Soigner le corps-territoire pour habiter en terrestre
Depuis les années 1970, on assiste en France mais aussi dans de nombreux pays modernisés à un mouvement de « réhabitation », pour reprendre l’expression inventée par les penseurs biorégionalistes[1]. Des personnes ou des collectifs quittent les métropoles pour aller vivre à la campagne, ou tentent de réinventer des communautés d’habitant·e·s en rupture avec les modes de vie engendrés par nos sociétés industrialisées.

En effet, avec la mondialisation capitaliste, l’uniformisation des espaces et des formes de vie subordonnés aux logiques d’une société consumériste et productiviste, c’est le sens même du vivre en commun et de l’habiter qui est en crise. Faire communauté va donc de pair avec la recherche d’un réancrage dans des lieux de vie qui tiennent compte des interdépendances entre vivants et qui s’inscrivent à des échelles relationnelles plus locales.
Ce mouvement de réhabitation s’amorce au moment même où semble se clore l’épisode de l’exode rural, lorsque la modernisation des modes d’existence a été poussée jusqu’à ses plus extrêmes conséquences par l’industrialisation généralisée de l’agriculture, c’est-à-dire jusqu’à défaire les liens ancestraux qui reliaient les êtres humains à la terre/Terre.
« Nous avons perdu le monde », a écrit Michel Serres dans le Contrat Naturel, à propos de la mise à mort de la paysannerie au profit de l’industrie agricole qui marque un basculement historique, anthropologique voire cosmologique, dont on commence seulement aujourd’hui à mesurer les conséquences. En se déterrestrant, les Modernes nous ont fait perdre de vue qu’avant d’appartenir à la seule condition humaine nous participons plus largement à la « condition terrestre »[2].
Ce sont les effets de cet oubli qui nous revient aujourd’hui sous la forme de la catastrophe écologique et des menaces qu’elle fait peser sur les conditions d’habitabilité de la Terre. Car il ne suffit pas de résider quelque part pour habiter. Cela demande de participer à un monde commun en ép