Politique

La dramaturgie « populiste » et ses impasses

Philosophe

Face aux dramaturgies « libérale » d’un côté et « lutte des classes » de l’autre, un « populisme » s’est progressivement affirmé sur la scène politique. Mais cette troisième dramaturgie de gauche se trouve travaillée par des contradictions qui la rendent impuissante à déployer une politique d’émancipation populaire.

Le « populisme » continue de hanter les commentaires politiques, la plupart du temps comme un terme péjoratif disqualifiant celui à qui on l’impute. Des travaux récents[1] engagent à distinguer le populisme, concept de la théorie politique, du « populisme », catégorie de la médiarchie[2].

Le premier est un concept de la politique de la seconde modernité, formé à partir des expériences historiques reconnues par la communauté scientifique ou auto-qualifiées de populistes : il désigne des mouvements démocratiques, interclassistes, proches du courant socialiste, qui imputent la crise sociale, dans laquelle ils voient le jour, à un déficit de démocratie, et prônent l’avènement d’une démocratie effective, contre la dépossession du pouvoir du peuple par ceux qui sont censés le représenter. Historiquement, le populisme ne peut être que de gauche, inutile de le préciser.

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La seconde acception procède de la médiarchie qui met en scène des manières de la politique, contribuant ainsi non pas à la compréhension d’une situation concrète, mais à sa configuration : à la différence d’une analyse théorique qui cherche à rendre compte objectivement d’un état des choses, elle vise à orienter les esprits, donc les affects, dans une direction déterminée.

Il y a solution de continuité de l’un à l’autre, mais certains thèmes du premier peuvent, malgré tout, passer dans la seconde. Les hypothèses que je formule ici ne concernent que le « populisme » dans sa version de gauche : dans la sphère médiarchique le « populisme » peut être capté par un ethno-nationalisme qui prétend parler « au nom du peuple ».

Populisme et nationalisme

Comment rendre raison de cette catégorie dans la conjoncture qui peut expliquer son usage pour nommer une stratégie politique ?

Le « populisme », mais c’est vrai aussi du nationalisme, se déploie sur fond de deux éléments qui se conjuguent.

D’une part, le sentiment d’un affaiblissement de la puissance nationale qui peut être éprouvé sur le mode d’une blessur


[1] Notamment Federico Tarragoni, L’esprit démocratique du populisme, Paris, La Découverte 2019, et Manuel Cervera-Marzal, Le populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise, Paris, La Découverte 2021. Le présent article reprend les termes d’une intervention donnée au colloque Le populisme de gauche. Histoire, Théorie, Pratique, organisé par l’Université de Liège les 14 et 15 octobre 2021.

[2] Terme forgé par Yves Citton, Médiarchie, Paris, Éditions du Seuil, 2017 ; « Dispositifs populistes et régimes médiarchiques », in Multitudes, 2015/4 (n° 61).

[3] Voir notamment : Étienne Balibar, « Europe : l’impuissance des nations et la question populiste », Actuel Marx, 2013/2, n° 54 ; Étienne Balibar, « Populisme : au miroir américain », Libération, 3 janvier 2017.

[4] Ernst Gellner, Nations et nationalisme, traduit par Bénédicte Pineau, Paris, Payot 1983.

[5] Voir Yves Citton, op. cit. et Gabriel Tarde L’opinion et la foule, Paris, P.U.F., 1989.

[6] Je reprends ce concept à Laurence Kaufmann, « Le singulier, le pluriel et le général » in SociologieS, dossier « L’espace public à l’épreuve des figures de la singularité », mis en ligne le 23 mai 2019.

[7] Jacques Rancière, « Non, le peuple n’est pas une masse brutale et ignorante », in Qu’est-ce qu’un peuple ?, collectif, Paris, La Fabrique 2013.

[8] Je choisis cette dénomination en référence à l’émission de télévision du 22 février 1984, présentée sur Antenne 2 par Yves Montand, avènement fracassant de l’hégémonie du néolibéralisme en France, et qui concluait à la responsabilité de chacun dans l’issue de la crise, de manière telle que nous n’aurions que ce que nous méritons.

[9] La méconnaissance de ce syntagme classique, que l’on trouve chez La Bruyère, où « être peuple » vaut comme « être vulgaire », repris fièrement par Robespierre et encore par Michelet, a valu une interprétation psychologisante fallacieuse, notamment en prenant appui sur un « soy pueblo » prononcé par Chavez : on y a vu le signe de la mégalomani

Gérard Bras

Philosophe, Directeur de programme au Collège International de Philosophie et président de l'Université populaire des Hauts-de-Seine

Rayonnages

Politique

Mots-clés

Populisme

Notes

[1] Notamment Federico Tarragoni, L’esprit démocratique du populisme, Paris, La Découverte 2019, et Manuel Cervera-Marzal, Le populisme de gauche. Sociologie de la France insoumise, Paris, La Découverte 2021. Le présent article reprend les termes d’une intervention donnée au colloque Le populisme de gauche. Histoire, Théorie, Pratique, organisé par l’Université de Liège les 14 et 15 octobre 2021.

[2] Terme forgé par Yves Citton, Médiarchie, Paris, Éditions du Seuil, 2017 ; « Dispositifs populistes et régimes médiarchiques », in Multitudes, 2015/4 (n° 61).

[3] Voir notamment : Étienne Balibar, « Europe : l’impuissance des nations et la question populiste », Actuel Marx, 2013/2, n° 54 ; Étienne Balibar, « Populisme : au miroir américain », Libération, 3 janvier 2017.

[4] Ernst Gellner, Nations et nationalisme, traduit par Bénédicte Pineau, Paris, Payot 1983.

[5] Voir Yves Citton, op. cit. et Gabriel Tarde L’opinion et la foule, Paris, P.U.F., 1989.

[6] Je reprends ce concept à Laurence Kaufmann, « Le singulier, le pluriel et le général » in SociologieS, dossier « L’espace public à l’épreuve des figures de la singularité », mis en ligne le 23 mai 2019.

[7] Jacques Rancière, « Non, le peuple n’est pas une masse brutale et ignorante », in Qu’est-ce qu’un peuple ?, collectif, Paris, La Fabrique 2013.

[8] Je choisis cette dénomination en référence à l’émission de télévision du 22 février 1984, présentée sur Antenne 2 par Yves Montand, avènement fracassant de l’hégémonie du néolibéralisme en France, et qui concluait à la responsabilité de chacun dans l’issue de la crise, de manière telle que nous n’aurions que ce que nous méritons.

[9] La méconnaissance de ce syntagme classique, que l’on trouve chez La Bruyère, où « être peuple » vaut comme « être vulgaire », repris fièrement par Robespierre et encore par Michelet, a valu une interprétation psychologisante fallacieuse, notamment en prenant appui sur un « soy pueblo » prononcé par Chavez : on y a vu le signe de la mégalomani