À bout de souffle ? La société du masque
Nul n’aurait imaginé, il y a un an seulement, nos vies si puissamment ébranlées par l’épidémie galopante. Cette lame de fond, qui nous laisse constamment démunis, sans boussole, emportés toujours plus loin des rivages connus de la vie d’avant, a non seulement bouleversé en profondeur les rythmes de la vie collective, mais toute notre existence intime et affective. Sans que nous sachions encore s’il s’agit de mutations durables ou momentanées, sinon définitives, la crise sanitaire altère à la fois nos façons de sentir et de ressentir, nos perceptions intimes de l’espace et du temps, comme nos attitudes et gestes coutumiers.
Il n’est qu’à scruter, un instant, nos scènes de rues et la mise en jeu des corps dans les interactions les plus ordinaires. Toute la grammaire habituelle de nos gestes et conduites, tous les rituels traditionnels de la rencontre, se sont trouvés affectés, perturbés, troublés par la menace virale. Qu’il s’agisse de nos façons de saluer ou de prendre congé, des mouvements et expressions qui ponctuent nos échanges, de la distance à laquelle nous nous tenons les uns des autres, même en famille ou entre amis, comme des manières de nous toucher ou de nous éviter. En très peu de temps finalement, la plupart des codes de la rencontre et des attentes qui l’accompagnent ont été contraints d’évoluer significativement. Et, avec eux et à bas bruit, les frontières même de l’intime.
Et puis l’introduction de ces comportements insolites nous a donné à voir par ailleurs, à travers notre embarras, tout l’implicite des formes normales de la sociabilité et la délicate incorporation des disciplines nouvelles. On ne peut d’ailleurs manquer d’entrevoir ici le rôle ô combien décisif de l’habitus, de tout ce savoir social incorporé qui nous permet, d’ordinaire, d’agir sans y penser.
Nul doute qu’il y ait là, pour le sociologue de la vie quotidienne ou l’historien des mœurs, un observatoire inépuisable. Ce dernier nous rappelle au premier chef à quel point, com