Programme pour le temps présent (2/2)
Former de nouvelles subjectivités habitantes : telle est l’ambition qui doit être la nôtre, si nous voulons nous donner les moyens de sortir de l’engrenage fatal dans lequel nous sommes embarqués depuis les temps modernes. Une telle ambition suppose que l’on commence par prendre acte de l’événement Anthropocène, sans céder sur sa complexité stratifiée. Notion inventée du point de vue universaliste des sciences de la Terre, celle-ci a ensuite été complexifiée par l’approche déconstructiviste et pluriversaliste des sciences humaines.

Il y a là une première leçon à en tirer du point de vue de la culture et de l’éducation. Dès lors que l’on considère que le grand événement de l’époque se construit à la croisée de deux approches antagonistes, il appartient à nos établissements de formation de les articuler étroitement. C’est-à-dire de promouvoir conjointement, en assumant toutes les tensions qui en résultent, les points de vue universaliste et pluriversaliste, les sciences de la Terre et les travaux de déconstruction des grandes puissances de l’anthropocène, soit les pensées et pratiques écologistes, postcoloniales et décoloniales, féministes et queers.
Au-delà de l’événement Anthropocène en tant que tel, il faut que nos établissements de formation se donnent les moyens d’intégrer chacun des trois éléments de l’engrenage qui lui est coextensif : la crise de la modernité, le renversement de perspective temporelle et l’émergence d’une autorité du futur.
S’agissant de la modernité, nous ne manquons pas d’outils et de penseurs contemporains pour analyser sa situation critique. De Bruno Latour à Philippe Descola et Augustin Berque, en passant par Baptiste Morizot ou Estelle Zong Mengual, c’est un même paradigme qui est mis au jour, celui de l’arrachement et de la séparation : arrachement de l’être humain à sa condition terrestre et séparation d’avec les autres vivants.
Ce paradigme commande toute une série d’oppositions hiérarchisées, qui forment le champ polarisé d