c’est penser en termes


[1] Repris dans László Moholy-Nagy, Peinture Photographie Film et autres écrits sur la photographie, Folio Essais, 2007, pp. 269-306. Il faut saluer ici le travail de Pierre-Damien Huyghe, à qui il revient d’avoir dégagé tout ce qui, dans la pensée de Moholy, nous regarde expressément.

[2] Vocabulaire européen des philosophies, sous la direction de Barbara Cassin.  Pour la citation de Cicéron : Tusculanes, I, 16, 38. Ce dialogue est décidément d’une actualité inépuisable. C’est en effet dans celui-ci que Cicéron utilise pour la première fois la métaphore de la culture du champ pour parler de la culture de l’esprit. Cf. mon texte « L’Europe et le mystère de la culture », AOC, 13/05/2019, à lire ici

[3] Telle est la définition que Gramsci donne de la crise dans ses Cahiers de prison, tome I, Gallimard, Cahier 3, §34, p. 283 : « La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés »

[4] Voir notamment Anthony Masure, Design et humanités numériques, Edition B42, 2017.

[5] Merci à Stéphane Villard d’avoir le premier attiré mon attention sur ce continent passionnant du design, à propos duquel on peut aussi signaler les travaux récents et stimulants de deux designers et chercheuses, Anne-Lyse Renon et Sandra Rendgen.

Emmanuel Tibloux

Directeur de l'École nationale supérieure des arts décoratifs

Notes

[1] Repris dans László Moholy-Nagy, Peinture Photographie Film et autres écrits sur la photographie, Folio Essais, 2007, pp. 269-306. Il faut saluer ici le travail de Pierre-Damien Huyghe, à qui il revient d’avoir dégagé tout ce qui, dans la pensée de Moholy, nous regarde expressément.

[2] Vocabulaire européen des philosophies, sous la direction de Barbara Cassin.  Pour la citation de Cicéron : Tusculanes, I, 16, 38. Ce dialogue est décidément d’une actualité inépuisable. C’est en effet dans celui-ci que Cicéron utilise pour la première fois la métaphore de la culture du champ pour parler de la culture de l’esprit. Cf. mon texte « L’Europe et le mystère de la culture », AOC, 13/05/2019, à lire ici

[3] Telle est la définition que Gramsci donne de la crise dans ses Cahiers de prison, tome I, Gallimard, Cahier 3, §34, p. 283 : « La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés »

[4] Voir notamment Anthony Masure, Design et humanités numériques, Edition B42, 2017.

[5] Merci à Stéphane Villard d’avoir le premier attiré mon attention sur ce continent passionnant du design, à propos duquel on peut aussi signaler les travaux récents et stimulants de deux designers et chercheuses, Anne-Lyse Renon et Sandra Rendgen.