Culture

Le Grand écrivain, cette imposture française

Critique littéraire

On ne naît pas Grand écrivain : on s’en fabrique le destin. Et pour prendre sa place au bout de la chaine de l’évolution humaine, il s’agit de se construire comme un héros culturel double : littéraire et politique. D’abord, en se forgeant comme figure épique, grâce à la méthode essentielle de l’autofiction ; puis en se faisant valeureux tribun public auprès de ses concitoyens, voire, pour certains, au-delà des frontières de la Nation, afin de porter l’ultime obsession politique : la littérature française est la plus Grande.

Le Grand écrivain n’a toujours été qu’une vaste supercherie. Tel serait, aussi brutal qu’indépassable, le postulat qui présiderait au destin de celles et de ceux qui, hier comme aujourd’hui, entendent devenir, être et incarner au plus fort d’eux-mêmes ce désir flamboyant de gloire : être le Grand écrivain de son temps.

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Depuis son apparition à l’entame du XIXe siècle, porté par la fougue du romantisme, jusqu’à notre contemporain le plus extrême avec Emmanuel Carrère ou encore Michel Houellebecq, le Grand écrivain ne se tient parmi nous qu’à la manière d’une imposture sans fard et sans vergogne. Une terrible supercherie sociale, politique et littéraire qui, dans un esprit toujours belliqueux, pousse à voir et à faire percevoir le monde à l’aune d’un culte déraisonnable des Grands hommes. Car le Grand écrivain est cet homme qui, de lui-même, depuis son intime décision, a décidé de devenir Grand, de s’inventer Grand et de se fabriquer Grand.

À ce titre, le Grand écrivain s’affirme sans faiblir comme celui qui, rêvant à voix haute d’une science méthodique du charisme, force à chaque instant le sublime en lui. C’est comme s’il entendait devenir métaphysique de son vivant. Dès lors, il faudrait peut-être le dire sans attendre : si le Grand écrivain désire atteindre à la mythification de soi, peut-être est-ce uniquement à la faveur d’une mystification concertée.

Qui ne se souvient effectivement pas des célèbres pages de Sartre dans son petit manuel du Grand écrivain que sont Les Mots où, de manière si juste et si pénétrante, il met à nu son désir fou d’être écrivain, un désir d’écrire qui se mesure à l’aune de la Grandeur et de la supercherie ? Qui n’a ainsi pas en mémoire ces quelques réflexions où Sartre lance que « la fréquentation des grands hommes m’avait convaincu qu’on ne saurait être écrivain sans être illustre » et que, partant, confesse-t-il, « j’écrivais par singerie, par cérémonie, pour faire la grande personne » ? Et, de fait, est-ce que ne se donne pas à lire, là, la définition la plus exacte de tout Grand écrivain, et cela depuis ses origines mêmes ? N’est-ce pas cette folie conquérante, cet hybris déraisonnable, cette folie narcissique à la croisée de la pompe, des honneurs et du texte qui fondent le Grand écrivain ?

Cependant, cette folie, de celle qui avait fait dire à Cocteau que « Victor Hugo, c’est un fou qui s’est pris pour Victor Hugo » est, à la vérité, insuffisante. On ne naît pas Grand écrivain : on s’en fabrique le destin.

Si bien qu’il faudrait l’affirmer, au risque de fâcher la meute réactionnaire donc nostalgique qui fonde actuellement le débat public français et qui nous plonge dans la maltraitance médiatique dont chaque jour un peu davantage nous sentons le mortifère poids, il n’y a eu, à aucune époque, pas même à sa naissance, un règne de vérité du Grand écrivain dont, nous autres contemporains affaiblis et désenchantés, serions en train de vivre la tragique et lancinante décadence.

Le Grand écrivain a toujours déjà été une puissante et durable imposture. Sartre n’avouait-il pas ainsi, avec une lucidité rayonnante de faussaire patenté, au sujet de cette carrière de Grand écrivain qu’il s’était comme écrite seul : « J’étais un imposteur. » ?

Car, dès l’origine, avec le Grand écrivain, s’affirme le plus ardent des paradoxes, comme un éloge magnifié de la puissance de la fiction dans la vie : le Grand écrivain est une imposture mais toujours vécue comme une vérité à atteindre, une promesse égologique à se faire et à se tenir à soi-même, où se mêlent un farouche désir mondain de reconnaissance sociale et un puissant souhait de devenir l’homme de l’écriture ultime de son époque.

En ce sens, Michel Houellebecq n’est pas plus une imposture qu’André Malraux. Emmanuel Carrère n’est pas plus une mystification que Victor Hugo. Virginie Despentes n’est pas plus une mystification qu’Émile Zola.

Tous s’appuient sur un double savoir qui les fonde : il leur faut emprunter l’allure et la figure d’un Grand écrivain jusqu’à que quelqu’un finisse par être convaincu et par le croire. Partant, le Grand écrivain se tiendra comme celui ou celle qui aura réussi à faire de la fiction le cœur le plus insoupçonné de son quotidien devenu grand comme l’Hexagone, dont il s’affirmera comme le fier représentant.

Celui ou celle chez qui aura enfin compris, comme l’écrit Pierre Michon dans Trois auteurs (1997), que « les arts sont une imposture, un air du temps » dont on finit par oublier, s’ils sont suffisamment imposteurs, qu’il s’agit d’une imposture qui a fini par marcher car, comme Michon le glisse à propos de Balzac, à la manière d’une loi fondatrice du Grand écrivain, « il joue à l’auteur jusqu’à ce que mort s’ensuive, et il a toujours peur de ne pas donner assez de sa personne ».

On pourrait croire à une farce mais devenir Grand écrivain, c’est une plaisanterie qui, par la grâce d’un public avide également non d’être mais d’avoir son Grand écrivain, a fini par bien tourner.

Cependant, à parler encore comme Michon, comment passer de ce « petit jeune homme réputé raté, pochard et mythomane, et qui l’est, mais qui voudrait devenir un grand écrivain » à ce statut donc ultime et tant envié même de Grand écrivain ? Comment Emmanuel Carrère ou Michel Houellebecq s’y sont-ils pris pour que leur mystification devienne une manière d’hallucination collective, le lieu même d’une invraisemblance partagée : une espèce de suspension collective de la crédulité ?

Sans entrer ici dans le détail de ce que je développe dans mon essai, on peut cependant indiquer que se construire comme Grand écrivain et s’en fabriquer la fabuleuse stature consiste à se construire comme un héros culturel double : littéraire et politique mais aussi littéraire car politique. Car, véritable curiosité ethnologique qui révèlent les mœurs françaises, être Grand écrivain, c’est être parvenu, depuis son œuvre et surtout très vite au-delà d’elle, à pouvoir trouver sa place aussi bien dans les rayonnages des bibliothèques que dans une galerie de portraits d’hommes politiques illustres de la Nation.

Le Grand écrivain a sa place au Musée de l’Homme dans la Galerie naturelle de l’évolution, et cela au bout même de cette chaîne : celle du degré ultime du raffinement civilisationnel français.

Si bien qu’être un héros culturel double, comme à la croisée du pathologique et de l’idéologique, consiste pour celle ou celui qui veut vibrer du désir d’être Grand écrivain à commettre une double hybris qui se donne comme une double fiction : une fiction littéraire et une fiction politique.

C’est l’autofiction qui, par la dramaturgie égotique qu’elle déploie, autorise l’écrivain à se fabriquer Grand.

Une fiction littéraire, tout d’abord. Être Grand écrivain, c’est finir par croire une histoire que depuis sa plus tendre enfance, tard le soir, quand les parents ont enfin trouvé le sommeil, l’écrivain qui veut écrire est le seul à croire.

C’est décidément, dans notre contemporain médiatique, Emmanuel Carrère qui en incarne la figure contemporaine la plus accomplie ou la plus candide dans ce désir d’apparaître sinon de se constituer soi-même comme figure de récit à la jointure folle de sa propre histoire et de la Grande histoire, celle qui, idéalement, s’écrirait avec un grand H. Le Grand écrivain ne doit alors se comprendre que comme l’homme de l’auto-engendrement, le bébé-éprouvette de sa propre œuvre – comme Carrère se fait l’auto-narrateur d’un patient récit de soi qui le consacre comme figure de la Grandeur.

En ce sens, être auteur ne suffit jamais au Grand écrivain, encore doit-il devenir ce Grand écrivain en se muant en fabuliste de sa propre figure d’auteur à l’instar de ce que Paul Valéry disait déjà, à savoir qu’« écrire, c’est entrer en scène ». Et cette fable de soi sinon cette dramaturgie de l’ego qui font prendre la France même pour la scène même du déploiement de sa parole ne s’exercent que depuis une fabrique textuelle dont l’unique visée consiste en une héroïsation de soi depuis l’écriture – comme si parler de soi, c’était immanquablement user de l’écriture comme possible seuil sacralisant de soi. Puisque comme le dit de manière tranchée Cadiot dans Médecine générale : « Je suis écrivain, ou j’imagine l’être, ou j’ai décidé de l’être. »

Dès lors, se fabriquer en figure héroïque consistera non seulement à se forger un ethos mais par-dessus tout un epos – ou comment se vivre comme une figure épique. Car tel est l’illustre destin que se rêve et se souhaite le Grand écrivain : avoir non seulement les mains lyriques mais posséder une crinière épique.

C’est peu de dire que dans ce désir de gloire le Grand écrivain, à commencer par Carrère, ne pourra s’écrire que depuis une œuvre comprise comme une autofiction généralisée. Car l’autofiction, c’est à la fois ce qui fabrique le Grand écrivain et ce qui, dans notre temps, en porte le deuil impossible. L’autofiction ne doit pas ici effrayer. Au contraire. On ne peut la comprendre ni en proposer une définition convaincante et féconde que si elle est articulée à la figure du Grand écrivain tant ces deux notions se trouvent être en étroite corrélation.

De fait, à considérer la mort de Sartre en 1980 et en le tenant pour la figure terminale de la dynastie des Grands écrivains français, à la fois comme son incarnation ultime impossible à dépasser, il apparaît que c’est précisément au moment où sa figure commence à perdre en prestige, en 1977, que Doubrovsky propose la notion même d’autofiction, à savoir faire de soi une figure de son propre récit. L’autofiction doit s’entendre ici comme la méthode même pour devenir Grand écrivain, et cette méthode est révélée quand le dernier Grand écrivain disparaît, comme s’il fallait donner la recette pour fabriquer une légende à laquelle on croyait de moins en moins – ou qui semblait désormais impossible à atteindre.

Si bien que l’autofiction doit être définie non comme un régime textuel mais comme un régime existentiel qui, depuis le texte et bien après lui, apporte à l’écrivain ce surcroît ontologique qui passe par la fabrication de soi dans un texte. En ce sens, c’est l’autofiction qui, par la dramaturgie égotique qu’elle déploie, autorise l’écrivain à se fabriquer Grand.

Qu’on se saisisse là, comme je le déploie notamment dans mon essai, de l’œuvre d’Emmanuel Carrère qui, depuis L’Adversaire et jusqu’au récent Yoga, s’écrit dans cette visée autofictionnelle de produire de soi et de ses textes une figure de Grand écrivain. La dramaturgie en est d’une confondante simplicité, une manière de voie royale autofictionnelle vers la consécration tant désirée : au commencement de l’œuvre, il n’existe pas encore d’Emmanuel Carrère. Il n’existe alors que le romancier d’hommes ordinaires qui, comme dans La Moustache, sont comme soustraits au Réel.

Or, c’est bel et bien faire effraction dans le Réel, un Réel majuscule qui va bientôt déterminer Carrère, celui que Jean-Claude Romand va lui faire entrevoir : à savoir, comme par une curieuse identification dont son œuvre ne se remettra pas, un homme ordinaire qui fantasme, par le récit, d’avoir une existence autre, à savoir plus Grande. C’est alors que, peu à peu, d’un Roman russe jusqu’au Royaume en passant par Limonov, s’invente, hors de l’homme ordinaire, le désir profond d’un extraordinaire qui, s’attaquant à de Grands sujets, donnera à l’écrivain, comme par euphonie, sa Grandeur.

C’est le tsunami. C’est un aventurier russe qui a fait l’époque. Et c’est finalement Dieu, son interrogation qui permet à la littérature de quitter la littérature – comme si le Grand écrivain souhaitait toujours être sacré en dehors de son texte, comme si hors de son œuvre, il pouvait vivre la gloire de celui qui s’offre le grand témoin des catastrophes et des tourments de son époque pour ensuite devenir une manière d’auto-héros de sa propre existence qui vient coïncider avec les tourments de la Nation.

Ainsi fabriqué par l’autofiction, le Grand écrivain s’impose comme un oxymore absolu, celui qui, à partir de soi, fait de toute question le lieu d’un narcissisme social. Car, comme le disait Barthes, « sa vie n’est plus à l’origine de ses fables, mais une fable concurrente à son œuvre. » Ou plutôt, faudrait-il ajouter, comme si le Grand écrivain était devenu l’infatigable média de soi-même, notamment une manière de supramédia politique, comme le suggèrerait sa seconde fiction.

Le Grand écrivain est gagné par le tribunisme, ce désir d’être ce porte-parole qui viendra couronner le débat public.

Une fiction politique, enfin, doit être envisagée ici mais en manière de conclusion provisoire tant la question apparaît comme aussi vaste que riche. Si le Grand écrivain s’affirme comme la voix de soi étendue à l’échelle de la France, s’il devient la Grande voix hexagonale, sans doute est-ce plus profondément afin que son destin épouse au plus près celui des tourments et des bonheurs de la Nation même dont il se fantasme à la fois comme le valeureux porte-parole mais aussi comme le corps-symptôme ultime. Il vit la France comme il veut la dire : telle est la fable politique aux indéniables accents mystiques qui l’anime.

À ce titre, le Grand écrivain se tient ainsi comme une incarnation de la France mais aussi bien comme une de ses figures officielles tant, depuis sa naissance romantique puis de manière bientôt institutionnelle avec la IIIe République, l’héroïsme, fougueux, dont le Grand écrivain se fait le chantre, a toujours eu à cœur de défendre le pays sinon, tout du moins, les valeurs fondatrices de la Nation.

Car, toujours en débord de son œuvre, le Grand écrivain ne fait de sa parole qu’une tribune infinie, un prétoire sans limite à ce qui, jour après jour, agite le pays, alimente le débat et innerve la vie politique et sociale. On se souvient sans peine de Zola avec l’affaire Dreyfus qui se faisait l’avocat de celui qui n’avait littéralement plus voix au chapitre. Mage et prophète, Zola ou encore Hugo écrivaient, à la naissance de la République, comme on écrit dans l’idiome déchu de Dieu – comme si leur parole formait un magistère de Vérité majuscule, l’espace de conjonction inouï, à la manière d’un intenable oxymore, entre le plus haut degré de l’expression du sensible du monde et le degré le plus aigu de l’intelligible de ce sensible même.

Car il faudrait le dire ainsi : depuis sa fiction, depuis son héroïsme, le Grand écrivain veut avant tout apparaître comme une émotion politique devant son public forcément grand – devant son Grand public. Lorsqu’il prend la parole, chacun veut ressentir et faire ressentir et la Nation et la parole de la Nation comme si, depuis ce discours même, le Grand écrivain était voué à être une figure suprasensible de la vie publique française.

C’est ce qui traverse notamment l’expérience contemporaine de prise de parole de Virginie Despentes comme gagnée par une fièvre discursive qu’il conviendrait de désigner comme un tribunisme actif. Ici, de tribune en tribune, l’autrice se fabrique, politiquement, par ses interventions multiples, une aura qui, depuis ses romans qui lui servent de tremplin médiatique, lui permet de discourir à n’en plus finir sur des questions sociales clés du débat. Ce fut notamment le cas, on s’en souvient, de sa tribune qui fit grand bruit à sa publication en mars 2020 dans Libération, « On se lève et on se barre », sur le patriarcat du milieu du cinéma français qui couronnait sans vergogne Roman Polanski, qui refuse toujours de répondre d’accusations de viol.

Pourtant, ici, en dépit de la justesse de la cause défendue, la tribune ne fait que défendre le fantasme du Grand écrivain tant, à la vérité, elle échoue profondément dans son projet politique même. La tribune apparaît ainsi, tristement, comme un simple, répétitif et terrible exercice de communication : elle n’apprend rien sur cette épouvantable cérémonie des César que nous sachions déjà.

Oui, l’Académie des César est machiste. Oui, elle est sexiste. Oui, elle est un parangon du masculinisme qui s’assoit toujours sur la spéculation capitaliste. On n’y apprend décidément rien. Car la prise de parole publique de Despentes ne s’organise jamais sur n’importe quel sujet tant elle s’offre systématiquement sur un sujet qui a d’abord indigné son public – comme si se donnait, avant tout à lire, un sentiment de classe, celui de son lectorat, les CSP+ qui ne se révoltent pas mais ne savent résolument que s’indigner, c’est-à-dire se contentent de non-agir. Plus qu’une question politique, c’est un pacte de reconnaissance sociale qui lie Despentes à son public, comme une star du music-hall à son public.

Car c’est bien là qu’au présent de nous, se fabrique, au détriment de la politique, le fantasme partagé du Grand écrivain. Emphatique et surécrite, cette tribune ne dit qu’une seule et unique chose : le désir d’être ce porte-parole qui viendra, par son éloquence, couronner la vie publique, le débat public, comme si le Grand écrivain était une manière, pour Despentes mais aussi pour les rédactions de quotidien qui lui commandent lesdites tribunes, non d’intellectuel mais de supra-éditorialiste.

À cette première fiction politique du tribuniste, comme mage de la presse, succède une seconde fiction politique du Grand écrivain, placée cette fois désormais à l’extrême droite de la scène publique. C’est celle de la littérature française vécue comme la seule et unique littérature au monde, une manière de suprémacisme de la littérature française qu’on pourrait formuler de la sorte : le Grand écrivain est un concept hégémonique.

Depuis son apparition et son institutionnalisation progressive au cours du XIXe siècle, le Grand écrivain répond d’une obsession politique, comme en constant excès de la littérature elle-même : la littérature française est la plus Grande. Et, sans doute aucun, la plus Grande parce que se joue dans la question du Grand écrivain un caractère éminemment supranational, comme si le Grand écrivain devait se lire comme une métonymie et une métaphore de la place de la France sur la scène internationale, à savoir comme un symbole, celui de la supériorité de la France sur toutes les autres nations.

Dès lors, se comprennent sans peine aucune les frayeurs qui soulèvent les Renaud Camus et autres Richard Millet, ou encore Sylvain Tesson quand, cris d’orfraie à l’appui, ils se lamentent qu’il n’existe désormais plus de Grands écrivains français. Il ne s’agit pas pour eux d’uniquement déplorer la perte d’aura de la littérature française dans le monde. Car, selon eux, cet inéluctable recul de la place de la littérature française dans le monde ne doit se comprendre que comme la tragique et inéluctable révélation d’un fait bien plus terrible : le déclassement de la Nation France sur la scène internationale.

Que la France ne possède plus en son giron de Grands écrivains dignes de ce nom selon eux, hormis eux, ne se donne que comme l’irréversible signal selon lequel la France est devenu un petit pays, que la France s’est, comble de la honte, comme provincialisée, affront national que seule l’écriture – leur écriture – pourra rédimer.

D’où leur inévitable Réaction qui s’affirme comme la seule réponse qu’ils ont trouvée à cette déchéance de nationalité dont serait désormais frappée la littérature française. Car, comme le dit avec ironie Cadiot dans Médecine générale, lorsqu’ils parlent des Grands écrivains : « On dit qu’ils vénèrent des druides. Ça devrait plaire à nos vieux réacs qui pensent que la terre, elle, ne ment pas. Ça devrait faire un bon terrain d’entente. »

On l’aura compris : même s’il se tient parmi nous comme un mythe révolu, notre contemporain ne cesse de désirer le Grand écrivain. Car le Grand écrivain est l’homme politique de la littérature.

NDLR : Johan Faerber a récemment publié Le Grand écrivain, cette névrose nationale aux éditions Fayard – Pauvert.


Johan Faerber

Critique littéraire, Co-rédacteur en chef de Diacritik