Les images et l’histoire culturelle
Cher Georges Didi-Huberman,
Vous avez réagi à ma réponse avec un nouveau texte, dont je vous remercie. Notre débat, je partage votre avis, révèle plus qu’un « conflit de sensibilités », car vous en avez étendu le domaine. Il s’agissait d’abord d’une différence de vues concernant votre exposition ; il est question maintenant d’un clivage plus profond qui touche à nos conceptions et nos pratiques de l’histoire culturelle. Comme vous soulignez, « tout est parti d’une image, d’une seule image », dont la présence dans votre exposition intitulée Soulèvements m’avait surpris, voire choqué.

J’ai écrit dans mon dernier livre que son inclusion dans une galerie des gestes émancipateurs était abusive et trompeuse, une erreur – un « égarement », comme je précisais dans ma réponse à votre première lettre ouverte – qui nuisait à l’intelligibilité d’un projet touchant à la relation entre esthétique et politique. Votre article m’a donné l’occasion de préciser mes critiques à cette exposition dans laquelle je voyais les impasses inhérentes à une focalisation exclusive sur les Pathosformeln de la révolte, indifférente à leur couleur politique, dont le résultat final me semblait être une iconologie dépolitisée.
J’ai formulé ma critique sans crainte d’être incompris, puisqu’elle s’adressait à un auteur que je considère intellectuellement et politiquement proche, avec lequel je me situe, comme vous l’écriviez au départ, « du même côté de la barricade », et vis-à-vis duquel j’avais déjà pu exprimer mon admiration. L’« iconologie dépolitisée » que j’évoquais était celle déployée dans votre exposition. Je n’entendais pas remettre en cause l’ensemble de votre œuvre, dont j’ai pu m’inspirer à de nombreuses reprises, récemment pour étudier la mélancolie de gauche, un affect essentiel dans l’ensemble de ce que j’appelle, avec Raymond Williams, la « structure des sentiments » des mouvements émancipateurs[1], et qui correspond assez bien à ce que vous définissez, dans le sillage d’Aby W