Politique

Éternité ou inévitabilité, une dangereuse alternative politique

Historien

En 2022 comme en 2017, l’élection présidentielle semble s’être réduite à un choix entre « politique d’éternité » et « politique d’inévitabilité », binarité exposée par Timothy Snyder dans The Road to Unfreedom. La première se caractérise par une vision de la patrie fondée sur le retour et la défense d’un passé idéal et fantasmé. La seconde existe là où la doxa néolibérale a convaincu les décideurs qu’il n’existait au fond aucune alternative politique à la loi exclusive du marché. Un duel mortifère qui ronge le tissu démocratique.

Au lendemain d’un deuxième tour où se jouait un prévisible remake de l’élection de 2017, il est plus que jamais temps d’interroger l’état de la démocratie française en cette époque de crises et de doutes, de pandémie et de guerre, de catastrophe climatique et de perte de confiance dans les institutions représentatives. On ne peut que comprendre la colère et la déception de celles et ceux qui se retrouvent, une nouvelle fois, à devoir trancher entre la peste et le choléra pour les plus véhéments, entre Charybde et Scylla pour tenter une comparaison plus érudite.

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Les citoyens se retrouvent surtout réduits à faire un choix qui n’en est pas un, puisqu’il ne s’agit plus d’opter entre des visions de la société certes divergentes mais inscrites dans le cadre républicain, mais une fois de plus de « faire barrage » à l’extrême droite, et donc de voter pour le candidat « républicain », peu importe que l’on adhère ou non à ses idées. En effet, que l’on milite à gauche ou que l’on se réclame de la droite républicaine, voir s’installer durablement un choix binaire entre un progressisme identifié au néolibéralisme et une extrême droite identitaire, qui seraient les seules alternatives possibles en termes de choix de société, ne manque pas d’inquiéter.

Dans un livre éclairant, publié en 2018 et malheureusement non traduit en français, l’historien américain et spécialiste de l’Ukraine Timothy Snyder développe deux concepts qui permettent de penser ce qui se joue dans l’opposition entre le « progressisme » macronien et l’« identité » lepeniste (ou zemmourienne). Intitulé The Road to Unfreedom[1], l’ouvrage décrypte la perception du monde par Vladimir Poutine et décrit l’idéologie panrusse qui anime le maître du Kremlin depuis son accession au pouvoir. Il montre ainsi que, contrairement aux protestations étonnées de nombre de nos dirigeants pétris de naïveté, animés par des intérêts à court terme ou aveuglés par une conviction très européenne que la paix et le libre commerc


[1] Timothy Snyder, The Road to Unfreedom. Russia, Europe, America, New York, Tim Duggan Books, 2018.

[2] « Russie : ce discours de Vladimir Poutine en 2007 qui résonne avec la crise actuelle en Ukraine », FranceInfo, 18 février 2022.

[3] Extrait du discours sur le site de l’INA.

[4] Francis Fukuyama, The End of History and the Last Man, New York, Free Press, 1992.

[5] « Éric Zemmour : “Je rêve d’un Poutine français !” », L’Opinion, 18 septembre 2018.

[6] Le 3 juillet 2021, lors d’un discours prononcé pour l’inauguration de la Station F, dans le XIIIe arrondissement de Paris, Emmanuel Macron a dit « Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien, parce que c’est un lieu où on passe, un lieu que l’on partage (…) », provoquant immédiatement de vives réactions, à gauche comme à droite.

Fabrice Flückiger

Historien, Chercheur postdoctoral à la Ludwig-Maximilian-Universität München et chercheur associé au CEDRE PSL

Notes

[1] Timothy Snyder, The Road to Unfreedom. Russia, Europe, America, New York, Tim Duggan Books, 2018.

[2] « Russie : ce discours de Vladimir Poutine en 2007 qui résonne avec la crise actuelle en Ukraine », FranceInfo, 18 février 2022.

[3] Extrait du discours sur le site de l’INA.

[4] Francis Fukuyama, The End of History and the Last Man, New York, Free Press, 1992.

[5] « Éric Zemmour : “Je rêve d’un Poutine français !” », L’Opinion, 18 septembre 2018.

[6] Le 3 juillet 2021, lors d’un discours prononcé pour l’inauguration de la Station F, dans le XIIIe arrondissement de Paris, Emmanuel Macron a dit « Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien, parce que c’est un lieu où on passe, un lieu que l’on partage (…) », provoquant immédiatement de vives réactions, à gauche comme à droite.