Savoirs

Qu’est-ce qu’une image de gauche ?

Philosophe, historien de l'art

Troisième volet du passionnant échange entre Georges Didi-Huberman et l’historien Enzo Traverso dans AOC. Pour le philosophe – qui se refuse à choisir entre « l’ivresse des formes et la sagesse des contenus politiques » –, l’ambiguïté, dans le cadre d’une histoire de l’art ou de l’histoire culturelle en général, n’est pas un pur et simple « égarement ».

Cher Enzo Traverso,

Il me semble que notre premier échange de vues vous aura donné l’occasion, non pas de nuancer ou de faire bouger vos jugements si peu que ce soit mais, tout à l’inverse, de les confirmer, de les raidir, de les solidifier en une façon beaucoup plus rivale, irrémédiable ou rempardée. C’est un peu dommage. Je parlais, dans ma précédente lettre, d’un « conflit de sensibilités », ce qui admettait tout un jeu d’éventuelles nuances, car j’y supposais le jeu possible de points de vue, différents mais pas fatalement conflictuels, autour du même objet de pensée. Votre réponse fait état, au contraire, d’une opposition bien plus frontale : elle touche aux pensées mêmes, aux « méthodes » voire aux « postulats », comme vous dites. Ce faisant, vous avez peut-être raison, au moins en ce qui concerne l’idée et la pratique de ce que nous appelons tous deux une « histoire culturelle ».

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La question semble devoir se résumer à la manière dont la politique innerve toute histoire culturelle, ce dont nous sommes évidemment tous deux persuadés. Mais, là où j’ai essayé d’explorer plusieurs voies à partir de cette « iconologie politique » que proposait Aby Warburg à la fin de sa vie (assumée comme telle et prolongée, en Allemagne, par des collègues historiens de l’art avec qui je suis en dialogue constant depuis fort longtemps, tels que Martin Warnke, Horst Bredekamp, Michael Diers ou encore Uwe Fleckner), vous ne voyez dans mes tentatives que l’expression d’une « iconologie dépolitisée », comme vous l’affirmez exactement. Cela entraînant, comme vous le dites encore, une controverse où s’affrontent désormais « deux conceptions différentes de la dialectique des images ». Sur ce dernier point – non sur le précédent, bien sûr –, je conviendrais volontiers, aujourd’hui, que vous avez, là encore, sans doute raison.

Or d’où vient le différend ? Tout est parti d’une image, d’une seule image. Et puis tout s’est propagé à ce qu’il faudrait entendre par image en général,


[1] M. Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, Lausanne-Arles, Musée de l’Élysée-Éditions Photosynthèses, 2013, p. 225-227 et 264-290.

[2] Ibid., p. 244-262 et 291-293. Cf. G. Didi-Huberman (dir.), Soulèvements, Jeu de Paume-Gallimard, 2016, p. 138-139.

[3] G. Didi-Huberman (dir.), Soulèvements, op. cit., p. 149.

[4] Ibid., p. 135 et 140-141.

[5] Le dernier, en manière de point d’orgue (et dirigé avec Louise Déry), s’intitulait Le Soulèvement infini, Montréal, Galerie de l’UQAM, 2019.

[6] G. Didi-Huberman, Désirer désobéir. Ce qui nous soulève, 1, Les Éditions de Minuit, 2019. Id., Imaginer recommencer. Ce qui nous soulève, 2, Les Éditions de Minuit, 2021.

[7] J. Rancière, « Un soulèvement peut en cacher un autre », Soulèvements, op. cit., p. 63-70.

[8] G. Didi-Huberman, Imaginer recommencer, op. cit., p. 37-50. Cf. F. Jesi, Spartakus. Symbolique de la révolte (1969), trad. F. Vallos et A. Dufeu, Bordeaux, Éditions La Tempête, 2016.

[9] O. Mannoni, « Je sais bien, mais quand même… » (1964), Clefs pour l’Imaginaire, ou l’autre scène, Le Seuil, 1969, p. 9-33.

[10] W. Benjamin, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique [première version] » (1935), trad. R. Rochlitz, Œuvres, III, Gallimard, 2000, p. 113.

[11] A. Badiou, « La politique : une dialectique non expressive » (2005), La Relation énigmatique entre philosophie et politique, Meaux, Éditions Germina, 2011, p. 67-87.

[12] G. Didi-Huberman, Désirer désobéir, op. cit., p. 7-15.

[13] G. Agamben, « Notes sur le geste » (1992), trad. D. Loayza, Moyens sans fins. Notes sur la politique, Payot & Rivages, 1995, p. 70.

[14] Ibid., p. 68.

[15] Ibid., p. 71.

[16] W. Benjamin, Sur le haschich et autres écrits sur la drogue (1927-1934), trad. J.-F. Poirier, Christian Bourgois, 1993.

[17] Id., « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne » (1929), trad. M. de Gandillac, revue par P. Rusch, Œuvres, II, Gallimard, 2000, p. 120.

[18] Ibid., p. 130.

[19] Ibid., p. 129.

[20] Ibid., p. 130

Georges Didi-Huberman

Philosophe, historien de l'art, Directeur d'études de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Notes

[1] M. Poivert, Gilles Caron. Le conflit intérieur, Lausanne-Arles, Musée de l’Élysée-Éditions Photosynthèses, 2013, p. 225-227 et 264-290.

[2] Ibid., p. 244-262 et 291-293. Cf. G. Didi-Huberman (dir.), Soulèvements, Jeu de Paume-Gallimard, 2016, p. 138-139.

[3] G. Didi-Huberman (dir.), Soulèvements, op. cit., p. 149.

[4] Ibid., p. 135 et 140-141.

[5] Le dernier, en manière de point d’orgue (et dirigé avec Louise Déry), s’intitulait Le Soulèvement infini, Montréal, Galerie de l’UQAM, 2019.

[6] G. Didi-Huberman, Désirer désobéir. Ce qui nous soulève, 1, Les Éditions de Minuit, 2019. Id., Imaginer recommencer. Ce qui nous soulève, 2, Les Éditions de Minuit, 2021.

[7] J. Rancière, « Un soulèvement peut en cacher un autre », Soulèvements, op. cit., p. 63-70.

[8] G. Didi-Huberman, Imaginer recommencer, op. cit., p. 37-50. Cf. F. Jesi, Spartakus. Symbolique de la révolte (1969), trad. F. Vallos et A. Dufeu, Bordeaux, Éditions La Tempête, 2016.

[9] O. Mannoni, « Je sais bien, mais quand même… » (1964), Clefs pour l’Imaginaire, ou l’autre scène, Le Seuil, 1969, p. 9-33.

[10] W. Benjamin, « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique [première version] » (1935), trad. R. Rochlitz, Œuvres, III, Gallimard, 2000, p. 113.

[11] A. Badiou, « La politique : une dialectique non expressive » (2005), La Relation énigmatique entre philosophie et politique, Meaux, Éditions Germina, 2011, p. 67-87.

[12] G. Didi-Huberman, Désirer désobéir, op. cit., p. 7-15.

[13] G. Agamben, « Notes sur le geste » (1992), trad. D. Loayza, Moyens sans fins. Notes sur la politique, Payot & Rivages, 1995, p. 70.

[14] Ibid., p. 68.

[15] Ibid., p. 71.

[16] W. Benjamin, Sur le haschich et autres écrits sur la drogue (1927-1934), trad. J.-F. Poirier, Christian Bourgois, 1993.

[17] Id., « Le surréalisme. Le dernier instantané de l’intelligentsia européenne » (1929), trad. M. de Gandillac, revue par P. Rusch, Œuvres, II, Gallimard, 2000, p. 120.

[18] Ibid., p. 130.

[19] Ibid., p. 129.

[20] Ibid., p. 130