Éducation

Supprimer ou généraliser les chaires de professeurs juniors ? Il faut choisir !

Sociologue

Les chaires de professeurs juniors créées en décembre 2020 ne constituent pas seulement une nouvelle voie d’accès au professorat : elles instituent l’hybridation du modèle français de gestion des carrières universitaires en important depuis les États-Unis ces tenure-tracks qui tendent à se généraliser en Europe. Un système qui a bien des avantages mais qui cohabite mal avec le modèle pyramidal français. Une réflexion collective est désormais nécessaire afin de savoir avec quel modèle de carrières universitaires la France veut vraiment fonctionner.

La loi de programmation de la recherche de décembre 2020 a prévu une nouvelle voie d’accès au professorat avec la création de chaires de professeurs juniors (CPJ), c’est-à-dire des postes d’au plus 2 fois 3 ans pouvant être transformés en postes de professeurs des universités ou de directeurs de recherche après une procédure d’évaluation des activités de celle ou celui qui occupe ce poste.

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Avant et après la promulgation de la loi, ce dispositif a donné lieu à de nombreux échanges, souvent passionnés, entre celles ou ceux qui y voient un moyen infaillible d’attirer les meilleurs talents et de renforcer l’attractivité du système d’enseignement supérieur français et celles ou ceux qui considèrent qu’il s’agit d’un pas de plus vers le démantèlement de la fonction publique universitaire. Depuis, de premiers recrutements ont été réalisés au printemps sur des postes de CPJ, et une nouvelle vague de supports de CPJ a été attribuée : 86 à des établissements et 49 à des organismes de recherche (contre 74 et 18 en 2021).

Peut-être connaitrons-nous prochainement le nombre de candidats qui se sont présentés, les caractéristiques de celles et ceux qui ont été retenus (leur genre, leur nationalité, leurs établissements d’origine…) et les conditions de leur recrutement, mais il est de toute façon trop tôt pour faire un bilan éclairé. Plusieurs années seront nécessaires pour tirer des conclusions sur le profil des candidat.e.s à ces postes, et sur celui de celles et ceux qui sont choisis, pour savoir combien seront finalement titularisé.e.s et à quelle échéance en moyenne, quels seront les motifs de refus de titularisation et quelle proportion de ces CPJ ils concerneront, quelle sera la capacité d’insertion de ces candidat.e.s dans un environnement qui parfois ne les attend pas les bras ouverts…

À défaut de pouvoir procéder à un bilan, il est en revanche possible de comparer les CPJ avec d’autres modèles de gestion des carrières universitaires. Or, comme je l’avais constat


[1] Des solutions assez similaires ont été développées en Suisse pour les mêmes raisons, l’accès aux postes de professeurs étant d’autant plus restreint pour l’équivalent du Mittelbau suisse que les universités et écoles polytechniques de ce pays parviennent à attirer sur ces postes de très bons universitaires étrangers.

[2] Thelen, K. and Streeck, W. (2005), Beyond Continuity. Institutional Change in Advanced Political Economies, Oxford, Oxford University Press.

[3] C’est aussi le cas en Allemagne où les personnes recrutées sur des postes débouchant sur la tenure accèdent, s’ils obtiennent cette dernière, à des postes de professeurs fonctionnaires (Beamter W2 ou W3).

[4] Harroche, A. (2021), Gouverner par les inégalités : la mise en œuvre d’une initiative d’excellence dans l’enseignement supérieur et la recherche, Doctorat de sociologie, Paris, Sciences Po.

[5] Le modèle du survivant n’est pas plus vertueux. En Allemagne, la part des professeurs parmi les personnels académiques du supérieur diminue : ils représentaient 19,7 % en 2019 mais seulement 18 % en 2020, tandis que les wissenschaftliche Mitarbeiter passaient de 74,5 % à 76,3 %. Source : Statistisches Bundesamt (2021) : Personal am Hochschule.

[6] cf. par exemple : Bakker MM, Jacobs MH (2016), « Tenure-track Policy Increases Representation of Women in Senior Academic Positions, but Is Insufficient to Achieve Gender Balance », PLoS ONE, vol. 11, n° 9.

Christine Musselin

Sociologue, Directrice de recherche au CNRS

Notes

[1] Des solutions assez similaires ont été développées en Suisse pour les mêmes raisons, l’accès aux postes de professeurs étant d’autant plus restreint pour l’équivalent du Mittelbau suisse que les universités et écoles polytechniques de ce pays parviennent à attirer sur ces postes de très bons universitaires étrangers.

[2] Thelen, K. and Streeck, W. (2005), Beyond Continuity. Institutional Change in Advanced Political Economies, Oxford, Oxford University Press.

[3] C’est aussi le cas en Allemagne où les personnes recrutées sur des postes débouchant sur la tenure accèdent, s’ils obtiennent cette dernière, à des postes de professeurs fonctionnaires (Beamter W2 ou W3).

[4] Harroche, A. (2021), Gouverner par les inégalités : la mise en œuvre d’une initiative d’excellence dans l’enseignement supérieur et la recherche, Doctorat de sociologie, Paris, Sciences Po.

[5] Le modèle du survivant n’est pas plus vertueux. En Allemagne, la part des professeurs parmi les personnels académiques du supérieur diminue : ils représentaient 19,7 % en 2019 mais seulement 18 % en 2020, tandis que les wissenschaftliche Mitarbeiter passaient de 74,5 % à 76,3 %. Source : Statistisches Bundesamt (2021) : Personal am Hochschule.

[6] cf. par exemple : Bakker MM, Jacobs MH (2016), « Tenure-track Policy Increases Representation of Women in Senior Academic Positions, but Is Insufficient to Achieve Gender Balance », PLoS ONE, vol. 11, n° 9.