Éducation

Pour la suppression définitive du brevet des collèges

Professeur d'histoire-géographie

Les épreuves écrites du Diplôme National du brevet auraient dû se tenir cette semaine. Mais, pandémie oblige, toutes les épreuves ont été annulées. L’occasion de s’interroger sur la pertinence d’un tel examen et de saisir pourquoi le brevet est le reflet d’une école qui ne parvient pas à se dépoussiérer de ses habitudes inutiles tout en voulant évoluer.

Les épreuves écrites du Diplôme National du brevet auraient dû avoir lieu en ce début de semaine. Cette période d’enseignement à distance nous a fait prendre conscience encore plus que d’habitude de l’inutilité mais aussi du côté néfaste pour des apprentissages féconds et durables de cet examen. Dans un premier temps, ce constat nous l’avons fait quand, dans l’incertitude, il a fallu continuer à préparer nos élèves de troisième aux épreuves.

Puis dans un second temps, une fois l’annonce bien tardive de leur suppression, avoir pu continuer à enseigner (tant bien que mal) à nos élèves sans nous soucier des épreuves terminales du DNB (Diplôme national du brevet) nous a offert une liberté que nous aimerions retrouver désormais chaque année à cette période. Ancien élève du collège pré-Chevènement, je n’ai pas eu à passer le brevet des collèges et ne pense pas avoir été handicapé par ce manque pour la suite de ma scolarité.

On entend souvent que l’intérêt du brevet est de préparer les élèves aux futurs examens. C’est un peu vite oublier qu’ils sont régulièrement mis en situation de « composer sur table » à chaque devoir surveillé. Et quand bien même, l’argument est bien faible face aux nombreux inconvénients que ces épreuves présentent.

Cet examen parasite en effet la dernière année de collège. Il nous oblige à courir après le temps. Enseigner, c’est souvent faire des choix. L’année de fin de cycle où on aurait justement besoin de revenir sur ce qui a été vu les années précédentes, de faire des ponts entre les savoirs précédents et ceux en construction, d’approfondir certaines notions, de travailler les méthodes, ancrer certains savoirs etc., nous courons après le temps pour boucler un programme (forcément lourd) que nous abordons uniquement dans l’optique de ces épreuves.

Cette impression de toujours être « en retard dans le programme » (expression favorite d’un professeur enseignant en classe de troisième) nous amène à délaisser certains développements ou certains retours. Nous avons l’impression de faire parfois du saupoudrage et de devoir « avancer parce qu’il y a le brevet » sans être sûr que ce qui a été vu et fait soit compris et acquis.

Les professeurs brident leur créativité pédagogique et leurs envies de créativité parce qu’ils pensent (à tort peut-être) que c’est incompatible avec la préparation de l’examen. Le risque est souvent grand de piloter les classes à l’examen et au programme quitte à laisser du monde en route. Qui n’a jamais dit ou entendu : « Je voudrais bien mais il y a le programme à finir pour le brevet/le bac ». Avec du recul, et la période y est propice, on voit à quel point élèves, professeurs et parents sont obnubilés par cette échéance.

Défendre les examens peut apparaître comme défendre l’exigence ; en réalité, c’est le contraire. Il nous oblige à baisser nos exigences en orientant nos pratiques vers des formes de bachotage, en délaissant au moins une grande partie de l’année de troisième l’apprentissage de nombreuses compétences parce quelles ne sont pas évaluées au cours de l’examen. Dès lors, de nombreuses compétences du socle commun ne sont vraiment travaillées que lors des deux premières années du cycle 4.

Le brevet est le reflet d’une école qui ne parvient pas à se dépoussiérer de ses habitudes inutiles tout en voulant évoluer.

À l’inverse, nous sommes obligés de nous consacrer presque exclusivement à certaines compétences évaluées au cours de l’examen au détriment des autres. Il nous oblige à travailler sur des exercices stéréotypés. Alors que la fin du collège devrait être l’occasion au contraire de proposer à nos élèves des tâches complexes, nous sommes contraints par l’échec de ces épreuves terminales à les conditionner à un nombre réduit d’exercices et de consignes.

Cela nous oblige souvent à faire ingurgiter des connaissances et à apprendre une méthode un peu figée au lieu de comprendre et d’apprendre à rédiger, argumenter, utiliser des documents de façon critique dans une activité qui ait du sens. Il nous oblige même, en géographie notamment, à préparer les élèves à travailler sur des documents de second choix en délaissant cartes complexes, photos aériennes, images satellites, SIG (Systèmes d’information géographique) pour des cartes et photos en noir et blanc, types de documents sur lesquels ils vont devoir plancher fin juin, début juillet.

En mathématiques, sciences et technologie, le travail sur des outils ou supports numériques est totalement absent de l’épreuve alors que les élèves apprennent à les manipuler tout au long de leur scolarité. Il nous contraint à des formes de traces écrites elles aussi réduites et répétitives pour « coller » le plus possible aux productions attendues. On en vient ainsi à délaisser certaines productions travaillées jusque là avec succès. Le brevet nous supprime de fait près d’un mois d’apprentissage. Dans certains collèges, on banalise même deux semaines de bachotage pour faire réviser les élèves.

Il devient à tort la priorité des élèves, délaissant parfois leurs réflexions sur l’orientation post-troisième en se focalisant sur ce diplôme inutile. On peut également s’interroger sur la pertinence du brevet de collèges comme certification des acquis. Quelle est la meilleur manière de certifier des acquis variés ? Chacun sait qu’il faut pour cela des situations variées et dépourvues au maximum de biais évaluatifs donc en continu. En quoi quelques heures sur table évaluent correctement des acquis ? Cela donne un score plutôt subjectif à une épreuve stéréotypée mais au final dit très peu de choses sur les acquis des élèves.

Se pose aussi plus largement la question de l’objectif d’une scolarité obligatoire. Préparer à des diplômes et examens qui vont déterminer l’avenir professionnel des jeunes, ou assurer des acquis pour qu’ils puissent s’émanciper ? Cela laisse aussi penser qu’une éducation réussie passe par la réussite à un examen. On le voit, sans même parler du coût de cet examen, le brevet des collèges n’a aucun intérêt pédagogique. Il en va même le plus souvent à l’encontre. Il vient même, on l’a vu, parasiter la pédagogie.

Le brevet est le reflet d’une école qui ne parvient pas à se dépoussiérer de ses habitudes inutiles tout en voulant évoluer, qui empile les nouveautés sur les traditions sans jamais choisir. Il nous paraît judicieux de prendre en compte le constat que chacun peut objectivement faire aujourd’hui, à savoir la nécessité de supprimer ce diplôme national du brevet et ses épreuves terminales.


Laurent Fillion

Professeur d'histoire-géographie

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