Politique

Africa 2020 : l’empire de la restitution

Anthropologue

La Saison Africa 2020, décalée en raison de la crise sanitaire, entend montrer l’ouverture artistique, culturelle et intellectuelle de la France envers l’Afrique. Mais cette abondante programmation culturelle montre aussi toute l’ambiguïté de la séquence initiée par Emmanuel Macron en 2017 avec son discours sur la restitution des objets d’art classique africain. Tout autant qu’une opération de reconnaissance de l’art contemporain africain, il s’agit largement d’une entreprise d’assimilation de cet art au patrimoine architectural et historique français.

À la mémoire d’Okwui Enwezor (1963-2019)

Lors d’un colloque sur le thème désormais largement commenté de la restitution des objets d’art premier, ou comme l’on dit maintenant d’art « classique », aux pays africains, on a pu entendre des propos étonnants relatifs à l’« exil » que ces objets auraient connu, à la souffrance qui aurait résulté de leur séjour en « diaspora » et à la nécessité du retour au bercail de ces « enfants prodigues » afin qu’ils y retrouvent leur statut de « sujet » [1]. En somme, ce processus était conçu comme une sorte de contre-attaque artistique de ces objets envers l’ancien empire colonial coupable de les avoir « cannibalisés » ou enfermés dans des musées [2].

publicité

Le rapatriement d’objets africains volés sous la colonisation dans leurs pays d’origine est donc une thématique lourdement chargée d’affects puisqu’elle s’inscrit dans une problématique post ou décoloniale, dont on sait qu’elle inspire dorénavant une grande partie de l’art contemporain africain. Dans cette optique, les statues et les masques africains, à l’instar de certains sites naturels, seraient devenus des « sujets de droit » pouvant même dans certains cas bénéficier d’un « droit d’asile ».

Aussi ne faut-il pas s’étonner si le thème de la restitution était au centre de la très belle exposition « Retour », hébergée à Nantes [3] dans le cadre de la Saison Africa 2020. Huit artistes, dont sept sont Africains (dont un « Blanc ») et le huitième un Français de Nantes, présentaient ainsi des œuvres inspirées par la thématique de la restitution qui devient par elle-même, au-delà d’une exigence morale et politique, un puissant imaginaire artistique.

Mais indépendamment de son côté « politiquement correct », souligné par l’une des commissaires de l’exposition dans une vidéo de présentation, c’est l’émotion esthétique qui prévaut à la vue de certaines œuvres. Parmi celles-ci, signalons tout d’abord Homeless (2015) de l’Ivoirien Jemi Koko Bi, un bateau chargé de masques et de statue


[1] Colloque « Le Retour de la restitution », Sorbonne, Paris, 12 juin 2019.

[2] Marc-Olivier Gonseth, Jacques Hainard et Roland Kaehr, (dir.), Le Musée cannibale, Neuchâtel, Musée d’ethnographie, 2002 ; Jean-Loup Amselle, Le Musée exposé, Fécamp, Lignes, 2017

[3] « Retour. À la rencontre de l’Afrique contemporaine », à la galerie l’Atelier, 27 mai-20 juin 2021, commissaires Mélanie Vietmeier et Sylvain Djache Nzefa.

[4] « Brise du rouge soleil », tours et remparts d’Aigues-Mortes, jusqu’au 26 septembre 2021.

[5] « En quête de liberté », La Conciergerie, Paris jusqu’au 14 novembre 2021.

[6] « Ce qui s’oublie et ce qui reste », Musée de l’histoire de l’immigration Paris, 19 mai-29 août 2021.

[7] « El Anatsui revisite la Conciergerie », Paris, jusqu’au 14 novembre 2021.

[8] Jean-Loup Amselle, L’Art de la friche. Essai sur l’art africain contemporain, Flammarion, 2005.

[9] Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, Restituer le patrimoine africain, Philippe Rey/Seuil, 2018.

[10] Jean-Loup Amselle, « Le primitivisme, une pure invention coloniale », « Ex Africa, Présences africaines dans l’art d’aujourd’hui », Beaux-Arts, Musée du quai Branly, 2021.

[11] Triennale « Intense Proximité », Palais de Tokyo, 2012, commissaire Okwui Enwezor.

Jean-Loup Amselle

Anthropologue, Directeur de recherche émérite à l'EHESS

Notes

[1] Colloque « Le Retour de la restitution », Sorbonne, Paris, 12 juin 2019.

[2] Marc-Olivier Gonseth, Jacques Hainard et Roland Kaehr, (dir.), Le Musée cannibale, Neuchâtel, Musée d’ethnographie, 2002 ; Jean-Loup Amselle, Le Musée exposé, Fécamp, Lignes, 2017

[3] « Retour. À la rencontre de l’Afrique contemporaine », à la galerie l’Atelier, 27 mai-20 juin 2021, commissaires Mélanie Vietmeier et Sylvain Djache Nzefa.

[4] « Brise du rouge soleil », tours et remparts d’Aigues-Mortes, jusqu’au 26 septembre 2021.

[5] « En quête de liberté », La Conciergerie, Paris jusqu’au 14 novembre 2021.

[6] « Ce qui s’oublie et ce qui reste », Musée de l’histoire de l’immigration Paris, 19 mai-29 août 2021.

[7] « El Anatsui revisite la Conciergerie », Paris, jusqu’au 14 novembre 2021.

[8] Jean-Loup Amselle, L’Art de la friche. Essai sur l’art africain contemporain, Flammarion, 2005.

[9] Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, Restituer le patrimoine africain, Philippe Rey/Seuil, 2018.

[10] Jean-Loup Amselle, « Le primitivisme, une pure invention coloniale », « Ex Africa, Présences africaines dans l’art d’aujourd’hui », Beaux-Arts, Musée du quai Branly, 2021.

[11] Triennale « Intense Proximité », Palais de Tokyo, 2012, commissaire Okwui Enwezor.