Pour des enseignements systématiques sur les enjeux écologiques dans le supérieur
La nécessité d’enseigner les enjeux socio-écologiques de manière systématique dans l’enseignement supérieur est devenue évidente depuis la parution du rapport du think tank The Shift Project en 2019 dans la lignée du Manifeste étudiant pour un réveil écologique.
Très rapidement s’est posée la question de comment instruire simultanément des dizaines de milliers d’étudiant·es. Les établissements et les enseignant·es-chercheur·ses se sont emparé·es de cette question pour expérimenter différentes solutions compte tenu de différentes contraintes : des cours massifs sous forme de vidéos ou à distance qui regroupent des cohortes de plusieurs centaines ou milliers d’étudiant·es, des enseignements optionnels, des enseignements obligatoires inclus dans des mentions plus ou moins disciplinaires, etc. Aucun n’est parfait pour atteindre les objectifs fixés notamment par le rapport Jouzel-Abbadie de février 2022, à savoir former 100 % des étudiant·es de licence d’ici 2027.
La solution en apparence la plus simple, celle de MOOC (Massive open online course – des cours en ligne généralement sous forme de vidéos) ou SPOC (Small private online course) ou d’enseignement à distance qui s’est vu concrétiser pendant la pandémie du Covid-19, pour enseigner à un grand nombre d’étudiant·es avec peu de moyens humains, est à proscrire au maximum : l’enseignement de ces enjeux est susceptible de générer de l’anxiété suite à la prise de conscience de l’état de la planète. Il serait inhumain de laisser les étudiant·es seuls face à eux/elles-mêmes devant ce constat. La présence d’un·e (ou plusieurs) enseignant·e est donc un nécessaire accompagnement. Les enseignements optionnels ne résolvent pas la question de la massification, ils ne touchent qu’une partie des étudiant·es, volontaires.
Une proposition d’application réaliste[1] dans les universités, compte tenu des moyens limités, serait la suivante.
Un cours d’introduction sur les enjeux socio-écologiques peut durer de 20 à 30 h, soit 1 à 2 % du volume horaire d’une licence, et donc s’insérer relativement facilement dans une maquette pédagogique. C’est un minimum[2], tant le sujet est vaste et complexe, mais ce volume horaire permet néanmoins des prolégomènes acceptables. Il y a d’innombrables manières de présenter ces sujets et de mettre en exergue certains thèmes plus que d’autres, selon les disciplines des maquettes, par exemple.
Quelques-uns semblent cependant incontournables, comme de donner des éléments épistémologiques sur comment s’élabore la connaissance scientifique, introduire les limites planétaires avec leur imbrication causale et la grande accélération. Il est important, enfin, de mentionner et de discuter les solutions envisageables à ces problèmes systémiques et reliés entre eux[3]. Et donc de parler du concept de décroissance[4] qui permet de réenchanter les perspectives : diminuer les pressions sur l’environnement tout en remettant du bien-être humain au cœur des sociétés. Un cours magistral peut toucher 100 à 200 étudiant·es en présence simultanément. Des moyens supplémentaires peuvent être éventuellement déployés pour des travaux dirigés ou des projets en plus petits groupes. Ce type d’enseignement minimaliste nécessite une équipe réduite, de 1 à 5 enseignant·es, idéalement de disciplines diverses pour aborder des aspects spécifiques. Soit 4 à 5 h de cours par enseignant·e. Les cours magistraux peuvent s’imaginer sous des formes actives, de façon à laisser de la place et du temps pour des échanges en amphithéâtre[5]. De surcroit, une cellule pédagogique réduite permet d’être plus résiliente et notamment de s’adapter plus facilement à l’évolution des connaissances et des faits.
Pour faire émerger des compétences, les connaissances sur les enjeux socio-écologiques sont ce qu’il y a de plus important.
Le déploiement à grande échelle peut se faire par essaimage successif d’un département d’une université à l’autre, voire d’une université à l’autre. Les enseignant·es spécialistes d’un sujet pourraient décliner un même cours devant plusieurs promotions étudiantes. Voire même entre plusieurs universités proches et ainsi tisser un réseau.
Cela n’empêche pas la nécessité pour les enseignant·es de se former de manière autonome grâce à la multitude de ressources qui existent désormais, ainsi qu’avec l’aide de collègues. Du temps doit être dégagé, par exemple sous la forme d’une décharge annuelle d’enseignement de 30 à 50 h sur quelques années (l’équivalent d’une décharge pour responsabilité administrative) devrait être proposée par les universités pour les enseignant·es volontaires afin de leur donner le temps nécessaire pour cette acquisition de connaissances et pour les transformer en enseignements. Les traditionnels congés pour projets pédagogiques sur six mois ou un an ne sont pas adaptés : se former sur ces enjeux et créer un enseignement nécessite du temps étalé sur la durée ; un tel congé est également dissuasif dans le sens où il oblige les enseignant·es à retrouver un service complet à son issue. Les réseaux d’enseignant·es du supérieur s’intéressant à ces enjeux sont en train de s’organiser, on peut citer Labos1point5 qui recueille des retours d’expériences, qui propose un colloque national sur le sujet en juillet 2023, et qui lance une revue spécialisée dans l’enseignement des enjeux socio-écologiques. Ainsi, en l’espace de quelques années, une majorité d’étudiant·es pourrait ainsi être formée de manière humaine.
Des certifications sont inutiles : cela augmenterait le temps administratif pour un calibrage obligatoire, ainsi que le coût des formations, et serait ainsi contre-productif dans un espace contraint notamment par les ressources humaines. De surcroît, une certification uniformise les connaissances, alors que la complexité interdisciplinaire des problèmes environnementaux nécessite au contraire des connaissances multiples : si les cours ne sont pas identiques les uns aux autres, tant mieux ! Dans le même ordre d’idée, plus que des compétences, ce sont des connaissances qui sont nécessaires. Les compétences (donc liées à des métiers) viendront par la suite, il est illusoire de vouloir les définir a priori pour un véritable changement structurel de la société : qui sait ce qui sera utile ? La diversité des parcours, des origines, des sensibilités feront que les « compétences » adéquates seront forcément présentes. Pour faire émerger ces compétences, les connaissances sur les enjeux socio-écologiques sont ce qu’il y a de plus important.
Le principal levier à actionner pour aller vers une massification indispensable de ces enseignements est de faciliter le travail des enseignant·es-chercheur·ses qui souhaitent le faire : incorporer le cours dans l’emploi du temps, idéalement en deuxième année de licence afin de permettre aux étudiant·es d’avoir un minimum de recul sur leur discipline tout en leur permettant de s’ouvrir sur cet aspect de la société ; donner du temps aux enseignant·es sous la forme d’une décharge pluriannuelle et enfin, reconnaître cet investissement pédagogique dans leur carrière.