Le Covid-19, mon allié ambivalent
Le Covid-19 est arrivé à la fin de l’année 2019, au moment où je soutenais ma thèse [1] décrivant les multiples rapports animés entre les paysans et leurs plantes en France. À peine trois mois après la soutenance, le Covid devint mon allié ambivalent. Redoutable, il m’a confiné à la maison ainsi que la moitié de l’humanité, mais il est devenu mon allié scientifique en stoppant net ce qu’on peut appeler le « Grand Récit » universaliste de l’Economie – à entendre ici au sens de discipline – qui affirme que l’humanité est obligée de « produire pour vivre ».
L’épidémie de Covid a mis en pause cette histoire profondément naturalisée racontant que la production constitue la matérialité de l’humanité sans laquelle on ne peut pas vivre, et que nous sommes obligés de produire pour subsister. Dans cette histoire, des mondes sans production sont impossibles à imaginer et concevoir, sinon l’humanité mourra de faim et la vie sur Terre sera impossible pour les humains. Tout ce que l’on peut imaginer, c’est de « produire et consommer autrement », c’est-à-dire changer les « modes de production » et de consommation [2]. On peut à la rigueur réfléchir à « sortir de la croissance », concevoir une « société sans croissance [3] », mais sortir de la production est quelque chose d’impensable.
Et pourtant, c’est de cela qu’il s’agit. Mon travail anthropologique, basé sur des enquêtes et des observations auprès d’une soixantaine de paysans en France rompt avec le paradigme de production sur lequel reposent nos deux régimes politiques prédominants dans la modernité, le capitalisme d’un côté et le socialisme de l’autre, et propose d’entrer dans de nouveaux mondes que j’ai appelé faute de mieux de « postproduction ». Le terme de postproduction désigne non pas des mondes futuristes ou utopiques, mais des mondes présents, réels, qui n’existent pas sous l’auspice des épistémologies naturalistes dans lesquelles les humains « produisent pour vivre », mais dans des épistémologies où nou