La fable du Docteur Bouhou
Le Docteur Bouhou pleurait sans arrêt. Il pleura tant et plus qu’au bout de quelques jours, son visage lui-même devint flou et liquide. Mais il continua à pleurer. Peut-être davantage encore. Après une première semaine de pleurs, les gens commencèrent à se demander comment le Dr Bouhou faisait pour respirer. Mais il sanglotait, infatigable.

Au bout de la deuxième semaine, ses pleurs avaient fait de lui la coqueluche larmoyante d’un million de vieilles dames (même si certaines d’entre elles se demandaient s’il ne souffrait pas quand même d’une petite colique). Le Dr Bouhou avait la douceur d’un chaton dégriffé, les aigus d’une poule affamée. Il sanglota et brailla aux infos. Il couina et miaula dans les talk-shows. Il pleurait à chaudes larmes, il pleurait toutes les larmes de son corps, il se fraya un chemin de larmes jusqu’au fond du cœur de la nation.
C’est que, voyez-vous, il s’était passé un Truc Terrible. Plein de gens avaient été tués. Ce qui était très triste. Le Dr Bouhou n’était pas sur place au moment des faits. Il arriva un peu plus tard. Mais le Truc Terrible avait dû le rendre vraiment très, très triste. Parce qu’il s’était immédiatement mis à pleurer. Sans plus jamais, jamais s’arrêter.
Ils furent nombreux, ceux qui pleurèrent ce jour-là. Partout dans le pays (et dans d’autres pays aussi). Le Truc Terrible avait plongé le pays entier (la majorité du pays entier) dans la détresse. Les larmes furent pandémiques. Mais nul ne pleura comme pleura le Dr Bouhou. Nul n’essaya seulement de surpasser les pleurs de Magicien du Chagrin, de l’El Desdichado de la Douleur.
En deuxième semaine son lamento était devenu extrême, irréfutable, il l’avait élevé au rang d’un des beaux-arts. Il était un héros Staliniste, un exemple Stakhanoviste, il extrayait les larmes de la mine. Dans les studios de télévision, les autres invités l’observaient, secs et atterrés, remplir des heures de programmes de ses larmes. Et eux, rien. Il pleurait dans la presse, il pleurait en langue