Éducation

École : l’étrange « révolution culturelle » annoncée de Macron

Historien

À quelques jours de la rentrée des classes, l’intervention inédite d’Emmanuel Macron devant les recteurs d’académie réunis à la Sorbonne jeudi 25 août augure des débats sur l’École d’un nouveau genre. À l’opposé des consultations nationales des cinquante dernières années, le président de la République appelle à « inverser la pyramide » par des débats déclinés à l’échelon local. Nous voici donc face à un OVNI dont on perçoit difficilement les contours et les procédures.

«Nous devons avoir l’audace de changer de méthode. C’est une révolution culturelle ! » En s’adressant aux recteurs et DASEN (inspecteurs d’académie) réunis dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne le 25 août (une première historique), le président de la République Emmanuel Macron n’a pas varié sur ce qu’il a mis en avant lors de son intervention à Marseille le 2 juin dernier et qui est aussi décliné depuis par le nouveau ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Pap Ndiaye. On aurait tort de voir là une simple lubie ou la recherche d’un effet d’annonce.

publicité

Dans sa circulaire de rentrée, Pap Ndiaye a repris deux axes déjà fixés par le président de la République Emmanuel Macron, qui n’avait pas hésité à déclarer lors de leurs annonces le 2 juin dernier à Marseille : « on inverse la pyramide ; c’est une révolution culturelle ». Il s’agit des concertations à mener à l’automne et de la propagation de l’« expérimentation marseillaise ». Cela place ces « concertations » là d’une tout autre façon que les « concertations » ou « consultations » nationales qui ont déjà eu lieu ces cinquante dernières années.

« À l’automne, des réflexions collectives associant nos partenaires seront engagées au sein des équipes, à partir du projet de leur école ou de leur établissement, afin qu’elles puissent identifier leurs atouts, leurs difficultés et leurs besoins. Chaque académie sera chargée de l’organisation générale de ces débats qui se déclineront à l’échelon local dans les écoles et établissements pour susciter, encourager et accompagner les initiatives les plus adaptées à la réussite des élèves […]. Dans la continuité de l’expérimentation marseillaise et en vue d’en généraliser progressivement la méthode, le ministère met en place un dispositif d’appui aux innovations locales pour la réussite des élèves. Ces moyens supplémentaires permettront de soutenir les projets et les ambitions des équipes pédagogiques, avec un accompagnement renforcé des académies pour construire l’École du Futur[1]. »

Lors de sa visite à Marseille en compagnie de Pap Ndiaye le 2 juin dernier, Emmanuel Macron nouvellement réélu s’est nettement prononcé pour la « généralisation » de l’expérimentation marseillaise en la caractérisant ainsi : « Des enseignants qui soient plus libres, des chefs d’établissement plus libres de proposer, d’innover. La possibilité pour le chef d’établissement de s’assurer qu’on partage un projet qu’il porte et où il y a aussi plus de liberté qu’on va donner aux enseignants ».

Ce projet est lié au « nouveau Pacte » qui va être proposé aux enseignants ; et Emmanuel Macron le rapproche lui-même de l’ « expérimentation marseillaise » où les 40 000 euros attribués aux écoles de l’expérimentation comprennent une part dévolue à la rémunération des personnels sous forme d’heures supplémentaires pour faciliter le projet.

Ce « nouveau Pacte » avait été évoqué en pleine campagne de l’élection présidentielle par le candidat Emmanuel Macron le 17 mars : « On propose un pacte aux enseignants : on vous demande de nouvelles missions qu’on est prêts à mieux payer. »

Le 2 août dernier, lors de son audition par la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, Pap Ndiaye a annoncé « des débats locaux différents dans tous les établissements du pays » et n’a pas séparé la question de la revalorisation des enseignants des échanges qui devraient avoir lieu dès octobre prochain. « On va échanger tout au long de l’automne sur la question de la revalorisation de même que sur les missions nouvelles que nous pourrions proposer aux enseignants et qui ont été esquissées par le président de la République. » Le ministre a précisé que ces débats pourraient avoir pour débouché une sélection de projets pédagogiques, faisant l’objet d’un financement à la rentrée 2023, par des jurys auxquels participeraient des élus locaux. « Nous souhaitons des renouvellements par le bas à la rentrée » a-t-il conclu.

Lors de son intervention du 7 mars 2022, Emmanuel Macron a tenu à souligner avec force qu’il s’agit d’« une méthode nouvelle, en refondant l’école avec ceux qui la font vivre chaque jour ». Et il prône le « décloisonnement de l’École » qui devrait se faire « avec les familles, les associations et les communes qui s’occupent du périscolaire, parce que faire des républicains, cela ne commence pas le matin à 9 heures pour s’arrêter à 17 heures, quatre ou cinq jours par semaine ». Il faut « faire péter les carcans, en ouvrant à tout un écosystème ».

On peut comprendre ainsi qu’il ne saurait être question de mettre en place « nationalement » la « refondation de l’École » explicitement souhaitée par le candidat Emmanuel Macron à sa réélection. Il s’agit donc d’éviter les procédures des concertations nationales telles qu’on les a vues se succéder par le passé et au contraire de multiplier les débats locaux où l’on s’engage dans des projets effectifs et circonstanciés. « Au niveau national on définit un cahier des charges, des objectifs, et des leviers. Et on renvoie au local. La réforme ne sera pas la même dans les quartiers nord de Marseille, à Troyes ou dans les Hautes-Alpes. On garde des examens nationaux, on a des leviers, des crédits ; et on donne la liberté aux acteurs locaux. Nos élus y joueront un rôle[2]. »

Malgré les multiples formes qu’ont pu prendre ces consultations ou concertations, il est difficile de soutenir qu’il y a eu des améliorations très nettes.

Ce qu’on appelle le plus souvent des « concertations » nationales ou bien des « consultations » nationales existent depuis une cinquantaine d’années. La première tentative moderne de ce genre a été portée par le ministre de l’Éducation nationale Joseph Fontanet et elle a été en quelque sorte la matrice des « consultations » ou « concertations » nationales qui se sont succédé depuis. Dans son discours à l’Assemblée nationale du 5 juin 1973, Joseph Fontanet déclare qu’il va mettre en place une consultation nationale des intéressés « pour savoir comment ils accueillent le projet dont nous débattons » (en l’occurrence une loi d’orientation sur les enseignements du second degré). Joseph Fontanet affirme que les procédures législatives et réglementaires ne suffisent pas pour entreprendre les transformations jugées nécessaires. Il veut par le truchement de cette consultation « favoriser l’adhésion des enseignants eux-mêmes, des familles, de l’opinion publique ».

L’historien Antoine Prost souligne qu’« avec un dispositif centralisé et purement national de régulation, les mesures d’adaptation des enseignements décidées par en haut, très loin des pratiques quotidiennes, tombent sur les enseignants comme un couperet. N’ayant pas été associés à leur conception, ne voyant pas à quelle difficulté on veut remédier, à quel objectif on s’attaque, ils se sentent agressés et sont tentés de réagir négativement[3]. »

Il n’en reste pas moins que malgré les multiples formes qu’ont pu prendre ces consultations ou concertations (aussi bien dans leurs thématiques, leurs formes de questionnement, le périmètre de leur objet ou bien encore la multiplicité on non des catégories consultées : enseignants, parents, élèves, élus, etc.), il est difficile de soutenir qu’il y a eu des améliorations très nettes et que le succès a été au rendez-vous de façon patente. En effet, le sentiment dominant (a priori ou a posteriori) des personnes consultées « à la base » à propos des consultations ou concertations, c’est que « les jeux sont faits » (ou « seront faits ») au niveau central pour l’essentiel. Chacun ne « s’y retrouve pas » (et ne peut « s’y retrouver » vraiment).

On aurait tort de voir dans les débats prévus pour cet automne une énième mouture de ces consultations ou concertations nationales, car précisément ils ne sont pas présentés comme relevant du national (et du central) mais comme des concertations pour des engagements locaux dûment circonstanciés voire différenciés. Dans son intervention à la Sorbonne du 25 août, le président de la République a dûment déclaré aux recteurs et DASEN : « Je vous demande de m’aider dans cette révolution. Vous devez les aider à accoucher de leur projet. Accompagnez-les. L’administration doit se mettre au service des rectorats, les rectorats au service de ces projets. Un fond de cinq cents millions d’euros sera mis à disposition pour financer les écoles et établissements qui entreront dans ces débats. […] Je ne veux pas qu’au bout de quelques mois on fasse un cahier des charges national. »

Cela s’inscrit dans la formule métaphorique d’Emmanuel Macron : « on inverse la pyramide ; c’est une révolution culturelle ». La révolution, c’est d’abord « changer de base ».

Mais on est du coup face à un OVNI dont on perçoit difficilement les contours et les procédures. Qui va être appelé à se concerter ? Dans quels lieux, durant quels temps ? Où et par qui seront formulées les synthèses ou les décisions finales ?

On ne voit guère de précédents qui pourraient nous éclairer, si ce n’est de façon indicative et larvée quelques éléments au moment significatif de la mise en place de la décentralisation, au début du premier septennat de François Mitterrand.

Dans l’avant-propos du rapport de la première consultation sur les collèges, Louis Legrand écrit : « Il apparaît, à tort ou à raison, que ces consultations centralisées, même lorsqu’elles sont le fait d’organes représentatifs, privent les enseignants d’une participation véritable. […] Lorsqu’elles arrivent dans les établissements, elles sont presque toujours reçues comme des corps étrangers et sont refusées a priori pour cette raison plus que par raison. C’est pourquoi il paraît indispensable de donner la parole au plus grand nombre de personnes[4]. »

Après cette consultation sur les collèges dirigée par Louis Legrand et son rapport, le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary déclare qu’il ne veut pas imposer cette réforme des collèges et qu’il engage un processus d’expérimentation et de généralisation par des collèges volontaires. « Je veux faire prendre en charge cette rénovation par l’Éducation nationale toute entière parce que je m’adresse à des acteurs et non des exécutants […]. J’ouvre ainsi un processus long et complexe, une démarche progressive et décentralisée dont les différentes étapes feront l’objet d’explications mais aussi de discussions avec tous les intéressés[5]. »


[1] Extraits de la circulaire ministérielle de rentrée publiée le 7 juillet 2022.

[2] Intervention à Poissy du 17 mars 2022.

[3] Rapport du groupe national sur les seconds cycles présidé par Antoine Prost, Les lycées et leurs études, CNDP, 1983, p. 166.

[4] Louis Legrand, Pour un collège démocratique, La Documentation française, 1983, p. 7.

[5] « Déclaration de Monsieur Savary, ministre de l’Éducation nationale, sur les collèges », le 1er février 1983.

Claude Lelièvre

Historien, Professeur honoraire d’histoire de l’éducation à la Faculté des Sciences humaines et sociales, Sorbonne - Paris V

Notes

[1] Extraits de la circulaire ministérielle de rentrée publiée le 7 juillet 2022.

[2] Intervention à Poissy du 17 mars 2022.

[3] Rapport du groupe national sur les seconds cycles présidé par Antoine Prost, Les lycées et leurs études, CNDP, 1983, p. 166.

[4] Louis Legrand, Pour un collège démocratique, La Documentation française, 1983, p. 7.

[5] « Déclaration de Monsieur Savary, ministre de l’Éducation nationale, sur les collèges », le 1er février 1983.