Salman Rushdie, le fabuliste
Parler. Reparler au plus vite. Aussitôt l’assistance respiratoire débranchée, Salman Rushdie a articulé quelques mots depuis son lit d’hôpital, lui qu’on avait cherché à faire taire à tout jamais. Et son fils, Zafar, aujourd’hui âgé de 42 ans, s’est empressé de rapporter, sinon la lettre, du moins l’esprit de propos frappés au coin de l’humour, nous assure-t-on. Le même Zafar auquel son père dédiait, en 1990, Haroun et la mer des histoires, premier livre de fiction écrit après la traversée du désert consécutive à la fatwa : un fils y entreprend un éprouvant voyage, au terme duquel il rendra la parole à son géniteur soudainement frappé d’aphasie. La réalité rejoindrait-elle la fiction ?

Converser, échanger, en la circonstance avec un ami éditeur, également blessé lors de l’attaque, quoique plus légèrement, c’était du reste ce que l’écrivain s’apprêtait à faire, à la tribune de la Chautauqua Foundation, dans la matinée du 12 août 2022. Il est vrai que c’est en public que Rushdie brille de mille (et un) feux. Multipliant anecdotes et mots d’esprits, il est sur scène comme un poisson dans l’eau, et son verbe ample, doublé d’un tonitruant rire d’ogre, fait merveille. Il lui arrive même de jouer au ventriloque ou à l’imitateur, usant de la parole comme d’une arme de séduction massive, optant pour la faconde du showman prompt à mettre les rieurs de son côté.
Les romans rushdiens regorgent de présages et de pythies ; ils ne cessent de se tendre en avant, de regarder vers l’avenir, revendiquant une forte composante divinatoire.
Mais parler d’abondance est une chose, écrire en est une autre. En règle générale, les écrivains, Patrick Modiano en est un parfait exemple, éprouvent souvent de l’embarras quand il s’agit de prendre la parole. Les deux registres, oral et écrit, font appel à des dispositions foncièrement différentes. Originaire d’une aire géographique où la culture se transmet beaucoup par voie orale (d’où la notion d’« oraliture » reprise par la théorie pos