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Le Brésil en route vers une nouvelle dictature militaire ?

Sociologue, Économiste

Les manifestations en faveur de Jair Bolsonaro se succèdent weekend après weekend, dans lesquelles on voit fleurir les pancartes réclamant une intervention militaire. Ce qui fait craindre à certain l’un de ces coups d’État qui tissent l’histoire récente du Brésil, dans le but de maintenir au pouvoir l’extrême droite. Quel que soit l’avenir, la présidence Bolsonaro semble bien avoir parachevé l’installation pérenne des forces martiales au sein de l’appareil étatique.

O que faremos com os militares? (« Que ferons-nous avec les militaires ? »), demandait en 1985 le politologue Eurício Figueiredo [1] tandis que le Brésil entamait un processus de démocratisation après une dictature militaire installée 21 ans plus tôt par un coup d’État.

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Deux possibilités s’offraient alors selon l’auteur : soit un État contrôlé par une autorité civile avec une faible probabilité qu’un coup d’État militaire se produise ; soit un gouvernement civil tenu sous contrôle par des militaires dont la présence serait plus ou moins visible au sein des institutions politiques, à l’instar du Chili de Pinochet, de l’Espagne de Franco ou encore du Portugal de Salazar.

La ligne de partage entre l’un ou l’autre scénario dépendait de la capacité de la société civile brésilienne à créer des mécanismes susceptibles de maintenir l’institution militaire à distance du gouvernement, notamment par la mise en place d’instruments lui assurant le contrôle de l’État, tels que des partis politiques solides et représentatifs, des syndicats affranchis de leur enracinement fasciste et des assemblées législatives actives et compétentes.

La question demeure d’actualité, alors que le Brésil est dirigé depuis 2019 par un président démocratiquement élu au suffrage universel direct, ancien capitaine de l’armée de terre – réformé après avoir tenté d’organiser au sein de casernes de l’État de Rio de Janeiro un mouvement de protestation contre le montant jugé insuffisant des traitements versés aux militaires –, et dont le vice-président, Antônio Hamilton Martins Mourão, est général de réserve. Sans compter que le premier gouvernement monté par le Président Jair Bolsonaro comptait dans ses rangs huit militaires sur un total de vingt-deux ministres.

Les Forces armées brésiliennes : acteur pérenne de la vie politique nationale

La question soulevée par Eurício Figueiredo est plus que légitime au regard de l’histoire bicentenaire de la nation brésilienne qui, depuis son indépendance du Portugal en 1822 et jusqu’à présent, a connu plusieurs coups d’état orchestrés par des militaires, conjointement avec des civils.

Le premier s’est produit lorsque les Forces armées, sorties victorieuses et renforcées de la guerre contre le Paraguay, ont mis fin à l’Empire en renversant Dom Pedro II obligé à l’exil, et instauré la Première République. Comme le souligne Celso Castro, « le coup d’état de 1889 – ou, ainsi qu’il est entré dans l’histoire, la “Proclamation de la République” – a été un moment clé de l’émergence des militaires comme protagonistes dans le scénario politique brésilien. La République, alors “proclamée” a toujours été, d’une certaine façon, marquée par cette tâche de naissance (ou pour beaucoup, par ce pêché originel) ».

Les militaires resteront près de cinq ans au pouvoir, deux maréchaux assumant tour à tour les fonctions présidentielles, avant de céder la place à une autorité civile élue.

Depuis lors, les coups d’état militaires ont tissé l’histoire républicaine du Brésil. Les Forces armées n’ont jamais cessé de participer activement à la vie politique : elles ont fait et défait la totalité des Républiques qui se sont succédées dans le pays, y compris la République actuelle, la Sixième, construite entre 1985 et 1988, et se sont maintenues, selon des modalités diverses, au cœur du pouvoir exécutif, au gré d’alliances fluctuantes avec des groupes appartenant aux élites civiles.

L’ingérence des militaires dans les affaires gouvernementales ne s’est pas achevée avec la fin la dictature [2] instaurée par un coup d’état, pour ne ressurgir que quelques décennies plus tard avec Bolsonaro.

En fait, après avoir tenu les rênes du pays pendant un peu plus de deux décennies au cours desquelles se sont consolidées des dissensions politiques internes à l’armée, entre des militaires soucieux d’un retour rapide à un ordre démocratique et d’autres partisans d’une « ligne dure » répressive, afin d’éradiquer efficacement la subversion communiste portée par des ennemis de l’intérieur [3], l’institution militaire a soigneusement organisé la transition vers un régime démocratique, de façon à préserver aux mieux les intérêts de ses membres et à créer les conditions propices à sa permanence au pouvoir.

Promoteurs d’une réconciliation nationale, les militaires ont négocié, dès le milieu des années 70, avec des forces d’opposition modérées, une amnistie qui sera finalement promulguée en 1979. Sont exonérés de toute responsabilité, et donc de poursuite, pour les crimes politiques qu’ils ont pratiqués : d’une part les opposants à la dictature, à condition que ceux-ci n’aient pas été condamnés pour terrorisme, agression, séquestre ou attentat contre des personnes ; d’autre part tous les agents de l’État, que ces derniers aient torturé, assassiné, ou bien participé à la disparition de personnes.

L’amnistie, sous condition pour les premiers mais intégrale pour les seconds, a permis aux Forces armées de garantir leur participation à la vie politique post-dictature. Ainsi, l’historien Renato Lemos observait en 2002 que de nombreux dirigeants militaires, mais aussi civils, qui ont soutenu le régime dictatorial « sont, aujourd’hui, des piliers de la démocratie brésilienne, occupant des positions publiques de premier plan ».

La Commission Nationale de la Vérité (CNV) créée en 2011 par la Présidente de la République d’alors, Dilma Rousseff [4], afin de déterminer si des violations des droits humains avaient déjà été pratiquées dans le pays, notamment au cours de la dictature, a été vécue par l’autorité militaire comme une menace potentielle à son impunité conquise et garantie par la loi d’amnistie.

Dépourvue de prérogative légale pour juger les auteurs de crimes contre les droits humains, la CNV a néanmoins recommandé dans son rapport final (remis en 2014) que les Forces armées reconnaissent leur responsabilité institutionnelle dans les atteintes aux droits humains commises pendant la dictature.

Elle a également préconisé que les agents de l’État ayant participé à des détentions illégales, tortures, assassinats, disparitions forcées ou occultations de cadavres soient poursuivis et punis [5] ; la Commission a considéré en effet qu’ils ne sauraient bénéficier de la protection de la loi d’amnistie car de tels actes constituent des crimes contre l’humanité et, en tant que tels, sont imprescriptibles et non amnistiables.

Le rapport de la CNV a suscité une très forte hostilité des autorités militaires à l’égard de la Présidente Dilma Rousseff et du Parti des Travailleurs (PT). C’est, selon certains analystes tels que l’anthropologue Piero Camargo Lierner, un des facteurs qui a conduit l’armée à prendre ses distances vis-à-vis du PT, puis à se ranger derrière le candidat à l’élection présidentielle, Jair Bolsonaro.

L´armée garante de la loi et de l´ordre

L’équilibre des pouvoirs – civil et militaire – est rendu plutôt précaire par la Constitution actuellement en vigueur, qui consacre non seulement le Brésil comme un état démocratique de droit, mais aussi l’ingérence militaire dans les affaires gouvernementales.

Ladite Constitution assigne trois fonctions aux Forces Armées. Deux sont plutôt habituelles en démocratie : défendre la patrie et garantir les pouvoirs constitutionnels (exécutif, législatif et judiciaire). La troisième est par contre plus inusitée : protéger la loi et l’ordre sur demande de l’un des pouvoirs constitutionnels, et après décision du Président de la République, chef suprême des armées.

Cette mission de défense de la sécurité publique a été attribuée à l’autorité militaire dès la première Constitution de 1821, alors que le pays était une monarchie, et a été par la suite simplement reconduite dans tous les textes constitutionnels subséquents dont le Brésil s’est doté, y compris celui promulgué en 1967, pendant la dictature militaire. Remarquable continuité historique [6] !

Les différents Présidents de la République qui se sont démocratiquement succédés à la tête du Brésil depuis 1988, ont largement eu recours, quel que soit leur affiliation politique, à cette disposition constitutionnelle dans le cadre d’opérations de Garantie de la Loi et de l’Ordre (GLO) dont le nombre total s’élève à 143 entre 1992 et décembre 2020 selon les informations disponibles sur le site du Ministère de la Défense. De telles actions constituent, avec la protection des frontières (dont nombre de missions relèvent d’ailleurs de la sécurité intérieure puisqu’elles visent à combattre l’entrée de drogues illicites sur le territoire national), l’une des principales activités des forces armées.

Les missions GLO correspondent à des situations de maintien de l’ordre, par exemple lors d’évènements internationaux, de la réalisation d’élections, de grèves de la police militaire ou de camionneurs, d’inspection de prisons pour appréhender des objets illicites tels que des téléphones portables, des armes blanches, etc.

À ces actions très ponctuelles, d’une durée inférieure à un mois, s’ajoutent des missions qui visent à remédier à la « violence urbaine », beaucoup plus longues, de « pacification » selon la terminologie militaire, des favelas. La presse et la population parlent plus volontiers d’« occupation ».

Patrouilles réalisées à l’aide de tanks et d’armes de guerre, barricades érigées avec des sacs de sable et du fil de fer barbelés, transforment les bidonvilles en zones de guerre. La plus longue de ces opérations de pacification/occupation a été décrétée par Dilma Rousseff en 2014 et a duré 15 mois. Des militaires sont entrés avec des blindés dans un ensemble de 16 favelas, le Complexe de la Maré, abritant environ 130 000 habitants. Cette opération qui a débuté à la veille de la coupe du monde de football de juin 2014, avait pour objectif affiché de lutter contre la criminalité.

Les demandes de la part des autorités gouvernementales pour des interventions de type GLO se multipliant et se diversifiant, une brigade d’infanterie a été réorganisée de façon à répondre exclusivement à ces situations, et un Centre d’Instruction des Opérations de Garantie de la Loi et de l’Ordre, qui développe des activités de formation et de recherche, a été crée.

Amplement médiatisées notamment au journal télévisé du soir, les missions GLO de lutte contre la violence urbaine dans les favelas ou les prisons ont un effet délétère sur la perception qu’a la population brésilienne de la compétence des autorités civiles, alors que le pouvoir militaire, pour sa part, gagne en prestige ; indépendamment des résultats plutôt médiocres, ces missions donnent du crédit à son image de sauveur de la patrie, image que les Forces armées ont toujours brandi pour justifier leur interventionnisme en politique, et dont elles ont besoin pour assurer leur permanence dans les sphères décisionnelles.

Les militaires jouent la carte Bolsonaro et en sont largement remerciés

Avec Jair Bolsonaro, laudateur invétéré de l’armée, les militaires ont trouvé un candidat idoine (ou une marionnette selon certains observateurs) pour porter leurs intérêts. Mais plutôt que d’orchestrer un coup d’État imminent, ils cherchent, telle une quelconque force politique, à renforcer leur influence sur les affaires intérieures du pays, comme ils l’ont toujours fait depuis l’avènement de la 1ère République.

Militant activement pour clôturer l’ère du Parti des Travailleurs et permettre l’entrée du Brésil dans un nouveau cycle politique avec Bolsonaro, les militaires se sont ouvert une fenêtre d’opportunité pour diffuser amplement leur valeur d’autorité patriotique et renforcer leur poids dans la gestion des affaires civiles pour, en particulier, y défendre les intérêts de leur corporation.

Alliés de la première heure du candidat Bolsonaro, les militaires ont été l’un des artisans de son ascension politique à partir de 2015. Ils en ont été largement récompensés. Remerciement verbal, comme en témoigne cet échange du nouveau Président avec le général Villas-Bôas, ancien chef d’état-major de l’armée : « Mes remerciements, commandant. Nos conversations mourront avec et entre nous. Mais vous êtes un des responsables de ma présence ici, merci beaucoup une nouvelle fois [7] », mais surtout octroi de nombreux postes au sein de l’exécutif.

Outre le général Mourão élu à la vice-présidence fin 2020, pas moins de 8 ministères sur 22 [8] ont été attribués à des hauts gradés de la réserve (en retraite), pour la plupart formés comme le Président à la célèbre école militaire des cadets des « aiguilles noires » au début des années 70, en pleine dictature militaire.

Point d’orgue de cette affluence, le retour du ministère de la Défense sous pavillon militaire avec la nomination du général Fernando Azevedo e Silva, rompant (déjà depuis l’intérim du Président Michel Temer après la destitution de Dilma Rousseff) avec la pratique observée depuis le Président Cardoso d’attribuer ce ministère stratégique à un civil.

Pour certains observateurs [9], l’exécutif est seulement la partie la plus émergée de l’iceberg militaire. L’entrée, plus discrète, de hauts gradés, sous-officiers et soldats, en activité ou à la retraite, au sein des administrations et institutions sous tutelle fédérale, constituerait la marque d’une reprise en main militaire générale des affaires civiles.

Si le phénomène est réel, son ampleur est difficile à jauger avec précision. Selon la Cour des Comptes brésilienne (TCU), le nombre de militaires, en poste dans les administrations civiles et rémunérés par elle, aurait doublé en 2 ans entre 2019 et 2020, en passant de 3000 à 6000 personnes [10]. Une distribution de postes assez hétérogène, qui va de celle d’un général à la présidence de la plus grande entreprise publique du pays, Petrobras, à l’affectation temporaire d’un contingent de 1900 sous-officiers et soldats venus prêter main forte aux organismes de sécurité sociale débordés par l’afflux de demandes de liquidation des retraites.

Dans certains domaines comme l’environnement ou l’agriculture, la présence de militaires est manifeste, notamment au sein de grands organismes publics comme les instituts IBAMA et INCRA ou la fondation FUNAI [11]. Dans ceux-ci, on dénombre 99 gradés à des postes de pouvoir.

Il est vrai que les questions agraires, environnementales et celles relatives aux populations amérindiennes, à la croisée desquelles se rencontre celle de la forêt amazonienne, relèvent pour les militaires d’enjeux de souveraineté pour lesquels ils revendiquent les premiers rôles.

Enfin, il convient d’ajouter la présence accrue de gradés nommés à des postes de direction au sein des entreprises publiques. Début 2021, 16 des 46 grandes entreprises publiques [12] sous giron fédéral étaient ainsi présidées par un militaire, bénéficiant au passage d’une culbute salariale non négligeable, donnant à ces nominations l’impression d’une vaste opération de pantouflage.

Le Président Jair Bolsonaro n’a jamais fait mystère de ses intentions de s’appuyer sur des militaires. Comme il le répétait encore en mai 2019 au micro de la radio Jovem Pan : « On est en train de changer plein de gens. Ça se remplit de militaires. On va en mettre encore plus. Avec les civils ça n’allait pas. Point final. » Un affichage tactique censé servir son image d’élu anti système, loin de la « vieille politique » des partis corrompus et de l’« establishment », privilégiant l’ordre et l’efficacité, deux valeurs cardinales des forces armées brésiliennes.

Outre les nominations, le Président n’a, depuis son ascension politique nationale, cessé de servir idéologiquement la cause des militaires. En réactivant sans cesse le mythe de l’ennemi de l’intérieur, accusant tour à tour les enseignants de communistes, les homosexuels ou les petits trafiquants des favelas d’être les responsables du naufrage du Brésil, il rappelait, en filigrane, le rôle nécessaire de l’armée pour ramener l’ordre et la sécurité.

En surfant sur cette vague favorable de nominations, le pouvoir militaire, avec l’appui d’une grosse poignée de députés fédéraux bienveillants, a défendu les avantages de la corporation et consolidé son pré-carré. Plusieurs exemples sont à cet égard assez significatifs. Cela avait débuté durant la courte présidence intérimaire de Michel Temer, lequel faisait annuler, dès son arrivée, un décret de 2015 qui retirait aux militaires l’autonomie de leurs écoles pour les placer sous la tutelle pédagogique du ministère de l’Éducation.

Ils obtiendront même du Président Bolsonaro la création d’un réseau d’écoles dites civiles-militaires placé sous la responsabilité de l’armée. En 2019, un temps sollicité pour participer aux efforts financiers imposés à la population dans le cadre de la réforme des retraites, les militaires et la police militaire auront finalement gain de cause en préservant intact les importants avantages de la corporation. Un « exploit » réédité dans le budget fédéral de 2021.

Alors que le salaire des fonctionnaires est gelé depuis 2017, les militaires bénéficient eux, d’une augmentation de leurs émoluments. Un effort budgétaire de 7 milliards de réaux à rapprocher du 1,2 milliard supplémentaire (hors dépenses exceptionnelles de 20 milliards de réaux pour financer la vaccination) attribué au ministère de la santé et donc au système public de santé (SUS), aux prises avec une pandémie majeure.

Bolsonaro et les hauts gradés de l’armée : un couple désuni

Si l’armée a « le vent en poupe », il serait pourtant aventureux de croire qu’elle est, avec Jair Bolsonaro dans ses bagages, en route pour renverser les institutions républicaines et instaurer un régime militaire. À cela plusieurs raisons.

Tout d’abord, les institutions en place ont montré une certaine résilience face aux tentatives présidentielles de peser sur elles. Entre 2018 et 2020, la chambre des députés fédéraux, principal contre-pouvoir du Président dans la constitution, sous la présidence du conservateur modéré Rodrigo Maia, n’a pas transformé le parlement en simple chambre d’enregistrement. Sur des sujets sensibles tels que la libération du port des armes, le transfert de la FUNAI (en charge de la démarcation des terres autochtones) du ministère de la justice à celui de l’agriculture, ou l’autonomie de l’exécutif en matière budgétaire, le Président a dû renoncer ou revoir à la baisse ses prétentions.

Surtout, la cour suprême (STF), dont les attributions vont bien au-delà du Conseil Constitutionnel à la française, bien que contestée, y compris par les propres fils du Président, a pu fonctionner normalement et démontrer une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.

Raisons politiques ensuite : l’harmonie entre le Président et les forces armées serait en réalité plus tumultueuse qu’il n’y paraît. Si l’on en croit la restitution des évènements, finement rapportés par João Roberto Martins Filho, les généraux du palais présidentiel « Planalto » ont peu gouté les incessantes sorties au débotté du Président, obsédé par la mobilisation de sa base électorale.

Entre les déclarations à la presse de Jair Bolsonaro sur la possibilité de créer une base militaire américaine autonome sur le territoire national ou celle d’une possible intervention militaire au Venezuela, contrevenant à la doctrine militaire brésilienne en Amérique Latine observée jusque-là [13], les généraux ont vu rouge et vite mesuré la nature incontrôlable du Président, dont on se souvient qu’il fût révoqué de l’armée pour insoumission et rébellion.

Ils ont pu mesurer aussi la nocivité des influents ministres civils les plus radicaux, dont le ministre des affaires étrangères Ernesto Araújo, disciple comme Jair Bolsonaro de l’idéologue d’extrême droite Olavo de Carvalho.

Une fois nommé, pensant avoir les mains libres, certains généraux se sont trouvés sous le joug des injonctions de l’entourage proche du Président ou du Président lui-même. Les récalcitrants ont été, ou marginalisé, ou démis de leur fonction, donnant lieu à un jeu de chaises musicales qui a laissé des traces et des souvenirs amers chez certains hauts-gradés.

Le général Juarez de Paula Cunha, président de la Poste brésilienne, réservé sur les bienfaits attendus du projet de privatisation de l’entreprise sera par exemple accusé par l’aile idéologique du gouvernement de se comporter comme un syndicaliste. Il sera rapidement écarté et remplacé par le général Floriano Peixoto.

Même sentence pour le général Franklimberg Ribeiro de Freitas, président de la fondation FUNAI, renvoyé pour avoir froissé les intérêts des « ruralistes », les grands propriétaires fonciers du secteur agricole. Le limogeage du respecté général Azevedo e Silva du ministère de la défense le 29 mars 2021, au profit du nostalgique de la dictature militaire, le général Braga Netto, aura suscité le plus de remous, en provoquant la démission simultanée des trois chefs d’état-major des trois corps de l’armée.

S’ajoutant aux intrigues de palais, la gestion pour le moins chaotique de la pandémie par le Président, qualifiée par l’opposition de « génocidaire » , et le bilan désastreux du ministre de la santé, le général Pazuello, aura passablement terni l’image de l’armée. Le préjudice à être associé à un gouvernement dominé par l’irrationalité et, depuis le 15 avril 2021, la cible d’une commission d’enquête parlementaire relative à la gestion de la pandémie, ont fait dire à plusieurs caciques de l’armée qu’il était l’heure de « rentrer à la maison ». Mais tous ne sont pas du même avis.

Quoi qu’il en soit, il est difficile d’imaginer que le Président puisse s’appuyer sur un bloc de hauts-gradés alignés sur le plan idéologique et doctrinal. Parmi les généraux, certains sont prêts à accompagner Bolsonaro dans sa guerre contre les ennemis de l’intérieur. Mais ils doivent composer avec des collègues qui, bien que n’ayant pas renoncé à peser sur les affaires civiles, s’avèrent être plus légitimistes et de ce fait bien plus modérés.

L’armée se révèle être aussi remuée par d’autres divisions internes, entre les hauts-gradés cumulant les privilèges et les soldats et officiers de second rang dont la qualité de vie dans les casernes n’est pas réputée pour être fameuse.

Enfin, au cœur de l’exécutif, les militaires doivent désormais faire face à la concurrence politique d’une constellation de partis du centre, connue pour s’allier avec n’importe qui et se rendre, en fin de compte, indispensable. En passant un accord avec elle, Jair Bolsonaro s’est assuré une certaine bienveillance du parlement mais devra en retour satisfaire aux exigences de ce courant politique opportuniste, qui sait manœuvrer et imposer ses exigences.

À peine arrivée à la tête de la chambre des députés, le centriste Arthur Lira a d’ailleurs provoqué un important remaniement ministériel avec le débarquement de trois ministres généraux au profit de civils. Ces politiciens du centre pourraient donc faire de l’ombre aux militaires, au moins jusqu’à l’élection présidentielle de 2022.

Au final, difficile de croire que le Brésil est à la veille d’un nouveau coup d’État militaire. Mais deux risques, liés entre eux, se profilent à l’horizon. Le premier, à brève échéance, est de voir un Président, lâché par un certain nombre de généraux, vouloir attiser les divisions au sein de l’armée en s’appuyant sur le mécontentement de la base : les soldats, notamment de la police militaire, auprès desquels il reste populaire. Une opération de polarisation que le président affectionne.

Le second, plus structurel, est de voir le « parti des militaires » et son autoritarisme s’installer durablement au premier plan de la vie politique brésilienne dans le cadre d’une démocratie de plus en plus formelle. Faute de partis politiques avec une base militante forte et une ligne doctrinale claire, qui soient autre chose que ce qu’ils sont : des machines électorales opportunistes, il y peu de chance, comme le remarquait Eurício Figueiredo, de voir le pouvoir civil au Brésil écarter durablement les militaires de ses affaires.


[1] Eurício Figueiredo, « O que faremos com os militares? », Lua Nova: Revista de cultura e política, vol. 1, n°4, mars 1985, p. 23 à 24.

[2] La période de dictature militaire (1964-1985) correspond à la 5ème République et se termine par l’élection au suffrage indirect d’un civil.

[3] « Les années de plomb » (“anos de chumbo”) entre 1967 et 1974 correspondent à la victoire du second groupe qui a provisoirement évincé le premier.

[4] Opposante politique à la dictature militaire, Dilma Rousseff avait été victime de tortures et privée de ses droits politiques pendant 10 ans.

[5] La CNV mentionne le nom de 377 agents de l’Etat, civils et militaires, auteurs de tels actes – la plupart décédés –,  avec une brève description des crimes qui leur sont reprochés.

[6] Francisco César Alves Ferraz loue l’efficacité de l’action politique des Forces armées pendant les débats de l’Assemblée constituante : elles ont réussi à faire adopter leurs principales demandes, à savoir : mission de sécurité publique, service militaire obligatoire, attribution de certains ministères aux forces armées, rôle de la justice militaire et subordination des polices militaires des états à l’Armée de terre. Voir Francisco César Alves Ferraz, « Relações entre civis e militares no Brasil: um esboço histórico », História & Ensino, Londrina, v4,  p.115-137,  out. 1998

[7] Interview de Jair Bolsonaro au journal National de la chaine Globo du 2 janvier 2019 au cours de laquelle il fait référence à une visite de courtoisie au général Villas Bôas du 6 novembre 2018, juste après son élection.

[8] Le chef de la Casa Civil, sorte de chef du gouvernement, le secrétaire du gouvernement, les ministres des sciences, des Mines et de l’énergie, des infrastructures, de la santé ou encore le très sensible cabinet de Sécurité Institutionnelle (GSI) ayant sous tutelle les services secrets du pays.

[9] Comme le vice-président de la cour des comptes brésilienne (TCU), Bruno Dantas.

[10] Sans préciser l’évolution du nombre total de fonctionnaires durant la période

[11] IBAMA est le principal institut en matière de défense de l’environnement, l’INCRA a en charge les questions foncières et la fondation FUNAI celles des populations autochtones.

[12] Petrobras, Correios; Amazul; Indústrias Nucleares do Brasil; Companhia das Docas do Estado da Bahia; Nuclebrás Equipamentos Pesados S.A.; Empresa Brasileira de Serviços Hospitalares; Companhia de Entrepostos e Armazéns Gerais de São Paulo; Empresa Gerencial de Projetos Navais, Engenharia, Construções e Ferrovias S.A.; Empresa de Planejamento e Logística S.A.; Financiadora de Estudos e Projetos e Indústria de Material Bélico do Brasil, Empresa brasileira de infraestrutura Aeroportuária.

[13] Interview du général Mourão à la chaine Globo du 25 février 2019.

Christine Jacquet

Sociologue, Professeure de sociologie à l’Université Fédérale du Sergipe (UFS)

Julien Dourgnon

Économiste

Notes

[1] Eurício Figueiredo, « O que faremos com os militares? », Lua Nova: Revista de cultura e política, vol. 1, n°4, mars 1985, p. 23 à 24.

[2] La période de dictature militaire (1964-1985) correspond à la 5ème République et se termine par l’élection au suffrage indirect d’un civil.

[3] « Les années de plomb » (“anos de chumbo”) entre 1967 et 1974 correspondent à la victoire du second groupe qui a provisoirement évincé le premier.

[4] Opposante politique à la dictature militaire, Dilma Rousseff avait été victime de tortures et privée de ses droits politiques pendant 10 ans.

[5] La CNV mentionne le nom de 377 agents de l’Etat, civils et militaires, auteurs de tels actes – la plupart décédés –,  avec une brève description des crimes qui leur sont reprochés.

[6] Francisco César Alves Ferraz loue l’efficacité de l’action politique des Forces armées pendant les débats de l’Assemblée constituante : elles ont réussi à faire adopter leurs principales demandes, à savoir : mission de sécurité publique, service militaire obligatoire, attribution de certains ministères aux forces armées, rôle de la justice militaire et subordination des polices militaires des états à l’Armée de terre. Voir Francisco César Alves Ferraz, « Relações entre civis e militares no Brasil: um esboço histórico », História & Ensino, Londrina, v4,  p.115-137,  out. 1998

[7] Interview de Jair Bolsonaro au journal National de la chaine Globo du 2 janvier 2019 au cours de laquelle il fait référence à une visite de courtoisie au général Villas Bôas du 6 novembre 2018, juste après son élection.

[8] Le chef de la Casa Civil, sorte de chef du gouvernement, le secrétaire du gouvernement, les ministres des sciences, des Mines et de l’énergie, des infrastructures, de la santé ou encore le très sensible cabinet de Sécurité Institutionnelle (GSI) ayant sous tutelle les services secrets du pays.

[9] Comme le vice-président de la cour des comptes brésilienne (TCU), Bruno Dantas.

[10] Sans préciser l’évolution du nombre total de fonctionnaires durant la période

[11] IBAMA est le principal institut en matière de défense de l’environnement, l’INCRA a en charge les questions foncières et la fondation FUNAI celles des populations autochtones.

[12] Petrobras, Correios; Amazul; Indústrias Nucleares do Brasil; Companhia das Docas do Estado da Bahia; Nuclebrás Equipamentos Pesados S.A.; Empresa Brasileira de Serviços Hospitalares; Companhia de Entrepostos e Armazéns Gerais de São Paulo; Empresa Gerencial de Projetos Navais, Engenharia, Construções e Ferrovias S.A.; Empresa de Planejamento e Logística S.A.; Financiadora de Estudos e Projetos e Indústria de Material Bélico do Brasil, Empresa brasileira de infraestrutura Aeroportuária.

[13] Interview du général Mourão à la chaine Globo du 25 février 2019.