Politique

Duel au soleil des médias : Zemmour et Mélenchon

Historien

Le débat entre Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour, qui doit se tenir jeudi soir en direct sur BFMTV, est attendu comme un combat, un duel qui révèlera l’illégitimité de l’un ou de l’autre des deux participants. Mais ce qui se joue dans ce clash, ce n’est pas la victoire d’une position sur une autre, puisqu’il lui manque la condition minimale de toute discussion, le fait de se montrer disposé à endosser éventuellement le point de vue de l’autre. Ce qu’il convient de prendre au sérieux, en revanche, ce sont les effets concrets de ces dispositifs médiatiques agonistiques sur les pratiques démocratiques elles-mêmes.

Nous assistons depuis plusieurs années à une transformation des conditions du débat public, dans les médias de l’audiovisuel notamment, caractérisée par la multiplication de confrontations dans lesquelles les protagonistes semblent moins soucieux de se convaincre mutuellement et de convaincre le public que de réduire au silence leur adversaire. Sur les plateaux de télévision ou dans les débats radiophoniques, les attaques personnelles cherchant à déstabiliser l’opposant, les interruptions destinées à l’empêcher de s’exprimer, le refus de répondre aux questions et surtout de faire place au point de vue opposé pour faire émerger de possibles points d’accord ou de convergence sont devenus courants, au point de s’imposer parfois comme l’objectif à peine dissimulé de certains dispositifs de parole et de certains castings qui visent à « faire le buzz » pour accroître les audiences.

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Ces transformations sont évidemment inséparables de processus de longue haleine : l’exigence croissante de participation citoyenne à la discussion des affaires publiques au sein des démocraties[1] ; l’émergence en France depuis 1987 de chaînes d’information en continu[2] qui trouvent dans les émissions de débats une manière peu coûteuse d’occuper l’antenne et d’être citées dans les revues de presse et autres résumés de l’actualité que proposent, par exemple, certains opérateurs téléphoniques ou moteurs de recherche[3] ; l’essor spectaculaire des réseaux sociaux. À terme, ces transformations ont affecté très largement la physionomie, la sociologie et la déontologie du débat public dans certains médias, sur les questions politiques, bien entendu, mais aussi sur une gamme de plus en plus vaste de sujets dits « de société ».

Ces transformations sont, d’une part, au principe du succès croissant d’émissions de « débats », de talk-show ou d’infotainment qui reposent sur la mise en présence d’intervenants que l’on met en situation de confrontation, ne serait-ce que par l’aménagement de certai


[1] Loïc Blondiaux, « Démocratie délibérative vs. démocratie agonistique ? Le statut du conflit dans les théories et les pratiques de participation contemporaines », Raisons politiques, vol. 30, no. 2, 2008, p. 131-147.

[2] Chronologie des créations : « Info en continu, journalisme à la chaîne », par Frédéric Lemaire sur Acrimed. Sur l’économie low-cost des chaînes, cf. Dominique Marchetti et Olivier Baisnée, « L’économie de l’information en continu », Réseaux, 2002, 4, n° 114.

[3] Régis Soubrouillard, « L’info à la chaîne. BFMTV, I-Télé, LCI », Le Débat, vol. 181, no. 4, 2014, p. 37-51 : « c’est là que réside le problème de l’info en continu : que mettre à l’antenne sur une chaîne info quand il n’y a pas d’infos ? (…) Il faut donc occuper l’antenne, analyser, décrypter, éditorialiser, débattre. Sans fin. Sur tout. Sur rien. » (p. 39).

[4] Voir ici les analyses de Christian Salmon, L’Ère du clash, Paris, Fayard, qui parle d’agonistique « fondée sur la surenchère ». Sur la place d’Éric Zemmour et les formes particulières de sa rhétorique, Gérard Noiriel, Le venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République, chapitre 3 : « L’art d’avoir toujours raison », pp. 123-164.

[5] David Medioni, « Faut-il supprimer les chaînes d’info en continu ? », note de la Fondation Jean Jaurès, 7 janvier 2021 évoque « des éditorialistes “bons clients” qui assurent le spectacle et surtout le clash. Car c’est bien là la logique de la chaîne : faire en sorte que le clash arrive et que le téléspectateur soit attiré par cette invective permanente ».

[6] Pierre Bourdieu, « Le hit-parade des intellectuels français ou qui sera juge de la légitimité des juges ? », Actes de la recherche en sciences sociales, juin 1984, pp. 95-100.

[7] Voir Philippe Breton, L’Incompétence démocratique. La crise de la parole aux sources du malaise (dans la) politique, La Découverte, 2006.

[8] Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation : la nouvelle rh

Olivier Christin

Historien, Directeur d'études à l'EPHE et directeur du Centre européen d'études républicaines

Mots-clés

Journalisme

Notes

[1] Loïc Blondiaux, « Démocratie délibérative vs. démocratie agonistique ? Le statut du conflit dans les théories et les pratiques de participation contemporaines », Raisons politiques, vol. 30, no. 2, 2008, p. 131-147.

[2] Chronologie des créations : « Info en continu, journalisme à la chaîne », par Frédéric Lemaire sur Acrimed. Sur l’économie low-cost des chaînes, cf. Dominique Marchetti et Olivier Baisnée, « L’économie de l’information en continu », Réseaux, 2002, 4, n° 114.

[3] Régis Soubrouillard, « L’info à la chaîne. BFMTV, I-Télé, LCI », Le Débat, vol. 181, no. 4, 2014, p. 37-51 : « c’est là que réside le problème de l’info en continu : que mettre à l’antenne sur une chaîne info quand il n’y a pas d’infos ? (…) Il faut donc occuper l’antenne, analyser, décrypter, éditorialiser, débattre. Sans fin. Sur tout. Sur rien. » (p. 39).

[4] Voir ici les analyses de Christian Salmon, L’Ère du clash, Paris, Fayard, qui parle d’agonistique « fondée sur la surenchère ». Sur la place d’Éric Zemmour et les formes particulières de sa rhétorique, Gérard Noiriel, Le venin dans la plume. Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République, chapitre 3 : « L’art d’avoir toujours raison », pp. 123-164.

[5] David Medioni, « Faut-il supprimer les chaînes d’info en continu ? », note de la Fondation Jean Jaurès, 7 janvier 2021 évoque « des éditorialistes “bons clients” qui assurent le spectacle et surtout le clash. Car c’est bien là la logique de la chaîne : faire en sorte que le clash arrive et que le téléspectateur soit attiré par cette invective permanente ».

[6] Pierre Bourdieu, « Le hit-parade des intellectuels français ou qui sera juge de la légitimité des juges ? », Actes de la recherche en sciences sociales, juin 1984, pp. 95-100.

[7] Voir Philippe Breton, L’Incompétence démocratique. La crise de la parole aux sources du malaise (dans la) politique, La Découverte, 2006.

[8] Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation : la nouvelle rh