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Bolsonaro ou les termites du Brésil

Sociologue

Depuis février, le président brésilien Jair Bolsonaro contrôle de facto les deux chambres du Congrès. Mais le président ne gouverne pas, il se contente de placer des hommes (et deux femmes) antisystèmes à la tête de son gouvernement. Comme dans une mission kamikaze, les ministres de l’environnement, de la santé, de l’éducation, de la culture, des relations étrangères et des droits de l’homme détruisent de l’intérieur les institutions démocratiques et les politiques publiques. Tout en maintenant la façade de l’ordre constitutionnel, les termites rongent les institutions de l’intérieur.

Le Brésil, ancien fleuron de la démocratie sociale en Amérique latine, est devenu en peu de temps un État-voyou. Depuis son investiture comme président le premier janvier 2019, Jair Messias Bolsonaro met en œuvre son programme de liquidation de la Constitution de 1988 qui sanctionne le retour à la démocratie après plus de deux décennies de dictature militaire. L’ancien capitaine des forces armées n’a jamais caché son mépris de l’Etat de droit. Dès le départ, on savait qu’il allait essayer de forcer le passage d’un populisme d’extrême droite à un autoritarisme qui met hors-jeu les garde-fous des pouvoirs législatif et judiciaire au pouvoir exécutif. 

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Depuis février, Bolsonaro (sans parti politique) contrôle de facto les deux chambres du Congrès. Moyennant l’offre de prébendes (autour d’un demi-milliard d’euros) et de postes aux élus du “grand centre”, un regroupement interpartis réputé pour sa corruption, il vise ainsi à se blinder contre l’ouverture d’un procès en destitution pour négationnisme historique (apologie de la dictature), écologique (destruction de l’Amazonie) et sanitaire (la promotion active du virus).

Il peut aussi faire avancer les projets idéologiques (enseignement à domicile, lutte contre la pédophilie) que les églises évangélistes lui demandent, et les réformes économiques (privatisations, austérité) que les marchés lui imposent. Sans autres entraves que les jugements de la Cour Suprême qu’il a déjà menacée de fermer, il essaie maintenant de faire passer par décret l’armement de la population et le renforcement de la légitime défense des policiers en cas d’homicide, deux mesures qui bénéficient directement à l’armée et aux milices paramilitaires. 

L’armée brésilienne a soigneusement évité, jusqu’à présent, de prendre ses distances vis-à-vis de Bolsonaro.

Le président accapare de façon systématique les appareils de la répression (le parquet, le fisc, la police fédérale, les services secrets) et militarise la politique. En promouvant la participation de haut-gradés militaires au gouvernement (9 ministres sur 21), à la haute administration (plus de 6000 fonctionnaires) et à la gestion du secteur public (un tiers des directeurs d’entreprises d‘Etat), il mine la démocratie de l’intérieur et compromet ainsi les forces armées.

Le fait est devenu d’autant plus manifeste que le Général Mourão, vice-président de la République, est directement responsable de l’écocide en Amazonie, tout comme le Général Pazuello, ministre de la santé démissionnaire, est tenu pour responsable du populicide au Brésil. Le poids de l’armée est tel qu’on peut s’interroger si le président contrôle encore les militaires ou si ce sont ces derniers qui contrôlent d’ores et déjà la politique gouvernementale.

En effet, à la différence de l’armée américaine, l’armée brésilienne a soigneusement évité, jusqu’à présent, de prendre ses distances vis-à-vis de Bolsonaro. Même lorsque celui-ci attaque ouvertement l’ordre institutionnel, elle s’abstient de prendre position. En revanche, le général Villas-Bôas, chef de l’état-major, n’avait pas hésité en 2018 à prévenir la Cour suprême que la libération de l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva aurait des conséquences.

Maintenant que Lula vient de recouvrer ses droits politiques et que les sondages indiquent qu’il est capable de battre Bolsonaro aux élections présidentielles de l’année prochaine, l’horizon s’éclaircit en même temps qu’il s’obscurcit. Dans cette atmosphère sulfureuse, il est difficile de dire si le coup d’État est déjà en marche ou s’il faudra attendre les élections présidentielles pour voir le parlement pris d’assaut. Les scènes de l’invasion du Capitole à Washington servent d’exemple aux sous-clones de Donald Trump et ses partisans.

Les plans du président à long terme sont bien connus – abolir la constitution de 1988 et instaurer un régime autoritaire. Ses objectifs à court terme sont plus prosaïques : empêcher l’emprisonnement de sa famille (plusieurs de ses fils et sa femme sont impliqués dans des affaires de corruption et l’un d’entre eux a des liens avérés avec les mafias et les milices de Rio de Janeiro qui ont assassiné la députée Marielle Franco), neutraliser la menace d’un procès en destitution, et gagner, coûte que coûte, l’élection présidentielle de 2022. 

Une analyse scientifique a conclu à l’existence d’une véritable stratégie intentionnelle de propagation du virus.

L’irresponsabilité et l’improvisation dans l’exécution des politiques publiques ont pu occulter que l’installation du chaos est le moyen le plus sûr pour saper les fondements de la république et concentrer, peu à peu, le pouvoir en une seule personne. Le président ne gouverne pas. Il se contente de placer des hommes (et deux femmes) antisystèmes à la tête de son gouvernement. Comme dans une mission kamikaze, les ministres de l’environnement, de la santé, de l’éducation, de la culture, des relations étrangères et des droits de l’homme détruisent de l’intérieur les institutions démocratiques et les politiques publiques. Tout en maintenant la façade de l’ordre constitutionnel, les termites rongent les institutions de l’intérieur. L’insistance sur la thèse que les institutions continuent à fonctionner normalement n’est guère rassurante. L’édifice peut s’écrouler à chaque instant. 

La glorification de la violence et la fascination pour la mort sont la marque de Bolsonaro qui, rappelons-le, avait fait du “pisto-doigt” (l’index et le pouce pointés tel un revolver) le signe de ralliement de sa campagne d’élection. Se gardant bien de la moindre empathie avec les victimes du Covid-19, le président a outrancièrement politisé la pandémie. Dès le début, il a minimisé les risques du Covid, une simple “grippette”, à ses dires, et il a saboté le confinement et la vaccination de façon systématique. Il répète qu’il ne se fera pas vacciner, s’oppose mordicus à la vaccination obligatoire et proclame que le vaccin peut transformer le citoyen “en crocodile”.

Devant une foule qui, comme lui-même, ne porte guère le masque, il affirme que “le meilleur vaccin est le virus lui-même, sans effets collatéraux”. Prenant acte de la démission de l’État, le gouvernement vient d’autoriser l’achat de vaccins par le secteur privé. Jusqu’à récemment, le ministère de la santé recommandait officiellement la chloroquine et l’ivermectine comme “traitement précoce”, faisant fi de tous les démentis scientifiques de leur quelconque efficacité. Si ce ministre avait mis autant d’énergie pour passer commande de vaccins, seringues et aiguilles que l’armée en a déployé à produire de la chloroquine ou à manipuler les statistiques officielles, le Brésil ne dépasserait pas les 2000 morts par jour, comme c’est actuellement le cas.

Une analyse scientifique de plus de 3000 normes et décrets de 2020 ayant trait à la pandémie (Conectas/Cepedisa) a conclu à l’existence d’une véritable stratégie intentionnelle de propagation du virus. La combinaison d’une campagne défaillante de vaccination et d’une contagion incontrôlée transforme le pays en un vivier des variantes du Sars-Cov-2. L’expérience in vivo constitue bel et bien une menace pour le reste du monde aux yeux de nombreux chercheurs.

Avec trois variantes désormais en présence dans l’envolée d’une seconde vague, le pays entrevoit l’effondrement généralisé de son système hospitalier. Le second effondrement de la ville de Manaus en janvier fut bien un signe prémonitoire. Plusieurs villes du Brésil n’ont plus aucun lit en réanimation disponible. Avec moins de 3 % de la population mondiale, le Brésil totalise déjà 10 % des victimes du Covid-19. Un correspondant de la prestigieuse revue médicale The Lancet en conclut qu’on peut imputer 75 % des 300 000 morts comptabilisés à Bolsonaro. Le Tribunal Pénal International de la Haye devra en tenir compte. 


Frédéric Vandenberghe

Sociologue, Professeur à l’Institut de philosophie et de sciences sociales de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (IFCS-UFRJ)

Mots-clés

Populisme