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Refaire la révolution en Iran

Philosophe

Les condamnations à mort, précédées d’aveux obtenus sous la torture, se multiplient en Iran, suite aux manifestations amorcées par la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, une étudiante arrêtée par la police des mœurs. L’attachement du régime des mullahs au voile, véritable fétiche au sens freudien du terme, révèle toute la perversité d’une République islamique bâtie sur un fantasme spirituel que rejettent aujourd’hui les Iraniennes et les Iraniens scandant « Femme, vie, liberté » au péril de leurs vies.

L’histoire ne se répète pas sans ironie : le pays qui a introduit sur la scène internationale l’islam d’État, et qui par la suite a inspiré de nombreuses mouvances islamiques, qu’elles se soient emparées de l’appareil d’État ou non, veut s’en débarrasser aujourd’hui. Plus encore : il aspire à la vie et à la liberté en les conjuguant avec la question des femmes. Il annonce la première révolution féministe du monde.

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L’ironie ne s’arrête pas là dès lors que l’on constate que le refoulement, l’exclusion, ou, si l’on veut, le voilement de la femme ont été le facteur principal de l’islamisation du soulèvement de 1979. Ce qui surgit aujourd’hui dans le paysage politique iranien n’a cessé de déranger la République islamique, il a plané au-dessus des luttes et des votes contestataires, s’est fragmenté et s’est poursuivi à travers les résistances individuelles et collectives des femmes, s’est caché dans les méandres des événements mineurs et des styles de vie souterrains, et fait soudain irruption sous un autre jour sur la scène de l’histoire avec la mort d’une jeune femme kurde dont le nom, comme son épitaphe l’avait anticipé, devient un symbole : Zhina.

Il est donc temps d’ouvrir une autre archive. Il convient de relire aujourd’hui la lettre d’Atoussa, le pseudonyme d’une femme iranienne marxiste, à Michel Foucault, publiée dans le Nouvel Observateur en 1978. La réponse de Foucault, nous pouvons la lire dans Dits et écrits, mais certains passages de la lettre d’Atoussa méritent d’être cités : « Les femmes dévoilées sont souvent insultées en ce moment et les jeunes musulmans eux-mêmes ne cachent pas que, dans le régime qu’ils veulent, les femmes n’auront qu’à bien se tenir […]. Beaucoup d’Iraniens sont, comme moi, désemparés et désespérés à l’idée d’un gouvernement « islamique ». Ils savent de quoi il s’agit. Partout autour de l’Iran, l’islam sert de paravent à l’oppression féodale ou pseudo-révolutionnaire. Souvent aussi, comme en Tunisie, au Pakistan, en Indonés


[1] Atoussa H., « Une iranienne écrit », dans Le Nouvel Observateur, n°730, du 6 au 12 novembre 1978, p. 27.

[2] Millett Kate, En Iran, trad. Sophie Dunoyer, Paris, Éditions des femmes, 1981.

[3] Foucault Michel, « Téhéran : la foi contre le chah », dans : Dits et écrits, tome III, 1976-1979, Paris, Gallimard, 1994, p. 686.

[4] Ces expressions sont d’Éric Marty, qui considère que Foucault tombe sous le charme d’un Iran sadien : face au régime du Shah, les Iraniens risquent leur vie dans la rue puisqu’ils sont les maîtres révolutionnaires ou les émeutiers sadiens (Marty Éric, « Foucault en Iran – Retour sur un voyage (1978-1979) », AOC, 11 janvier 2021).

[5] Freud Sigmund, « fétichisme », dans Œuvres complètes, Volume XVIII, 1926-1930, trad. Janine Altounian et al. Paris, PUF, 1994, p. 128.

[6] Sur les implications théologiques du voile, voir : Benslama Fethi, La psychanalyse à l’épreuve de l’islam, Paris, Aubier, 2002. Il convient par ailleurs de noter que le chiisme duodécimain a la particularité de maintenir que Mahdi, le douzième imam, vit derrière le voile de l’Occultation. Dans l’attente de son apparition, la République islamique prétend préparer le gouvernement divin de cet imam caché.

[7] Sur les multiples formes de résistance de la société iranienne, voir le dossier de la revue Multitudes : Lamarche-Vadel Gaëtane, Pourhosseini Behrang, « L’Iran par-delà la République islamique », n° 83, été 2021.

[8] De surcroit, vu son ampleur nationale et la revendication de représentation politique qu’il porte, le mouvement actuel peut être comparé à la Révolution constitutionnelle (1905-1911) qui a mis fin à la dynastie Qajar et a doté l’Iran d’une Constitution et d’un Parlement.

Behrang Pourhosseini

Philosophe, Enseignant à l'université Paris 8.

Notes

[1] Atoussa H., « Une iranienne écrit », dans Le Nouvel Observateur, n°730, du 6 au 12 novembre 1978, p. 27.

[2] Millett Kate, En Iran, trad. Sophie Dunoyer, Paris, Éditions des femmes, 1981.

[3] Foucault Michel, « Téhéran : la foi contre le chah », dans : Dits et écrits, tome III, 1976-1979, Paris, Gallimard, 1994, p. 686.

[4] Ces expressions sont d’Éric Marty, qui considère que Foucault tombe sous le charme d’un Iran sadien : face au régime du Shah, les Iraniens risquent leur vie dans la rue puisqu’ils sont les maîtres révolutionnaires ou les émeutiers sadiens (Marty Éric, « Foucault en Iran – Retour sur un voyage (1978-1979) », AOC, 11 janvier 2021).

[5] Freud Sigmund, « fétichisme », dans Œuvres complètes, Volume XVIII, 1926-1930, trad. Janine Altounian et al. Paris, PUF, 1994, p. 128.

[6] Sur les implications théologiques du voile, voir : Benslama Fethi, La psychanalyse à l’épreuve de l’islam, Paris, Aubier, 2002. Il convient par ailleurs de noter que le chiisme duodécimain a la particularité de maintenir que Mahdi, le douzième imam, vit derrière le voile de l’Occultation. Dans l’attente de son apparition, la République islamique prétend préparer le gouvernement divin de cet imam caché.

[7] Sur les multiples formes de résistance de la société iranienne, voir le dossier de la revue Multitudes : Lamarche-Vadel Gaëtane, Pourhosseini Behrang, « L’Iran par-delà la République islamique », n° 83, été 2021.

[8] De surcroit, vu son ampleur nationale et la revendication de représentation politique qu’il porte, le mouvement actuel peut être comparé à la Révolution constitutionnelle (1905-1911) qui a mis fin à la dynastie Qajar et a doté l’Iran d’une Constitution et d’un Parlement.