Société

De la responsabilité du monde universitaire face au racisme

Philosophe

La liberté académique dont disposent les universitaires engage également une responsabilité : ils ont le devoir d’affirmer leur solidarité à l’égard de tous les membres de la communauté de savoirs dont ils font partie et de dénoncer le racisme institutionnalisé dont peuvent faire l’objet leurs étudiants et leurs collègues.

Dans l’espace francophone occidental, que ce soit en France, en Belgique ou au Québec, adossée à une opinion publique qui lui est volontiers favorable, une partie de la communauté épistémique en sciences sociales et humaines s’estime menacée dans sa liberté académique. Déclinant l’indignation sous différentes expressions (péril à la cohésion sociale, dérives indigénistes, racisme inversé, wokisme, etc.), les atteintes présumées à la liberté d’expression académique tracent leur orbite autour d’un champ réduit de domaines de recherche dont le retard d’institutionnalisation dans le monde francophone est pourtant objectivement criant. Que ce soient les études critiques sur la race, les philosophies africana ou encore les théories décoloniales, postcoloniales ou sur le genre, ces champs de recherche sont tenus responsables d’introduire une fracture communautaire qui leur préexiste à l’évidence.

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C’est généralement dans l’hostilité de leur écosystème institutionnel que de rares acteurs introduisent des enseignements, mènent des projets de recherche et proposent des outils cognitifs à leurs étudiants dans l’objectif de leur permettre de déchiffrer notre héritage humain collectif : celui d’un monde postcolonial. On assiste parallèlement à un autre phénomène, celui des enseignants qui s’emparent de ces théories pour s’autoriser à utiliser des termes qu’ils relativisent, qui heurtent, qui blessent, qui réveillent des traumatismes collectifs en réaffirmant l’actualité de l’imaginaire symbolique de la hiérarchie raciale. Des étudiants se révoltent. Les médias s’en emparent, ouvrent leurs pages aux messagers de ces discours réactionnaires. Avec une méconnaissance inouïe des prémisses épistémique qu’ils prétendent réfuter (une incompétence qui serait condamnée vigoureusement dans n’importe quel autre domaine de recherche conventionnel), des universitaires et intellectuels ânonnent une seule et même thèse déclinée sous un champ lexical synonymique : « scandale », « censur


[1] « Noir Canada – Entente entre Barrick Gold et Écosociété », Alexandre Shields, Le Devoir, 19 octobre 2021.

[2] Déclaration de l’AIU, « Liberté académique, autonomie universitaire et responsabilité sociale ».

[3] « « En tant que scientifique d’un pays du sud, je me sens humilié » : un professeur sénégalais retenu à son arrivée à Zaventem », Wahoub Fayoumi et Françoise Wallemacq, RTBF Info, 13 octobre 2021.

[4] Le Sénégal étant considéré comme une zone sanitaire à risques, malgré son bilan de moins d’une dizaine de cas journaliers.

[5] Faut-il le rappeler, « le Blanc » comme « le Noir » ne sont pas des réalités biologiques raciales mais bien plutôt des constructions historiques et sociales assignant une appartenance et l’octroi ou la privation de privilèges correspondants, en fonction d’une symbolique de la couleur de la peau. Ainsi suis-je plus précisément une « white-passing » (je « passe pour » Blanche), étant née au Canada d’un père immigrant, arabe et juif. Que mon éducation familiale m’ait très tôt amenée à développer une subjectivité différente de celle du groupe majoritaire n’a aucune d’importance : jouissant de tous les privilèges sociaux relatifs au fait d’être « vue comme » Blanche, il s’en suit que je le suis.

[6] Mbembe, Achille (2016), « La pharmacie de Fanon », in Politique de l’inimitié, Paris: La Découverte, 91‑140.

[7] Renault, Matthieu (2011), Frantz Fanon. De l’anticolonialisme à la critique postcoloniale, Paris: éd. Amsterdam.

[8] « Ottawa refuse de plus en plus d’étudiants francophones, surtout venus d’Afrique », Sarah R. Champagne, Le Devoir, 19 novembre 2021.

[9] « CAAS (Canadian Association on African Studies) lauches report on visa refusals », 3 juin 2019.

[10] BBC News, 29 novembre 2021, « Omicron : les symptômes du nouveau variant du Covid-19, selon le médecin qui l’a découvert en Afrique du Sud ».

[11] Pour l’instant, seuls l’Afrique du Sud, le Bostwana, le Zimbabwe, la Namibie, le Lesotho, l’Eswatini, le Nigeria, l’Égypte, le Mozambiq

Delphine Abadie

Philosophe, Maîtresse de conférences à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Notes

[1] « Noir Canada – Entente entre Barrick Gold et Écosociété », Alexandre Shields, Le Devoir, 19 octobre 2021.

[2] Déclaration de l’AIU, « Liberté académique, autonomie universitaire et responsabilité sociale ».

[3] « « En tant que scientifique d’un pays du sud, je me sens humilié » : un professeur sénégalais retenu à son arrivée à Zaventem », Wahoub Fayoumi et Françoise Wallemacq, RTBF Info, 13 octobre 2021.

[4] Le Sénégal étant considéré comme une zone sanitaire à risques, malgré son bilan de moins d’une dizaine de cas journaliers.

[5] Faut-il le rappeler, « le Blanc » comme « le Noir » ne sont pas des réalités biologiques raciales mais bien plutôt des constructions historiques et sociales assignant une appartenance et l’octroi ou la privation de privilèges correspondants, en fonction d’une symbolique de la couleur de la peau. Ainsi suis-je plus précisément une « white-passing » (je « passe pour » Blanche), étant née au Canada d’un père immigrant, arabe et juif. Que mon éducation familiale m’ait très tôt amenée à développer une subjectivité différente de celle du groupe majoritaire n’a aucune d’importance : jouissant de tous les privilèges sociaux relatifs au fait d’être « vue comme » Blanche, il s’en suit que je le suis.

[6] Mbembe, Achille (2016), « La pharmacie de Fanon », in Politique de l’inimitié, Paris: La Découverte, 91‑140.

[7] Renault, Matthieu (2011), Frantz Fanon. De l’anticolonialisme à la critique postcoloniale, Paris: éd. Amsterdam.

[8] « Ottawa refuse de plus en plus d’étudiants francophones, surtout venus d’Afrique », Sarah R. Champagne, Le Devoir, 19 novembre 2021.

[9] « CAAS (Canadian Association on African Studies) lauches report on visa refusals », 3 juin 2019.

[10] BBC News, 29 novembre 2021, « Omicron : les symptômes du nouveau variant du Covid-19, selon le médecin qui l’a découvert en Afrique du Sud ».

[11] Pour l’instant, seuls l’Afrique du Sud, le Bostwana, le Zimbabwe, la Namibie, le Lesotho, l’Eswatini, le Nigeria, l’Égypte, le Mozambiq