Écologie

Soigner le corps-territoire pour habiter en terrestre

Philosophe, auteur et performer, Philosophe

Avec la mondialisation capitaliste, l’uniformisation des espaces et des formes de vie subordonnés aux logiques d’une société consumériste, le sens même du vivre en commun et de l’habiter semble en crise. Les résultats condensés d’entretiens avec Thierry Geffray, paysan éleveur dans le Haut-Diois ayant subi des attaques de son troupeau de brebis par les loups, permettent, par un retour réflexif, de (re)penser les nouvelles possibilités d’un rapport à la nature, qu’il avait pourtant perdu en « attrapant la modernité ».

Depuis les années 1970, on assiste en France mais aussi dans de nombreux pays modernisés à un mouvement de « réhabitation », pour reprendre l’expression inventée par les penseurs biorégionalistes[1]. Des personnes ou des collectifs quittent les métropoles pour aller vivre à la campagne, ou tentent de réinventer des communautés d’habitant·e·s en rupture avec les modes de vie engendrés par nos sociétés industrialisées.

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En effet, avec la mondialisation capitaliste, l’uniformisation des espaces et des formes de vie subordonnés aux logiques d’une société consumériste et productiviste, c’est le sens même du vivre en commun et de l’habiter qui est en crise. Faire communauté va donc de pair avec la recherche d’un réancrage dans des lieux de vie qui tiennent compte des interdépendances entre vivants et qui s’inscrivent à des échelles relationnelles plus locales.

Ce mouvement de réhabitation s’amorce au moment même où semble se clore l’épisode de l’exode rural, lorsque la modernisation des modes d’existence a été poussée jusqu’à ses plus extrêmes conséquences par l’industrialisation généralisée de l’agriculture, c’est-à-dire jusqu’à défaire les liens ancestraux qui reliaient les êtres humains à la terre/Terre.

« Nous avons perdu le monde », a écrit Michel Serres dans le Contrat Naturel, à propos de la mise à mort de la paysannerie au profit de l’industrie agricole qui marque un basculement historique, anthropologique voire cosmologique, dont on commence seulement aujourd’hui à mesurer les conséquences. En se déterrestrant, les Modernes nous ont fait perdre de vue qu’avant d’appartenir à la seule condition humaine nous participons plus largement à la « condition terrestre »[2].

Ce sont les effets de cet oubli qui nous revient aujourd’hui sous la forme de la catastrophe écologique et des menaces qu’elle fait peser sur les conditions d’habitabilité de la Terre. Car il ne suffit pas de résider quelque part pour habiter. Cela demande de participer à un monde commun en ép


[1]   Le biorégionalisme est le nom d’un mouvement porté par des personnes issues du mouvement anarchiste californien des Diggers, comme Peter Berg, Judy Goldhaft, Raymond Dasmann, Allen Van Newkirk, Gary Snyder. Dans le sillage des critiques sociales libertaires, du mouvement des droits civiques, des Black Panthers et des féministes radicales, mais aussi marqué par l’idée d’un retour à la Terre s’inspirant des cultures autochtones, ils opposent aux logiques gestionnaires surplombantes de l’environnementalisme d’État la perspective d’une réhabitation communautaire s’inscrivant à l’échelle des milieux de vie que sont les bassins-versants. Cf. Mathias Rollot & Marin Schaffner, Qu’est-ce qu’une biorégion ?, Wildproject, 2021.

[2]    Sophie Gosselin & David gé Bartoli, La condition terrestre, habiter la Terre en communs, éd. du Seuil, coll. Anthropocène, 2022.

[3]    Dans le cadre de la loi Voynet de 2005.

[4]    « Le loup est entré dans ma vie » dans la revue La tribu du vivant n°5, février 2022.

[5]    Expression que nous reprenons à des militantes écoféministes maya du Guatemala. Cf. “Corps-territoire et territoire-Terre” : le féminisme communautaire au Guatemala. Entretien avec Lorena Cabnal », Cahiers du Genre, vol. 59, no. 2, 2015, pp. 73-89. Cf. Sophie Gosselin & David gé Bartoli, La condition terrestre, habiter la Terre en communs, (éd. du Seuil, 2022).

[6]    Le GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun) désigné une société civile agricole de personnes permettant à des agriculteurs associés la réalisation d’un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations de caractère familial.

[7]    Cf. David gé Bartoli et Sophie Gosselin Le toucher du monde, techniques du naturer, éd. Dehors, 2019.

[8]    Cf. Barbara Glowczewski, Réveiller les esprits de la Terre, éd. Dehors, 2021.

[9]    Cf. Sophie Gosselin & David gé Bartoli, chapitre 2 de La condition terrestre, habiter la Terre en communs, éd. du Seuil, 2022.

[10]  Su

David gé Bartoli

Philosophe, auteur et performer

Sophie Gosselin

Philosophe, Membre du comité de rédaction de la revue Terrestres

Notes

[1]   Le biorégionalisme est le nom d’un mouvement porté par des personnes issues du mouvement anarchiste californien des Diggers, comme Peter Berg, Judy Goldhaft, Raymond Dasmann, Allen Van Newkirk, Gary Snyder. Dans le sillage des critiques sociales libertaires, du mouvement des droits civiques, des Black Panthers et des féministes radicales, mais aussi marqué par l’idée d’un retour à la Terre s’inspirant des cultures autochtones, ils opposent aux logiques gestionnaires surplombantes de l’environnementalisme d’État la perspective d’une réhabitation communautaire s’inscrivant à l’échelle des milieux de vie que sont les bassins-versants. Cf. Mathias Rollot & Marin Schaffner, Qu’est-ce qu’une biorégion ?, Wildproject, 2021.

[2]    Sophie Gosselin & David gé Bartoli, La condition terrestre, habiter la Terre en communs, éd. du Seuil, coll. Anthropocène, 2022.

[3]    Dans le cadre de la loi Voynet de 2005.

[4]    « Le loup est entré dans ma vie » dans la revue La tribu du vivant n°5, février 2022.

[5]    Expression que nous reprenons à des militantes écoféministes maya du Guatemala. Cf. “Corps-territoire et territoire-Terre” : le féminisme communautaire au Guatemala. Entretien avec Lorena Cabnal », Cahiers du Genre, vol. 59, no. 2, 2015, pp. 73-89. Cf. Sophie Gosselin & David gé Bartoli, La condition terrestre, habiter la Terre en communs, (éd. du Seuil, 2022).

[6]    Le GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun) désigné une société civile agricole de personnes permettant à des agriculteurs associés la réalisation d’un travail en commun dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations de caractère familial.

[7]    Cf. David gé Bartoli et Sophie Gosselin Le toucher du monde, techniques du naturer, éd. Dehors, 2019.

[8]    Cf. Barbara Glowczewski, Réveiller les esprits de la Terre, éd. Dehors, 2021.

[9]    Cf. Sophie Gosselin & David gé Bartoli, chapitre 2 de La condition terrestre, habiter la Terre en communs, éd. du Seuil, 2022.

[10]  Su