Internet, technologie de puissance dans un monde déchiré par la (cyber-)guerre
Nous étudions depuis plusieurs années les architectures et les infrastructures d’Internet comme instruments de gouvernance, c’est-à-dire comment les technologies qui facilitent les interactions en ligne et la connexion à un réseau global peuvent être utilisées, voir cooptées, par des acteurs étatiques et du secteur privé pour une variété d’objectifs politiques.
Depuis quelques années, notamment dans le cadre du projet ResisTIC, la Russie offre un cas d’étude particulièrement stimulant, à la fois du fait de ses spécificités et parce qu’il permet d’identifier et d’analyser certaines tendances plus larges qui concernent la souveraineté numérique, la surveillance ou la gouvernance d’Internet.

Cet article fera le point sur l’arsenal technique et législatif mis en place par la Russie au cours de la dernière décennie pour renforcer sa souveraineté et son indépendance numérique, et reliera ces enjeux au contexte actuel de la guerre en Ukraine.
Un arsenal législatif et technique toujours plus imposant
Au cours de la première décennie du XXIe siècle, caractérisée par des niveaux relativement élevés de liberté dans l’innovation numérique, les contraintes techniques de la construction de l’Internet russe (RuNet) sont restées pour la plupart invisibles pour ses utilisateurs. Cependant, depuis le début des années 2010, les réglementations de plus en plus strictes imposées par le gouvernement ont rendu ces contraintes plus manifestes. En particulier, Roskomnadzor (RKN), l’organisme du gouvernement fédéral de contrôle des communications, a vu sa compétence et sa portée rapidement étendues à des domaines aussi variés que le contrôle du contenu en ligne, le droit de bloquer des sites Web et l’enregistrement dans une « liste noire » de sites Web bloqués, avec un pouvoir accru de censure. Le contrôle de RKN repose sur son important réseau de relations et de collaborations avec les acteurs qui assurent le fonctionnement d’Internet et proposent des solutions de connectivité aux