Qu’est-ce qu’une image de gauche ?
Cher Enzo Traverso,
Il me semble que notre premier échange de vues vous aura donné l’occasion, non pas de nuancer ou de faire bouger vos jugements si peu que ce soit mais, tout à l’inverse, de les confirmer, de les raidir, de les solidifier en une façon beaucoup plus rivale, irrémédiable ou rempardée. C’est un peu dommage. Je parlais, dans ma précédente lettre, d’un « conflit de sensibilités », ce qui admettait tout un jeu d’éventuelles nuances, car j’y supposais le jeu possible de points de vue, différents mais pas fatalement conflictuels, autour du même objet de pensée. Votre réponse fait état, au contraire, d’une opposition bien plus frontale : elle touche aux pensées mêmes, aux « méthodes » voire aux « postulats », comme vous dites. Ce faisant, vous avez peut-être raison, au moins en ce qui concerne l’idée et la pratique de ce que nous appelons tous deux une « histoire culturelle ».

La question semble devoir se résumer à la manière dont la politique innerve toute histoire culturelle, ce dont nous sommes évidemment tous deux persuadés. Mais, là où j’ai essayé d’explorer plusieurs voies à partir de cette « iconologie politique » que proposait Aby Warburg à la fin de sa vie (assumée comme telle et prolongée, en Allemagne, par des collègues historiens de l’art avec qui je suis en dialogue constant depuis fort longtemps, tels que Martin Warnke, Horst Bredekamp, Michael Diers ou encore Uwe Fleckner), vous ne voyez dans mes tentatives que l’expression d’une « iconologie dépolitisée », comme vous l’affirmez exactement. Cela entraînant, comme vous le dites encore, une controverse où s’affrontent désormais « deux conceptions différentes de la dialectique des images ». Sur ce dernier point – non sur le précédent, bien sûr –, je conviendrais volontiers, aujourd’hui, que vous avez, là encore, sans doute raison.
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Or d’où vient le différend ? Tout est parti d’une image, d’une seule image. Et puis tout s’est propagé à ce qu’il faudrait entendre par image en général,