écologie

Lettre à Emmanuel Macron à propos de l’état de la planète

Politiste

Le président de la République a décidé qu’il ne prendrait pas la parole ce 14-Juillet. Peut-être cela lui laissera-t-il le temps de lire une longue lettre qui donne des (mauvaises) nouvelles de la planète ?

« La véracité n’a jamais figuré au nombre des vertus politiques,
et le mensonge a toujours été considéré comme un moyen
parfaitement justifié dans les affaires politiques. »
Hannah Arendt, « Du mensonge en politique », dans Du mensonge à la violence. Essais de politique
contemporaine
, 1972 (version originale, 1969),
traduit de l’anglais par Guy Durand, p. 10.

Monsieur Macron,

Il faut vraiment qu’on cause – parce votre politique, ça va pas le faire. Quand allez-vous prendre politiquement au sérieux la matérialité biogéophysique médiée par les savoirs scientifiques ? Après avoir évoqué le mensonge d’État en matière bioclimatique dans de précédents textes publiés par AOC[1], posons-nous quelques instants pour identifier ce que serait une attitude politique à la hauteur des enjeux. On commence à bien se connaître désormais, je vous le fais gratis en mode « Make our planet great again » pour qu’il vous reste quelques sous-sous pour McKinsey que j’imagine en train de plancher sur des propositions d’éléments de langage pour introduire le glyphosate dans l’article 1 de la Constitution…

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Monsieur le Président, ne le prenez pas mal, mais vous souffrez d’un déficit d’analyse de la situation. Vous isolez les problématiques écologiques et climatiques, en niez soigneusement d’autres, et soutenez des initiatives économiques de vente de solutions innovantes. Mais il vous manque cette vue globale, que vous refusez par ailleurs à nos concitoyens, et vous vous entêtez dans une orientation politique qui ne manquera pas d’être jugée un jour comme criminelle. Il n’y a pas à tortiller, c’est l’Anthropocène, avec son articulation des savoirs biogéophysiques et sociopolitiques, afférents au climat, à la biosphère et aux sociétés qui permet de voir la situation globale et de sentir l’ampleur des dangers[2]. Parce que l’Anthropocène n’est pas un problème à résoudre, le capitalisme – dont le geste économique de dépolitisation consiste à créer des problèmes qu’il propose de résoudre[3] –, est 100 % inopérant pour « réinventer le monde pour la vie[4] ».

À l’époque de l’Anthropocène, votre mission n’est donc pas d’organiser le monde – j’entends par là cette poursuite néolibérale visant l’efficacité et la modernisation par l’unique entremise des organisations industrielles[5]. On a parfois l’impression que vous considérez que le business est en mesure de réparer le monde qu’il a cassé[6]. C’est du plus exact contraire dont nous avons besoin : l’animation d’un monde pluriel pour qu’il demeure hospitalier – en nous appuyant sur la solidité des faits.

Récemment, vous avez proposé, par l’intermédiaire de votre ministre de l’écologie Christophe Béchu, un plan d’adaptation de la France à un réchauffement moyen de + 4° C d’ici 2100 sur le territoire national (correspondant, grosso modo, à + 3° C de réchauffement global moyen au niveau mondial). C’est un vrai changement stratégique. Ce scénario est bien connu des auteurs du Giec (certes, c’est le seul texte au monde qui compte plus d’auteurs que de lecteurs, mais on aurait quand même aimé vous compter parmi eux), il s’agit du scénario tendanciel correspondant à une poursuite de nos émissions de gaz à effet de serre, c’est-à-dire à un prolongement des politiques publiques actuellement implémentées.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le signifier[7], le problème c’est que vous ne présentez pas à tous nos concitoyens les risques afférents au déroulement de ce scénario à + 4° C tout au long du siècle (avec une érosion progressive de la vie humaine en société). Ce qu’une moyenne occulte, c’est la fourchette du réel. Une moyenne de + 4° C intègre des pics caniculaires plus fréquent et beaucoup plus intenses (une étude de Margot Bador suggère des pics caniculaires de 55° C dans l’Est de la France en 2100 selon ce scénario[8]).

Comme le rappelle à s’en égosiller les poumons mais avec toujours autant de rigueur et de sympathie le climatologue Christophe Cassou, auteur principal du Giec, cela viendra réduire les ressources en eau douce en France, fragiliser les écosystèmes et les forêts, augmenter les populations d’espèces invasives, diminuer la captation du CO2 par les écosystèmes, diminuer considérablement les rendements agricoles, augmenter la perte de surfaces actuellement destinées à l’agriculture, mais aussi fragiliser les systèmes d’assurance ou de solidarité nationale… Cela n’a rien à voir avec le fait de connaître un été chaud et sec. Cela signifie la bascule dans un autre monde où seuls les plus forts et riches peuvent survivre. Un monde où tout le monde n’aura pas sa place – jusqu’à ce que personne, ou presque, ne l’ait. Oh bien sûr, un petit humain à poil arrivera toujours à survivre quelque part, mais la vie humaine en société, elle, aura disparu. C’est dans ce monde-là que vous nous précipitez.

Or, aujourd’hui, vous nous vendez de la transition énergétique avec une mauvaise foi digne de celle avec laquelle on m’a vendu une chemise le week-end dernier : « Elle vous va très bien, elle est super tendance, et, non-non-non elle ne vous fait pas du tout ressortir le gras du bide. » Monsieur le Président, si j’ai tant de mal avec la notion de transition qu’on met à toutes les sauces et qui a désormais repris à son compte le contenu notionnel du développement durable organisé autour du mythe de la croissance, c’est parce que les savoirs biogéophysiques contemporains sont articulés au paradigme de la rupture et non à une logique linéaire et continuiste.

Mais c’est aussi parce que, dès qu’on entre dans la vision globale proposée par l’Anthropocène et ses savoirs pluridisciplinaires, on ne peut plus partager l’idée d’une situation écologique pilotable, pour peu que nous soyons en mesure de transformer nos modes de production énergétique[9]. Cette évidence s’impose à tous ceux qui plongent de façon authentique dans les savoirs biogéophysiques et sociopolitiques sur le contexte bioclimatique. L’évidence est scientifique, bien sûr. Mais elle est aussi et surtout expérientielle, sensible, émotionnelle. On éprouve et on voit que la poursuite de nos modes de vie, ça ne passe pas (même significativement aménagés) – et que continuer notre marche avant va tout casser. Ce crash, aucune entreprise ne pourra l’éviter. Mais surtout, de ce crash, aucune entreprise ni aucune organisation ne pourra nous relever. Le constat face à la complexité du monde est aussi simple que cela.

Pour le dire de façon directe : l’écologie radicale est du côté de la sagesse, de la responsabilité, de la science et de la prudence[10]. Tandis que votre écologie est du côté du mensonge, de la perversion, de l’obscurantisme, d’une fascination adolescente pour la technique. Il n’y a pas 15 000 solutions ni même 15 000 questions. Pour pouvoir vivre ensemble de façon digne et responsable : quels sont tous les conforts, modes de production, techniques, pratiques, objets, habitudes, hobbies, activités auxquels nous devons renoncer[11] ? Ici, monsieur Macron, de grâce, mouillez un peu la chemise – même si on vous l’a un peu survendue. OK, vous avez renoncé à ouvrir l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes – bon, reconnaissez qu’on vous a un peu mis le stylo dans la main – mais les questions de fond sont plutôt de savoir quels aéroports on ferme ? Quelles lignes aériennes on supprime ?

Nous devons urgemment choisir de sortir de la société de consommation destructrice des conditions bioclimatiques d’existence animée par une dynamique thermo-industrielle et capitaliste. Certains penseurs sont capables d’inventer des grands récits séduisants. Personnellement, j’en suis incapable. Nous avons grandi dans des démocraties où la notion de liberté était centrale. C’est désormais l’idée de limite qui doit s’articuler à cette notion de liberté pour refonder l’expérience démocratique.

C’est maintenant de cela dont je souhaite m’entretenir avec vous : la nécessité vitale d’animer d’innombrables débats citoyens en relation avec des débats démocratiques à l’Assemblée nationale pour faire émerger une claire vision du monde que nous souhaitons, compte tenu de ce que nous savons. Ceci, non pour aboutir à des mesurettes à deux balles, mais pour décider ensemble de tout ce que nous devons arrêter pour, enfin, cesser de détruire toujours plus profondément les conditions d’habitabilité humaine de la Terre.

Cinq minutes de théorie politique avant de passer à la pratique

J’ai lu dans la presse que vous étiez assez pris ces derniers temps par un stage de récupération de points de popularité Ipsos – c’est sûr que vous en avez grillé un paquet – qui prend la forme d’un petit tour de France (l’art d’être Français au Mont Saint Michel[12], la célébration de l’unité en Normandie[13], etc.). De mon côté, quand je voyage, ça me fatigue pas mal et je dois vous dire que le soir je suis plus à faire la carpette devant Netflix qu’à lire de la théorie politique. Bon, je sais bien que vous avez un petit budget « consultants McKinsey » mais j’ai entendu dire que vous l’utilisiez plus pour qu’ils vous pondent des punch lines en mode « Pétain il était pas si pire[14] » que pour vous faire des résumés des (excellents) livres de ces derniers mois.

Vous vous étiez présenté, en 2017, comme un ancien assistant de Paul Ricoeur. La bonne blague ! Ça n’a pas dupé bien longtemps les universitaires français qui savent bien qu’il n’existe pas, en France, d’assistant des professeurs – ça existe en Allemagne ou en Suisse, mais pas chez nous… Mais bon, passons. On avait mis ce petit mensonge sur le compte du marketing électoral. Mais en fait, Paul Ricoeur, vous ne l’avez pas lu ! Mais qui donc avez-vous lu, franchement, autre que les économistes orthodoxes qui travaillent sans prise de Terre, sans ancrer leurs modélisations au sein des limites planétaires ?

Ces six dernières années, les chercheurs des sciences du système Terre ont cherché si la planète était sensible à la com’ politique et aux phrases du type « Make our planet great again ». Bad news : c’est pas comme ça que ça marche. Good news : si la planète est insensible à la communication politique, elle l’est au droit. C’est la raison pour laquelle à peu près tous les penseurs proposent de faire bosser les députés. En effet, vivre son existence individuelle de façon humaine et solidaire, digne et responsable, sensée et juste ne suffit pas. Une immense machine mortifère, le capitalisme rentier et spéculatif qui se nourrit de vies humaines et nous enjoint de surconsommer par tous les bouts, s’est glissée au plus profond de notre existence – et a désormais sur nous une prise de choix par l’entremise des smartphones de la poche arrière de nos jeans. Il faut l’arrêter et c’est du ressort du politique. Il nous faut trouver le chemin politique pour vivre ensemble d’un pas plus léger sur la Terre.

Ces derniers temps, j’ai lu trois livres stimulants qui m’ont fait penser à vous, votre équipe de députés et la politique que vous déployez. Je me suis dit que vous aviez dû passer à côté. C’est dommage – mais no panic, je ne vous en veux pas, je sais que vous aviez tout un tas de rendez-vous importants avec les distilleurs de glyphosates, les réchauffeurs de la planète, les troueurs d’ozone, les bétoniseurs de sols, les bouffeurs de phosphore, les acidificateurs d’océans, les tueurs d’abeilles et les ennemis des vers de terre… Du coup je vous donne un petit conseil de lecture – c’est de la part d’un amish qui vous veut du bien. Le premier ouvrage s’intitule Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, écrit par Emmanuel Bonnet, Diego Landivar et Alexandre Monnin (Éditions divergences, 2021). Le second, Politiser le renoncement, écrit par Alexandre Monnin (Éditions divergences, 2023) fonctionne un peu comme un tome deux.

Ces deux bouquins sont remarquables mais c’est sûr qu’ils sont un poil intello. Les auteurs posent conceptuellement les bases du démantèlement compte tenu de l’héritage de communs négatifs. La question qu’ils posent est assez simple mais ils le font avec clarté et grande capacité de conceptualisation, sur fond de conscience aigüe de la modification des conditions d’habitabilité de la Terre en Anthropocène. À tel point qu’ils deviennent de véritables pionniers d’une redirection écologique, radicale et démocratique. Que choisissons-nous de faire du monde dont nous héritons ? Et comme ce monde est rempli de communs négatifs (les centrales nucléaires en fin de vie, les océans de plastiques, les sols pollués, l’air irrespirable et toxique de nombre de mégalopoles, un climat rendant des régions entières impropres à la production agricole…) que choisissons-nous d’en faire ? L’heure du démantèlement, de la fermeture et de la liquidation n’a-t-elle pas sonné – pour peu qu’on ait le courage d’adopter une attitude responsable à l’égard des jeunes ?

Le troisième, dans le même ordre d’idée et de façon tout aussi convaincante et passionnante, s’intitule Politiques de sobriété de Bruno Villalba (Le Pommier). Il retrace l’historique de cette notion et montre que, politisée, elle peut être beaucoup plus puissante qu’une doudoune ou un col roulé.

L’idée est simple : si on ne renonce à rien, on va tout perdre. Tout simplement parce qu’aujourd’hui tout, ou presque, détruit les conditions bioclimatiques d’existence. Il ne s’agit pas ici de se la jouer en mode « je me suis converti à l’écologie : je suis tellement heureux en vivant avec rien ». Il s’agit plutôt de débattre ensemble de ce à quoi nous souhaitons renoncer pour continuer de vivre. Il s’agit de trouver le chemin, une ligne de crète, entre « une rupture immédiate et brutale des dépendances vis-à-vis de la Technosphère et le business as usual, l’inaction synonyme d’aggravation du péril anthropocénique[15] ? » Il ne s’agit pas de tout arrêter comme des brutes, tout de suite. Encore moins de ne rien changer, comme des sauvages. Mais de permettre à notre démocratie de se loger au sein des limites planétaires pour trouver un espace d’action juste et sécurisé[16].

Après avoir lu ces livres je me pose une question : monsieur Macron que faites-vous des communs négatifs en Anthropocène et comment prévoyez-vous de politiser la sobriété ? Dit comme ça, ça fait un poil théorique. Dit autrement, avec une image, ça peut, peut-être, mieux passer. On a tout un tas de métastases qui réduisent notre espérance de vie : pourquoi continuez-vous à nous vendre du doliprane ? Il y a, dans notre monde, tout un tas de ruines et de zombies. Il va bien falloir qu’on se résolve à en faire quelque chose. Les zombies – ou plutôt « technologies zombies[17] » – sont toutes ces productions humaines qui sont là pour un long moment. Désormais inutiles, rejetées dans la nature, parce qu’elles ne s’inscrivent pas dans les grands cycles biogéochimiques du système Terre elles ne parviennent pas à mourir, à l’image de ces pneus de voiture dans nos campagnes ou les océans.

« Tout l’enjeu, dès lors, consiste à politiser ce qui ne l’était pas sous la guise des communs négatifs : smartphones et 5G, pétrole et énergies fossiles, supply chains, modèles d’attractivité entre territoires, mesures néolibérales, doctrines économiques ou managériales hors-sol…[18] » Et bien il a tout compris Alexandre Monnin ! Il y a tout un tas de réalités qui menacent l’habitabilité du monde. Il faut qu’on se le dise. Et il faut qu’on identifie ici aussi les doctrines économiques et managériales de la Technosphère pour ce qu’elles sont : des puissances de mort. Honnêtement, ça vaut le coup que vous alliez jeter un coup d’œil. Ce ne sont pas des méchants marxistes. Il n’y a rien chez eux qui ait ce parfum. Juste des démocrates pleins de bon sens – c’est peut être ça le problème.

C’est aujourd’hui que se joue la possibilité démocratique de demain. Tout le temps passé à ne pas décider est autant de temps qui ne sera pas démocratique[19]. Pourquoi choisissez-vous systématiquement de laisser à ceux qui vous succèderont la responsabilité de gérer les crises qui adviendront ? Vous avez renoncé sans démissionner. Ça, c’est insupportable. Soit vous politisez le renoncement avec courage, soit vous démissionnez. De plus, vous enterrez tous les appels de la société civile qui sont, chacun, autant de possibilités démocratiques de l’avenir, que ce soit à Saintes-Soline, à Notre-Dame-des-Landes, devant les bureaux de Total. Le fond de ce que je veux dire : dans la préparation responsable de l’avenir aujourd’hui se joue la possibilité de pérennité de la démocratie. Et sur ce point précisément, je ne vous cache pas que j’aimerais bien que vous arrêtiez la rengaine autour de la croissance verte, véritable bombe démocratique et climatique.

Débattre à la hauteur des enjeux

Allumer des incendies donne du travail aux pompiers[20]. Créer des virus donne du travail à toute une chaîne de professionnels : chercheurs, biologistes, pharmaciens, médecins, pompes funèbres. Créer des déchets donne du travail à une grande industrie internationale. La spéculation sur les matières agricoles donne du travail aux traders. Etc. Très bien. Mais si nous souhaitons encore contenir l’emballement bioclimatique, il est nécessaire de mettre des personnes au chômage. Nous avons besoin de parler de tout ça ensemble, lors d’assemblées et de conventions citoyennes, au sein des entreprises, collectivités et organisations en tout genre, bien sûr. Mais aussi et surtout à l’Assemblée nationale – ainsi qu’au Sénat ou lors des Conseils des ministres.

Il ne s’agit pas tant d’opposer de « bonnes » mesures à prendre face aux « mauvaises » ni d’écouter de nouveaux technocrates supposément mieux informés. Ancré dans la confiance que l’avenir ne peut être que démocratique, nous avons besoin du bon sens citoyen pour permettre de « ressentir » ce que serait une démocratie de la décroissance, non comme finalité, mais comme moyen économique au service de l’hospitalité du monde.

On ne va pas tourner autour du pot, la ligne de fond pour faire émerger une nouvelle civilisation, sans laquelle toute politique court le risque d’être destructive et de perdre son sens, est assez simple, assez nette. Dans les principes de fond, il est nécessaire de diminuer les flux de matière et d’énergie ainsi que leur impact sur les écosystèmes. Pouvons-nous ici faire l’économie de l’instauration de quotas et d’une comptabilité de l’empreinte productive par l’entreprise et de la consommation de matière et d’énergie par individus[21] ? Honnêtement : je ne vois pas comment nous pouvons échapper à cela. Il faut commencer un régime, pour toute la société, et qui va être tout particulièrement difficile pour les plus gros.

Au niveau de la vie économique, il s’agit de produire « moins de biens (sobriété), et mieux (efficacité), pour que nos économies s’insèrent dans le cadre des limites planétaires et deviennent régénératives plutôt que destructives ; resserrer les écarts de revenus[22]. » Ensuite au niveau de la transformation de l’État, l’idée est de « refonder la représentation, enrichir les procédures démocratiques, protéger les biens publics et les biens communs ; redonner du sens au service public[23]. »

J’ai un copain qui part tous les ans deux semaines avec ses amishs sur son voilier (un habitable avec 8 petites couchettes). Ils préparent l’affaire au cordeau : passent à Super U avant, achètent des coquillettes et quelques tablettes de chocolat, et remplissent leurs bidons d’eau potable pour pouvoir boire et prendre une petite douche de temps à autre. Il ne viendrait pas à l’idée d’un des membres de l’équipe (du germain skip qui a donné esquif, petit bateau) de boulotter deux tablettes de chocolat ou de passer une heure sous la douche. Pourquoi ? Parce que les autres, avec lesquels chacun partage le même sort, sont là – et ils ne tarderaient pas à balancer l’égoïste par-dessus bord.[24]

Ne devrions-nous pas rendre les autres, avec lesquels nous partageons désormais le même bateau, plus présents dans notre quotidien – en mobilisant pour cela les savoirs scientifiques, nécessaire médiation pour être en prise avec le réel et lutter contre le déni ? Quand on est huit, la régulation s’opère d’elle-même et les quotas du nombre de carrés de chocolat par jour s’imposent de façon évidente. À soixante-huit millions il faut organiser l’affaire et en parler pour faire émerger des critères de justice. C’est de cela dont nous devons parler à l’Assemblée nationale. Regardons ce que cela pourrait donner, comme ça, pour voir, en épinglant deux-trois caractéristiques de nos vies – sachant bien sûr que ce qui compte ici c’est le processus démocratique éclairé et à la hauteur des enjeux (c’est-à-dire participant à contenir l’emballement bioclimatique).

Lâchons la bride aux députés… après les avoir formés

Monsieur le Président, et si… on lâchait la bride aux députés, ça donnerait quoi ? Disons qu’on pourrait les laisser bosser « sans filtre » après leur avoir donné une formation sur le système Terre – avec présence obligatoire sous peine de perdre son indemnité parlementaire. J’ai du mal à croire que nous ayons 577 incompétents à l’Assemblée nationale.

Je sais qu’on en a déjà parlé[25], mais j’ai bien aimé votre expérimentation avec la Convention citoyenne pour le climat. Vous avez pris 150 clampins tirés au sort, puis vous avez fait une petite faute d’inattention, persuadé que les clampins étaient des imbéciles, en laissant les organisateurs du Conseil économique social et environnemental (CESE) les former comme bon leur semble. Après sept sessions de trois jours s’échelonnant sur dix mois, portant notamment sur le système Terre, ce qu’ils ont proposé était tout simplement bluffant. Les citoyens de la Convention pour le climat ont bien compris combien la consommation (encouragée par un système productiviste capitaliste) était le premier problème écologique.

Ils ont franchement mâché le travail des députés avec leurs 149 propositions pour contenir l’emballement bioclimatique. Ça fourmille d’idées à débattre : imaginer l’introduction d’une nouvelle matière dans les programmes d’école (qu’ils appellent l’éducation au développement durable mais qui est pensée comme l’apprentissage de la préservation des conditions bioclimatiques d’existence) ; l’ajout d’un bilan carbone dans le bilan comptable de toutes les structures qui doivent produire un bilan ; etc.

Un week-end, j’ai passé quelques heures sur ma terrasse à lire les 149 propositions qu’ils ont écrites[26]. C’est du lourd. C’est du bon sens. C’est de la vie. Ce rapport est tissé d’attention au bien commun et aux communs. On identifie avec clarté ce qu’elle advient quand les décisions sont libérées des lobbys et des stratégies électorales. L’ensemble est pétri de démocratie et de justice sociale : tous les citoyens ont le droit de vivre sur la Terre, les ressources ne sont pas réservées aux patrons de Total et leurs enfants. Pour tout vous dire, à la fin de la lecture de ce rapport, mon sentiment dominant était la joie. La joie de savoir que n’importe quel collectif de citoyens, après quelques jours de formation, pouvait être indéfectiblement attaché à la démocratie et chercher à la faire revenir dans un espace d’action sécurisé, contenu par les limites planétaires. J’étais tellement heureux que j’ai fêté ça le dimanche soir en buvant une petite Leffe.

Je pense que vous avez loupé un épisode parce quand leur rapport de 460 pages est sorti vous étiez occupé par le covid – et c’était un peu chaud parce que vous vous étiez pris les pieds dans le tapis avec les mensonges autour de vos stocks de masques. Du coup vous n’avez pas pu vous siroter une petite Leffe sur votre terrasse après en avoir pris connaissance. Je sais bien que ressortir un rapport trois ans après son enterrement ça ne se fait pas. Depuis j’imagine que vous avez dû en enterrer quelques dizaines de ces rapports lumineux, justes et faciles à mettre en œuvre – pour peu qu’on sache faire un bras d’honneur à certains lobbys mortifères.

Mais avant toute chose, je me dois d’être honnête avec vous. Comme vous le savez, je vous ai à l’œil. Je vous observe, je vous écoute, j’essaie de comprendre ce que vous dites et d’analyser les écarts avec vos faits. À l’occasion de la grand-messe du climat qui a eu lieu à Glasgow au Royaume Uni, le 1er novembre 2021 vous avez dit : « La biodiversité est notre meilleure alliée contre le réchauffement climatique. Elle est ce qui permet de trouver des puits de carbone naturel, des solutions. » Je dois dire que ça m’a impressionné, je ne l’avais pas vu venir. J’ai l’impression que l’unique conseiller environnement sur les 75 que comptent votre cabinet[27] vous a soufflé cette phrase qu’il a reprise de l’unique page qu’il a eu le temps de lire de la Convention des citoyens pour le climat : la page 121 où les citoyens écrivent « La lutte contre le réchauffement climatique et la lutte pour la préservation de la biodiversité sont deux manières de contribuer à la préservation des conditions de la vie sur Terre. Elles sont intimement liées. »

Bon, OK, vous n’avez rien repris de ces 149 fantastiques propositions[28]. Mais qu’on ne vienne pas dire que vous n’avez pas lu une seule page. Si un jour vous avez besoin d’un avocat, je suis dispo, je vous filerai mon 06. En exclu pour vous et toujours en mode « gratis, au service de la patrie », je vous retrace les grandes lignes des 459 autres pages.

Interdire la publicité

Je suis assez fan de la thématique avec laquelle s’ouvre ce rapport « Consommer » – ensuite on a « Produire et travailler », « Se déplacer », « Se loger », « Se nourrir », puis « Constitution » et « Financement ». En termes d’analyse de situation, les citoyens formés sont à la hauteur des enjeux : « Nous ne sommes pas uniquement devant le choix d’une politique économique pour faire face à une crise économique, sociale et environnementale, nous devons agir sans plus attendre pour stopper le réchauffement et le dérèglement climatique qui menacent la survie de l’humanité. Si nous ne rattrapons pas le retard pris, beaucoup de régions du globe deviendront inhabitables, du fait de la montée des eaux ou de climats trop arides. C’est une question de vie ou de mort[29] ! »

Mes propositions préférées portent sur les régulations et interdictions de la publicité : « Proposition C2.1 : Interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de GES, sur tous les supports publicitaires » ; « Proposition C2.2 : Réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non-choisies à la consommation » ; « Proposition C2.3 : Mettre en place des mentions pour inciter à moins consommer[30]. »

Franchement, c’est incroyable combien les publicitaires ont réussi des trucs de dingue. (1) Un jour, il y a un type qui s’est dit qu’on pourrait utiliser les baguettes de pain comme surface publicitaire. Et ça a marché ! Tous les boulangers nous enfilent leur pain dans un petit papier publicitaire. (2) Un autre jour il y en a un autre qui s’est dit que ce serait bien pratique si tous les parisiens roulaient en SUV. Il nous a tabassé du 4×4 sur tous les supports publicitaires et il a réussi son pari[31]. (3) On continue de faire des pubs ciblant les jeunes pour les boissons sucrées délétères pour la santé ou (4) d’encourager les jeunes à dépenser du fric en paris sportifs à la con – ce qui n’est pas sans risque de dépendance. Etc., etc.

Bon, ça serait quoi le problème si on arrêtait net la pub ? Ça génèrerait quoi comme bug ? OK, ça mettrait des publicitaires au chômage – mais n’avons-nous pas besoin de leur créativité en ce moment pour tracer des voies nouvelles en Anthropocène ? OK, ça amènerait une réorganisation de certains flux financiers – mais je ne vois pas l’intérêt de continuer de scier, par notre surconsommation, la branche, non seulement sur laquelle on est assis, mais de laquelle on reçoit la vie.

Si jamais vous avez peur de vous ennuyer avant un film au ciné ou le soir en allumant la télé, on pourrait peut-être tout simplement « interdire sur tous les supports (télévision, radio, papier, internet et panneaux physiques, téléphones et SMS, mails, etc.) les produits ayant un fort impact sur l’environnement[32] », non ? « Nous considérons que la surexposition publicitaire n’est pas compatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030. En effet, il semble également difficile de consommer moins lorsque les incitations à la consommation, à tous les âges et sans en avoir le choix, sont aussi présentes dans la vie quotidienne.[33] » C’est dingue, à la lecture de ce rapport, de constater combien les citoyens ont fait le boulot à la place des députés ! C’est un peu comme la traduction socio-politique des rapports biogéophysiques du Giec.

Un peu de bon sens…

Avant de vous écrire une lettre, je note tout un tas de points que je dois voir avec vous sur un post-it – histoire d’en oublier le moins possible. Mais après le premier envoi[34], je me suis dit : « Flûte de flûte j’ai oublié de lui dire que la langue que la planète comprend, ce n’est pas l’anglais du genre “Make our planet great again« , mais le droit constitutionnel. »

Après le deuxième courrier[35], rebelotte : « Zut de zut j’ai omis de lui rappeler que les chercheurs avaient identifié depuis belle lurette les emballements bioclimatiques et avaient “prédit“ à peu près tout ce qui se passe aujourd’hui. »

Après la troisième missive[36] : « Perlinpinpin de perlinpinpin je ne lui ai pas parlé de la prime à la casse ! » Vous n’êtes peut-être pas au courant, mais quand on jette sa bagnole on a une prime. Y’en a qui sont choqués par le retour de l’appareil photo jetable, tout de plastique constitué, mais qui ne voient pas d’inconvénient à faire tourner la mégamachine avec la voiture jetable. Est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer la prime à la réparation – en essayant de garder ses voitures cinquante ans ?

Bon, continuons avec la question des emballages. Est-ce qu’il ne faudrait pas supprimer les emballages – tous (ou presque) ? Je ne vous cache pas que je trouverais ça un peu gonflant de nettoyer tous mes petits tupperware (en verre, pas en plastique…) avant d’aller à Super U pour acheter mon beurre et mes céréales, mais l’heure n’aurait-elle pas sonné ?

Je profite de notre échange pour vous faire part d’un truc qui me chagrine depuis un petit moment. Quand je parle des questions bioclimatiques avec les étudiants, je vois combien ils sont marqués par le recyclage. Mettre le papier dans la bonne poubelle est un truc hyper important pour eux. Et jeter un emballage ou un chewing-gum dans la rue est un grave acte d’hostilité environnementale. On a quand même réussi à bourrer le mou à toute une génération qui s’autorise à surconsommer comme des fous – tant qu’ils mettent les emballages dans la bonne poubelle. Le b. a.-ba de l’écologie pour nombre d’étudiants qui viennent d’avoir leur bac, c’est le tri des déchets – ce n’est pas l’interdiction de la pub et de la consommation de tous nos artefacts inutiles. Il fallait que je vous le dise – merci, ça me fait du bien de vous parler.

Bon, et puis tant qu’on y est, avec les citoyens de la Convention pour le climat et de nombreux intellectuels, je proposerais volontiers qu’on change l’article 1 de la Constitution « L’État est garant du respect de la prospérité de Total, Lafarge et pis aussi Monsanto et Elon Musk » par « L’État est garant du respect de l’empreinte écologique et des limites planétaires[37]. » C’est l’occasion de vous faire part d’un concept que j’aime beaucoup, c’est celui de « classes rapaces », proposé par le politiste Alain Garrigou[38]. Bon, c’est sûr, ça rappe un peu. En gros, cela renvoie à la porosité entre les cabinets ministériels et les directions des entreprises du CAC 40. Des prédateurs se sont installés à la tête de l’État qu’ils estiment coûteux, inefficace et autoritaire pour le fragiliser. On a l’impression que vos copains et vous, vous valorisez plus le fait de travailler dans une grosse boîte que d’être au service du bien commun en travaillant pour l’État. De même qu’en 1905 a été votée une loi de séparation entre l’Église et l’État, j’ai l’impression qu’il est sérieusement temps de plancher sur une loi de séparation entre le CAC 40 et l’État[39]. Non ?

Les transports aériens

L’usage de l’avion est un sujet qui est régulièrement amené par les étudiants à qui je donne des cours. Qu’est-ce qu’il serait juste d’autoriser ? Il y aurait des critères à définir, comme l’éducation et la formation, la nécessité (pour une organisation qui ne détruit pas les conditions bioclimatique d’existence), le plaisir (qui serait à bien circonscrire)… Certains étudiants amènent même l’idée que l’usage de l’avion, par une personne donnée dans une situation précise, peut aussi participer à contenir l’emballement bioclimatique (cela peut être le cas dans certaines situations exceptionnelles comme la production de savoirs ou la signature accords internationaux).

Que penser d’un étudiant qui souhaite faire son stage de fin d’étude en Chine ? On pourrait se dire – mais ce n’est pas à moi d’en juger, c’est un débat qui doit avoir lieu entre citoyens et à l’Assemblée – que pour ce type de voyage, qui ne peut que difficilement être fait en train, l’avion est nécessaire. Peut-être l’est-il d’autant plus qu’il est important que les jeunes puissent se former, être marqués en profondeur par la rencontre avec des personnes d’autres horizons culturels, sociaux et religieux. Il me semble même que ce type de rencontre participe d’un rempart invisible contre la barbarie. J’ai toujours été impressionné par la politique franco-allemande de réconciliation et par le travail de l’OFAJ (Office franco-allemand pour la jeunesse) qui a participé à tisser une alliance entre français et allemand – qui va bien au-delà du partage d’intérêts commerciaux. De plus, il me semble important que nous soyons en relation avec la Chine, super puissance qui propose la dictature comme modèle politique pour traverser les sombres temps de l’Anthropocène. Les enjeux géopolitiques sont ici considérables et doivent avoir pour socle un tissu amical et solidaire.

Mais alors : que penser de retraités qui voudraient aller passer deux semaines au Mexique admirer Chichen Itza ou la Mine de Naica ? Ça se complique. Est-ce qu’il ne faudrait pas ici différencier les retraités qui auraient économisé durant des années pour s’offrir leur premier grand voyage une fois à la retraite de ceux qui rentrent tout juste d’un week-end avec leurs copains à New York ? À voir. À débattre entre citoyens.

Sport

Je continue avec un dernier exemple qui n’est absolument pas le plus problématique du point de vue de l’empreinte environnementale. C’est simplement pour illustrer la façon dont ce sont tous les éléments de notre vie quotidienne qui sont concernés par une politisation des questions écologiques à la hauteur des enjeux. Je suis comme vous : j’adore le sport – mais je n’ai pas encore essayé le jet ski. Quand j’étais ado je voulais être handballeur et aujourd’hui encore j’essaie de faire un petit footing le plus souvent possible (disons que c’est mon programme personnel de lutte contre l’obésité). Ce que je trouve fabuleux avec le sport est que cela permet de faire quelque chose de non destructeur de son hybris, de sa folie de la démesure. Dans le sport, vous pouvez essayer de repousser vos limites le plus loin possible, sans que cela n’entrave la vie des autres – ce qui n’est pas le cas quand vous êtes dirigeant dans une compagnie pétrolière – ou président de la République française.

N’est-il pas essentiel que nous continuions de faire du sport – n’avons-nous pas plus que jamais besoin de la sécrétion d’endomorphine, cette hormone du plaisir ? Mais ne devons-nous pas, là aussi, baliser un peu le secteur ? Une fois amortie l’empreinte environnement de vos baskets (qui, ici n’est pas négligeable en raison de la programmation industrielle de leur usure après 1 000 km) ou de votre VTT, vous pouvez vous promener autant que vous voulez. C’est ce qu’on appelle la suffisance intensive[40] qu’on retrouve dans toutes ces activités que nous pouvons faire sans limites, tant leur empreinte environnementale est dérisoire. Ainsi en est-il également de la lecture ou de la musique. Une fois le livre édité, la guitare confectionnée ou le vélo produit, l’activité peut se reproduire à l’envi. Mais que faisons-nous si vous êtes sélectionné pour une compétition à New-York ?

Et cela est sans compter sur la façon dont, par moment, le sport professionnel dévisse complètement en accordant des montants exorbitants aux joueurs de foot, en installant des montagnes enneigées en Arabie saoudite pour les jeux asiatiques d’hiver pour tenter de savoir c’est-qui-qu’a-la-plus-grosse avec le Qatar… Ou, plus proche de nous, quand les footeux prennent un jet pour faire 150 km. Tout cela est à débattre de façon beaucoup plus minutieuse que ce que j’évoque simplement ici.

La liberté de l’action politique au sein des limites planétaires

Régulièrement, j’entends des personnes qui disent que nous devons créer un nouveau récit, écologique, qui soit aussi attirant, sexy. Il faut donner envie, dit-on. Ce n’est pas faux. Mais dans le fond, ceux qui ont un peu travaillé sur les forçages anthropiques actuels des processus écologiques qui structurent le système Terre le savent bien : ce qui nous attend c’est « du sang, du labeur, des larmes et de la sueur[41]. » Il est important de ne pas nous raconter des salades : diminuer par cinq le bilan équivalent carbone d’ici 2050 (cf. les accords de Paris signés lors de la COP 21) ne se fera pas sans renoncements significatifs. Mais bien sûr il s’agit aussi de nous laisser conduire par une utopie mobilisatrice (qui ne soit pas leurrante).

Alors, quel est notre rêve ? Notre utopie ? Notre croyance ? Pas forcément partagé par tous mais qui donne un peu d’élan pour avancer – aujourd’hui, ce qui domine en la matière est votre technosolutionnisme auquel personne d’un petit peu informé ne croit.

À quoi croyez-vous monsieur le Président ? Cette question n’a rien de mystique ou métaphysique. Pour engager les changements considérables à venir, nous avons besoin d’un acte de foi pour accompagner l’action politique. Je vais vous dire ce en quoi je crois : dans l’action politique – ce qui est indissociablement lié à la liberté. Mais une liberté qui n’a rien à voir avec l’aliénation des sociétés organisée par un pouvoir économique qui a réussi à prendre les dirigeants politiques en otage. La liberté de l’action politique est émancipatrice à l’égard des lobbys économiques et elle s’inscrit dans les limites planétaires. Oui, vous avez bien lu : une liberté cadrée par des limites fortes, structurelles. « Ma liberté s’arrête où commence celle du voisin », en somme. Et en l’occurrence le voisin il est tantôt Malien, Philippin, Brésilien, mais aussi enfant à naître ou ouvrier.

Je voudrais lever un malentendu entre vous et moi. À l’instar de nombre de citoyens, je n’attends pas de vous que vous régliez tous les problèmes dont vous héritez mais a minima que, par votre posture, vous n’entraviez pas l’émergence de ce que Hannah Arendt appelle le miracle de l’action de concert. Pour cela, il nous faut déjouer certaines logiques qui annihilent l’avenir et trouver de nouvelles manières d’habiter le monde ensemble.

Je parlais récemment avec un copain qui me partageait qu’il lui avait fallu vingt ans pour apprendre à écouter sa femme sans jouer au coq qui allait lui trouver des solutions – si vous voyez ce que je veux dire. Dans le fond, il me disait deux choses. La première était la prise de conscience de son virilisme qu’il avait appris par imprégnation dans un fonds culturel, une eau dans laquelle il baignait. Ce machisme est un peu comme l’air que nous respirons : omniprésent et invisible, mais surtout indispensable à tout projet – au premier rang desquels les projets « écologiques », bien sûr, que vous aimez appeler « verts ». À peine évoqué, le problème appelle une solution, des process, une supply chain, des financements, des clients. Oui, la solution a partie liée avec un paradigme machiste, stérile, en plus d’être mortifère. Je sais bien que ça fait marrer les gars qui se tapent des Corona cul-sec dans les vestiaires de rugby…

Le second élément qu’il me transmettait, peut-être dans l’espoir de me voir changer, était ce primat de l’écoute sur la parole. Cela m’a remémoré cet échange avec le sociologue Hartmut Rosa[42]. À ma question sur ce que nous devons faire compte tenu de la fragilisation des conditions bioclimatiques d’existence, il a répondu qu’il était d’abord nécessaire d’apprendre à écouter le monde. Je dois vous dire que, sur le coup, ça m’a laissé perplexe. J’attendais davantage de celui qui est considéré comme un des plus grands penseurs du temps présent. J’avais fondé sur lui davantage d’espoirs. Mais je n’ai jamais oublié sa réponse. Et s’il avait raison ? Si nos « solutions » (qui sont, finalement, toujours liées à un double paradigme technique et commercial) étaient en fait du côté du problème ? N’avons-nous pas à apprendre à passer d’une logique technosolutioniste à une logique politique, tout simplement ?

Bon, monsieur le Président, ces heures passées en votre compagnie à vous écrire, m’ont permis de mieux vous comprendre. Rassurez-vous, je ne suis pas complètement débile : je sais bien que nous ne vous convaincrons pas, nous pourrons seulement vous contraindre. Vous n’êtes pas seul à faire vôtre ce paradigme mensonger de l’avenir technologique en dépit du désastre bioclimatique, celui qui fait vendre, vendre et vendre encore à tout un tas de petits pigeons. De toute part se structure une oligarchie, véritable caste criminelle, qui réaffirme son engagement dans le système économique actuel à mesure que sa composante meurtrière apparaît au grand jour[43]. Nous ne vous lâcherons pas, vos comparses et vous qui vous nourrissez de vies humaines, celles déjà-là, comme celles dont vous entravez l’apparition par la perpétuation d’un monde injuste, inhospitalier et insoutenable.

NDLR : Nathanaël Wallenhorst a récemment publié Qui sauvera la planète ? Les technocrates, les autocrates ou les démocrates aux éditions Actes Sud et, avec Laurent Testot, Vortex. Faire face à l’Anthropocène aux éditions Payot.


[1] N. Wallenhorst, « Quand Macron joue avec la Terre », AOC, 6 janvier 2023 ; Wallenhorst, N., « Macron, le youtubeur qui voulait sauver la planète », AOC, 30 janvier 2023 ; Wallenhorst, N., « Macron ou l’écologie fabulée sur YouTube », AOC, 29 mai 2023.

[2] Ce que nous avons essayé de mettre à jour avec Laurent Testot dans Vortex. Faire face à l’Anthropocène, Payot, 2023.

[3] E. Bonnet, D. Landivar, A. Monnin, Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions divergences, 2021, p. 73.

[4] N. Truong, « Philippe Descola et Baptiste Morizot : “Face aux bouleversements écologiques, il est temps de bifurquer et d’aménager le monde pour la vie“ », Le Monde, 9 juin 2023.

[5] E. Maclouf, Pourquoi les organisations industrielles ne sauveront pas la planète ?, Lormont, Le Bord de l’eau, 2020.

[6] E. Bonnet, D. Landivar, A. Monnin, Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions divergences, 2021, p. 74.

[7] N. Wallenhorst, « Quand Macron joue avec la Terre », AOC, 6 janvier 2023.

[8] M. Bador et al., « Future Summer Mega-Heatwave and Record-Breaking Temperatures in a Warmer France Climate », Environmental Research Letters, 12, 2017, p. 1-12.

[9] E. Bonnet, D. Landivar, A. Monnin, Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions divergences, 2021, p. 89.

[10] Voir à ce sujet la thématique « Vers un écologisme radical » de l’émission « En quête de politique » du 10 juin 2023, animée par Thomas Legrand sur France inter où il reçoit Dominique Bourg et Laurence Hansen-Love.

[11] E. Bonnet, D. Landivar, A. Monnin, Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions divergences, 2021, p. 119.

[12] C. Gatinois, « Au Mont-Saint-Michel, Emmanuel Macron appelle à “ne pas redouter l’avenir“ », Le Monde, 6 juin 2023.

[13] C. Gatinois, « Réforme des retraites : depuis la Normandie, Emmanuel Macron observe l’essoufflement du mouvement », Le Monde, 7 juin 2023.

[14] Il ne s’agit pas là d’une de vos expressions bien sûr ! Mais voir notamment : C. Guillou, I. Trippenbach, « Malaise au sommet de l’État face à l’héritage historique du Rassemblement national », Le Monde, 1er juin 2023. Voir également : Le Monde et AFP, « Macron dénonce une « fausse polémique » sur Pétain, qui ne sera pas honoré le 10 novembre », Le Monde, 7 novembre 2018 ; G. Courtois, « Macron a déclenché une polémique à propos du maréchal Pétain qui a brouillé le message », Le Monde, 13 novembre 2018.

[15] A. Monnin, Politiser le renoncement, Éditions divergences, 2023, p. 21.

[16] J. Rockström et al., « Safe and just Earth system boundaries », Nature, 2023.

[17] Voir le développement réalisé par Alexandre Monnin dans Politiser le renoncement (p. 40 et suivantes) ainsi que dans Héritage et fermeture.

[18] A. Monnin, Politiser le renoncement, Éditions divergences, 2023, p. 42.

[19] Comme l’écrit Alexandre Monnin, « moins les arbitrages sont anticipés, moins ils seront démocratiques ». A. Monnin, Politiser le renoncement, Éditions divergences, 2023, p. 113.

[20] D. Bourg, Y. Chapoutot, « Chaque gestion compte » Manifeste contre l’impuissance publique, Gallimard, « Tract », 2022.

[21] Voir notamment : D. Bourg, P. Desbrosses, G. Chapelle, J. Chapoutot, X. Ricard-Lanata, P. Servigne, S. Swaton, « Retour sur Terre. 35 propositions », La pensée écologique, 15 avril 2020.

[22] D. Bourg, P. Desbrosses, G. Chapelle, J. Chapoutot, X. Ricard-Lanata, P. Servigne, S. Swaton, « Retour sur Terre. 35 propositions », La pensée écologique, 15 avril 2020.

[23] D. Bourg, P. Desbrosses, G. Chapelle, J. Chapoutot, X. Ricard-Lanata, P. Servigne, S. Swaton, « Retour sur Terre. 35 propositions », La pensée écologique, 15 avril 2020.

[24] J’emprunte cette image à Thierry Ripoll : T. Ripoll, « Seule une révolution anthropologique majeure pourrait surmonter la crise environnementale », Le Monde, 24 février 2023 ; T. Ripoll, Pourquoi détruit-on la planète ? Le cerveau d’homo sapiens est-il capable de préserver la Terre ? Lormont, Le Bord de l’eau, 2022.

[25] Cf. le chapitre 5 « Le récit pervers », Qui sauvera la planète ? Les technocrates, les autocrates ou les démocrates… Actes Sud.

[26] Convention citoyenne pour le climat, 2021, Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, version corrigée du 29 janvier.

[27] Véridique !

[28] A. Garric, M. Gérard, R. Barroux, S. Mandard, P. Mouterde, I. Rey-Lefebvre, M. Valo, A. Lasiaunias, S. Auffret, « Que sont devenues les propositions de la convention pour le climat, qu’Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre “sans filtre“ ? », Le Monde, 12 février 2021.

[29] Propositions de la convention citoyenne pour le climat, p. 9.

[30] Propositions de la convention citoyenne pour le climat, p. 24.

[31] Voir notamment : T. Parrique, Ralentir ou périr, Paris, Seuil, 2022.

[32] Propositions de la convention citoyenne pour le climat, p. 26.

[33] Propositions de la convention citoyenne pour le climat, p. 27.

[34] N. Wallenhorst, « Quand Macron joue avec la Terre », AOC, 6 janvier 2023.

[35] Wallenhorst, N., « Macron, le youtubeur qui voulait sauver la planète », AOC, 30 janvier 2023.

[36] Wallenhorst, N., « Macron ou l’écologie fabulée sur YouTube », AOC, 29 mai 2023.

[37] D. Bourg, P. Desbrosses, G. Chapelle, J. Chapoutot, X. Ricard-Lanata, P. Servigne, S. Swaton, « Retour sur Terre. 35 propositions », La pensée écologique, 15 avril 2020 ; B, mesure 1.

[38] A. Garrigou, « La formation des élites d’État et l’avènement d’une nouvelle “classe rapace » », in L. Bonelli et W. Pelletier (dir.), L’Etat démantelé, La Découverte, p. 42-53.

[39] Je reprends ici une idée énoncée par la députée des Deux-Sèvres Delphine Batho.

[40] A. Monnin, Politiser le renoncement, Éditions divergences, 2023, p. 153.

[41] Il s’agit des célèbres propos de Winston Churchill, le 13 mai 1940 devant la Chambre des communes, à l’occasion de son premier discours juste après être nommé Premier ministre du Royaume-Uni.

[42] H. Rosa, N. Wallenhorst (entretiens avec), Accélérons la résonance !, Le Pommier, 2022.

[43] Voir le livre d’Hervé Kempf : Que crève le capitalisme, Seuil, 2020.

Nathanaël Wallenhorst

Politiste, Enseignant-chercheur à l'UCO

Notes

[1] N. Wallenhorst, « Quand Macron joue avec la Terre », AOC, 6 janvier 2023 ; Wallenhorst, N., « Macron, le youtubeur qui voulait sauver la planète », AOC, 30 janvier 2023 ; Wallenhorst, N., « Macron ou l’écologie fabulée sur YouTube », AOC, 29 mai 2023.

[2] Ce que nous avons essayé de mettre à jour avec Laurent Testot dans Vortex. Faire face à l’Anthropocène, Payot, 2023.

[3] E. Bonnet, D. Landivar, A. Monnin, Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions divergences, 2021, p. 73.

[4] N. Truong, « Philippe Descola et Baptiste Morizot : “Face aux bouleversements écologiques, il est temps de bifurquer et d’aménager le monde pour la vie“ », Le Monde, 9 juin 2023.

[5] E. Maclouf, Pourquoi les organisations industrielles ne sauveront pas la planète ?, Lormont, Le Bord de l’eau, 2020.

[6] E. Bonnet, D. Landivar, A. Monnin, Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions divergences, 2021, p. 74.

[7] N. Wallenhorst, « Quand Macron joue avec la Terre », AOC, 6 janvier 2023.

[8] M. Bador et al., « Future Summer Mega-Heatwave and Record-Breaking Temperatures in a Warmer France Climate », Environmental Research Letters, 12, 2017, p. 1-12.

[9] E. Bonnet, D. Landivar, A. Monnin, Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions divergences, 2021, p. 89.

[10] Voir à ce sujet la thématique « Vers un écologisme radical » de l’émission « En quête de politique » du 10 juin 2023, animée par Thomas Legrand sur France inter où il reçoit Dominique Bourg et Laurence Hansen-Love.

[11] E. Bonnet, D. Landivar, A. Monnin, Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions divergences, 2021, p. 119.

[12] C. Gatinois, « Au Mont-Saint-Michel, Emmanuel Macron appelle à “ne pas redouter l’avenir“ », Le Monde, 6 juin 2023.

[13] C. Gatinois, « Réforme des retraites : depuis la Normandie, Emmanuel Macron observe l’essoufflement du mouvement », Le Monde, 7 juin 2023.

[14] Il ne s’agit pas là d’une de vos expressions bien sûr ! Mais voir notamment : C. Guillou, I. Trippenbach, « Malaise au sommet de l’État face à l’héritage historique du Rassemblement national », Le Monde, 1er juin 2023. Voir également : Le Monde et AFP, « Macron dénonce une « fausse polémique » sur Pétain, qui ne sera pas honoré le 10 novembre », Le Monde, 7 novembre 2018 ; G. Courtois, « Macron a déclenché une polémique à propos du maréchal Pétain qui a brouillé le message », Le Monde, 13 novembre 2018.

[15] A. Monnin, Politiser le renoncement, Éditions divergences, 2023, p. 21.

[16] J. Rockström et al., « Safe and just Earth system boundaries », Nature, 2023.

[17] Voir le développement réalisé par Alexandre Monnin dans Politiser le renoncement (p. 40 et suivantes) ainsi que dans Héritage et fermeture.

[18] A. Monnin, Politiser le renoncement, Éditions divergences, 2023, p. 42.

[19] Comme l’écrit Alexandre Monnin, « moins les arbitrages sont anticipés, moins ils seront démocratiques ». A. Monnin, Politiser le renoncement, Éditions divergences, 2023, p. 113.

[20] D. Bourg, Y. Chapoutot, « Chaque gestion compte » Manifeste contre l’impuissance publique, Gallimard, « Tract », 2022.

[21] Voir notamment : D. Bourg, P. Desbrosses, G. Chapelle, J. Chapoutot, X. Ricard-Lanata, P. Servigne, S. Swaton, « Retour sur Terre. 35 propositions », La pensée écologique, 15 avril 2020.

[22] D. Bourg, P. Desbrosses, G. Chapelle, J. Chapoutot, X. Ricard-Lanata, P. Servigne, S. Swaton, « Retour sur Terre. 35 propositions », La pensée écologique, 15 avril 2020.

[23] D. Bourg, P. Desbrosses, G. Chapelle, J. Chapoutot, X. Ricard-Lanata, P. Servigne, S. Swaton, « Retour sur Terre. 35 propositions », La pensée écologique, 15 avril 2020.

[24] J’emprunte cette image à Thierry Ripoll : T. Ripoll, « Seule une révolution anthropologique majeure pourrait surmonter la crise environnementale », Le Monde, 24 février 2023 ; T. Ripoll, Pourquoi détruit-on la planète ? Le cerveau d’homo sapiens est-il capable de préserver la Terre ? Lormont, Le Bord de l’eau, 2022.

[25] Cf. le chapitre 5 « Le récit pervers », Qui sauvera la planète ? Les technocrates, les autocrates ou les démocrates… Actes Sud.

[26] Convention citoyenne pour le climat, 2021, Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, version corrigée du 29 janvier.

[27] Véridique !

[28] A. Garric, M. Gérard, R. Barroux, S. Mandard, P. Mouterde, I. Rey-Lefebvre, M. Valo, A. Lasiaunias, S. Auffret, « Que sont devenues les propositions de la convention pour le climat, qu’Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre “sans filtre“ ? », Le Monde, 12 février 2021.

[29] Propositions de la convention citoyenne pour le climat, p. 9.

[30] Propositions de la convention citoyenne pour le climat, p. 24.

[31] Voir notamment : T. Parrique, Ralentir ou périr, Paris, Seuil, 2022.

[32] Propositions de la convention citoyenne pour le climat, p. 26.

[33] Propositions de la convention citoyenne pour le climat, p. 27.

[34] N. Wallenhorst, « Quand Macron joue avec la Terre », AOC, 6 janvier 2023.

[35] Wallenhorst, N., « Macron, le youtubeur qui voulait sauver la planète », AOC, 30 janvier 2023.

[36] Wallenhorst, N., « Macron ou l’écologie fabulée sur YouTube », AOC, 29 mai 2023.

[37] D. Bourg, P. Desbrosses, G. Chapelle, J. Chapoutot, X. Ricard-Lanata, P. Servigne, S. Swaton, « Retour sur Terre. 35 propositions », La pensée écologique, 15 avril 2020 ; B, mesure 1.

[38] A. Garrigou, « La formation des élites d’État et l’avènement d’une nouvelle “classe rapace » », in L. Bonelli et W. Pelletier (dir.), L’Etat démantelé, La Découverte, p. 42-53.

[39] Je reprends ici une idée énoncée par la députée des Deux-Sèvres Delphine Batho.

[40] A. Monnin, Politiser le renoncement, Éditions divergences, 2023, p. 153.

[41] Il s’agit des célèbres propos de Winston Churchill, le 13 mai 1940 devant la Chambre des communes, à l’occasion de son premier discours juste après être nommé Premier ministre du Royaume-Uni.

[42] H. Rosa, N. Wallenhorst (entretiens avec), Accélérons la résonance !, Le Pommier, 2022.

[43] Voir le livre d’Hervé Kempf : Que crève le capitalisme, Seuil, 2020.