Société

Antiracisme : la guerre des facs n’aura pas lieu

Philosophe

C’est devenu un poncif du débat public depuis près de deux ans, renforcé par les mobilisations récentes contre le racisme : il y aurait une dérive de l’antiracisme. L’université, et plus précisément les chercheurs en études postcoloniales ou décoloniales, sont accusés d’entretenir le séparatisme, et comme l’a déclaré récemment le président Emmanuel Macron de chercher à « casser la République en deux ». Pourtant, qui peut nier que l’épaisseur de l’histoire esclavagiste et coloniale pèse sur le mythe du contrat social républicain ?

Depuis la fin de l’automne 2018, par poussées de fièvre belliqueuse, surgissent périodiquement les tribunes, appels, articles qui mettent en garde contre un nouvel ennemi de la République : les « décoloniaux », qui « mènent la guerre des facs », écrit par exemple Étienne Girard dans Marianne, le 12 avril 2019. Des dizaines d’autres intellectuels, journalistes, personnalités publiques, ont pris la plume pour dénoncer « les obsédés de la race à la Sorbonne » (Charlie Hebdo 23 janvier 2019), les « énervés de la race » qui « martèlent leurs fameuses théories sur la race » (Le Canard enchaîné, 24 juin 2020).

publicité

Ils mettent en accusation la « stratégie hégémonique » du « décolonialisme » (Le Point, 28 novembre 2018) qui se lance « à l’assaut de l’université » (Le Nouvel Obs, 30 novembre 2018), qui « menace la liberté académique » (Le Monde, 12 avril 2019) et qui, « nouveau terrorisme intellectuel », « infiltre les universités » (La Revue des deux mondes, 18 avril 2019) par une « grande offensive médiatique et institutionnelle » (L’Express, 26 décembre 2019), traduisant « une stratégie décoloniale de radicalité » (Le Monde, blog, 6 juillet 2020) en même temps qu’une « quête de respectabilité académique » (L’Express, 26 décembre 2019). La rhétorique est guerrière – et l’ennemi, puissant, organisé, déterminé, mobilisant des méthodes de guérilla, voire de « terrorisme », est déjà en passe de l’emporter, au point qu’il faut « appeler les autorités publiques, les responsables d’institutions culturelles, universitaires, scientifiques et de recherche, mais aussi la magistrature, au ressaisissement » (Le Point, 28 novembre 2018) et « sanctionner la promotion de l’idéologie coloniale » (Marianne, 26 juin 2020).

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Comme cela a déjà été souligné, si stratégie hégémonique il y a, elle est remarquablement peu efficace : aucun poste ni aucune chaire, dans aucun domaine de sciences humaines et sociales, n’a jamais été profilé « études postcoloni


[1] Inès Bouzelmat, « Le sous-champ de la question raciale dans les sciences sociales », Mouvements, 12 février 2019.

[2] Voir Capucine Boidin, « Études décoloniales et postcoloniales dans le débat français », Cahiers des Amériques Latines, n° 62, 2009, p. 129-40.

[3] Voir Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste, Gallimard, 1972.

[4] Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques [1962], Flammarion, 1970.

[5] Albert Camus, Remarque sur la révolte [1945], Œuvres complètes, coll. « La Pléiade » t. 3, Gallimard, 2008.

Magali Bessone

Philosophe

Notes

[1] Inès Bouzelmat, « Le sous-champ de la question raciale dans les sciences sociales », Mouvements, 12 février 2019.

[2] Voir Capucine Boidin, « Études décoloniales et postcoloniales dans le débat français », Cahiers des Amériques Latines, n° 62, 2009, p. 129-40.

[3] Voir Colette Guillaumin, L’Idéologie raciste, Gallimard, 1972.

[4] Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques [1962], Flammarion, 1970.

[5] Albert Camus, Remarque sur la révolte [1945], Œuvres complètes, coll. « La Pléiade » t. 3, Gallimard, 2008.