éducation

L’école au défi de la post-vérité

Philosophe

Si le mensonge est au cœur de toutes les sociétés, et notamment des sociétés totalitaires toujours enclines à falsifier le réel, la post-vérité qui se répand en régime démocratique procède, elle, d’un brouillage des frontières entre le vrai et le faux. Ce phénomène, qui affecte la possibilité de vivre ensemble en portant atteinte à l’existence d’une réalité commune, nous invite à revisiter l’art d’enseigner : pas d’enseignement sans un apport sur les règles et protocoles épistémiques qui prévalent dans la discipline que l’on enseigne.

Post-vérité : le mot est assurément nouveau, même si le phénomène qu’il décrit est au travail dans nos sociétés depuis quelque temps déjà. Il y a toujours un décalage temporel entre l’apparition d’un phénomène et le moment où on lui donne un nom. Car nommer, c’est déjà comprendre. La post-vérité, selon Myriam Revault d’Allonnes, porterait d’abord et avant tout atteinte aux vérités de fait, « les vérités scientifiques et rationnelles » seraient dans leur ensemble très largement acceptées. Les vérités de fait les mieux assurées ne seraient pas épargnées. Certains peuvent ainsi très sereinement nier que Pétain a été un complice actif de la déportation juive ou encore affirmer calmement que les chambres à gaz n’ont pas existé. 

publicité

Les vérités de fait, qui sont des vérités attestées et vérifiées même si elles n’ont pas la robustesse des vérités physiques, sont rabaissées au rang de vulgaires opinions auxquelles nous serions « libres » de souscrire, selon nos humeurs ou nos options idéologiques. Mais à y regarder de plus près, même les théories scientifiques les mieux établies peuvent être écartées d’un revers de main. Darwin, le Big Bang ou la courbure de l’espace sont parfois tenues pour de simples affirmations. La science : une opinion parmi d’autres. Il faut donc nuancer le propos de Myriam Revault d’Allonnes qui resserre un peu rapidement le phénomène sur les seules vérités de fait. 

Si le mensonge est au cœur de toutes les sociétés, et notamment des sociétés totalitaires toujours enclines à falsifier le réel, la post-vérité qui se répand en régime démocratique procède, elle, d’un brouillage des frontières entre le vrai et le faux. Elle atteste, phénomène nouveau, une indifférence au vrai. Si, dans l’ordre du mensonge la vérité garde une valeur normative, puisque mentir c’est précisément tout faire pour ne pas dire le vrai ; dans l’ordre de la post-vérité, le vrai perd cette valeur de partage. 

Le relativisme (idée selon laquelle tout se vaut), présent de long


[1] Cette commission constituée de 14 membres et présidée par le sociologue Gérald Bronner a rendu en janvier 2022 au Président Macron un rapport intitulé « Les Lumières à l’ère numérique ». Ce rapport fait notamment de l’esprit critique « une grande cause nationale ».

Eirick Prairat

Philosophe, Professeur de philosophie de l’éducation à l’Université de Lorraine

Notes

[1] Cette commission constituée de 14 membres et présidée par le sociologue Gérald Bronner a rendu en janvier 2022 au Président Macron un rapport intitulé « Les Lumières à l’ère numérique ». Ce rapport fait notamment de l’esprit critique « une grande cause nationale ».