Société

Le transhumanisme et le désir d’immortalité : l’illusion de l’ego

Juriste

Dans l’histoire la pensée s’est en général représenté la vie comme entièrement redevable de la peur de la mort. Cet élan irrationnel n’est pas exclusivement lié à l’humanisme au nom duquel au contraire, dans certaines législations nationales, le droit de mourir dans la dignité est reconnu. Il est en revanche lié au transhumanisme qui, par-delà son matérialisme évident, n’est rien d’autre qu’une exaltation caricaturale de la philosophie du sujet.

Il est une dimension fondamentale de l’existence qui consiste à définir ainsi la vie : vivre, c’est survivre. C’est repousser toujours davantage l’échéance ultime, inéluctable, celle de la mort. Telle était, au demeurant, la définition de la vie que livrait au XIXème siècle le grand médecin Pierre Jean Georges Cabanis : la vie, c’est tout ce qui lutte contre la mort, et rien de plus. Une mort ajournée selon Schopenhauer. Vivre est une défense, une négation de la mort. Hobbes faisait de l’instinct de conservation et de la peur de la mort les éléments essentiels de son anthropologie pour expliquer le besoin de sécurité que le contrat social est réputé couvrir. Schopenhauer attribuait à ce qu’il appelait le « vouloir-vivre » ou la « volonté », la même fonction que celle que prêtait Bergson à l’élan vital : le principe moteur du monde.

Voilà autant de notions qui ont été forgées dans l’histoire de la pensée pour représenter la vie comme entièrement redevable de la peur de la mort, cette inclination aveugle que la raison devrait pourtant réprimer : comment craindre en effet quelque chose d’inévitable et nécessaire dès lors qu’avoir peur, c’est avoir peur de l’aléa, c’est redouter qu’un événement – qui peut ne pas se produire – se produise ? Justement, en sa qualité de processus naturel, cet élan irrationnel n’est pas exclusivement lié à l’humanisme au nom duquel au contraire, dans certaines législations nationales, le droit de mourir dans la dignité est reconnu. Il est en revanche lié au transhumanisme.

Voilà un courant idéologique qui fait son chemin, depuis quelques années, en annonçant la promesse d’étendre l’espérance de vie au-delà de ce que permet la nature dans les conditions actuelles de la médecine voire, de vaincre la mort et de rendre l’immortalité à portée de la science comme le souhaite l’un de ses plus emblématiques représentants, Raymond Kurzweil. Il est évident qu’un tel projet, promu et nourri financièrement par les industries de pointe de la Silicon Va


 

[1] Péché auquel est davantage exposé le scientifique que le philosophe, ce réductionnisme est le travers de toute forme de scientisme dont le transhumanisme est un remarquable exemple. Schopenhauer insiste : « La science, en effet, ne saurait pénétrer jusqu’à l’essence intime du monde ; jamais elle ne dépasse la simple représentation, et, au fond, elle ne donne que le rapport entre deux représentations » (Le monde, p. 56). D’où la vanité du progrès scientifique et le besoin métaphysique de l’humanité que ne saurait faire disparaître l’avènement du transhumanisme.

[2] « Supposons, écrit Schopenhauer, qu’au milieu de nos réflexions surgisse cette question : « Mais d’où viendront tous ces hommes ? Où sont-ils maintenant ? Où est le vaste sein du néant gros de mondes qui les renferme encore, les générations à venir ? » La vraie réponse, celle qu’il faudrait faire en souriant à une telle demande, ne serait-elle pas celle-ci : et où seraient-elles autre part que là seulement où toujours le réel a été et sera, dans le présent et dans son contenu, par suite en toi, questionneur dupe de l’apparence, et bien semblable, dans cette ignorance de ton être propre, à cette feuille d’arbre qui, jaunie à l’automne et déjà presque tombée, pleure sa disparition, sans vouloir se consoler par la perspective de la verdure nouvelle dont l’arbre se revêtira au printemps, et qui dit en gémissant : Non, ce n’est plus moi ! Ce sont de tout autres feuilles ! – Ô feuille insensée ! Où prétends-tu donc aller ? Et d’où les autres pourraient-elles bien venir ? Où est-il, ce néant, dont tu redoutes le gouffre ? – Reconnais donc ton être propre, ce qui justement en toi a une telle soif d’existence, reconnais-le dans la force intime, mystérieuse, dans la force active de l’arbre, qui, toujours une, toujours la même dans toutes les générations de feuilles, reste à l’abri de la naissance et de la mort » (Le monde, pp. 1221-1222).

Alexandre Viala

Juriste, Professeur de droit public à l'Université de Montpellier

Mots-clés

Nuit des idées

Notes

 

[1] Péché auquel est davantage exposé le scientifique que le philosophe, ce réductionnisme est le travers de toute forme de scientisme dont le transhumanisme est un remarquable exemple. Schopenhauer insiste : « La science, en effet, ne saurait pénétrer jusqu’à l’essence intime du monde ; jamais elle ne dépasse la simple représentation, et, au fond, elle ne donne que le rapport entre deux représentations » (Le monde, p. 56). D’où la vanité du progrès scientifique et le besoin métaphysique de l’humanité que ne saurait faire disparaître l’avènement du transhumanisme.

[2] « Supposons, écrit Schopenhauer, qu’au milieu de nos réflexions surgisse cette question : « Mais d’où viendront tous ces hommes ? Où sont-ils maintenant ? Où est le vaste sein du néant gros de mondes qui les renferme encore, les générations à venir ? » La vraie réponse, celle qu’il faudrait faire en souriant à une telle demande, ne serait-elle pas celle-ci : et où seraient-elles autre part que là seulement où toujours le réel a été et sera, dans le présent et dans son contenu, par suite en toi, questionneur dupe de l’apparence, et bien semblable, dans cette ignorance de ton être propre, à cette feuille d’arbre qui, jaunie à l’automne et déjà presque tombée, pleure sa disparition, sans vouloir se consoler par la perspective de la verdure nouvelle dont l’arbre se revêtira au printemps, et qui dit en gémissant : Non, ce n’est plus moi ! Ce sont de tout autres feuilles ! – Ô feuille insensée ! Où prétends-tu donc aller ? Et d’où les autres pourraient-elles bien venir ? Où est-il, ce néant, dont tu redoutes le gouffre ? – Reconnais donc ton être propre, ce qui justement en toi a une telle soif d’existence, reconnais-le dans la force intime, mystérieuse, dans la force active de l’arbre, qui, toujours une, toujours la même dans toutes les générations de feuilles, reste à l’abri de la naissance et de la mort » (Le monde, pp. 1221-1222).