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Le sens de la philosophie ne se réduit pas à créer des concepts

Philosophe et écrivain

Depuis le célèbre livre de Deleuze et Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, publié il y a déjà un demi-siècle, il est devenu courant de faire équivaloir la philosophie à une activité de création de concepts. Une philosophie se reconnaît facilement aux concepts qu’elle met en avant, telles les Idées de Platon ou la Critique de Kant. Mais ces exemples historiques, fondateurs de la philosophie antique et moderne, suffisent-ils à comprendre ce que peut faire la philosophie aujourd’hui ?

Le mot concept est d’usage dans de nombreux domaines où il prend des significations très différentes. Entre le conatus de Spinoza, la gravitation pour Newton et la même pour Einstein, l’impression pour Monet et la tonalité pour Messiaen, le moins à dire est qu’il s’agit d’usages différents. C’est ce qui avait poussé Deleuze et Guattari à distinguer les percepts et les affects (artistiques et littéraires), les prospects (scientifiques) et les concepts (philosophiques).

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Malgré tout, cette distribution des rôles n’empêche ni les interférences, ni surtout un usage bien ancré du concept dans l’exigence non seulement de définition rigoureuse, cohérente, rationnelle, mais surtout susceptible de vérification contrefactuelle, expérimentale, objective. Ce qui rapproche le concept de son usage scientifique. Sans que son usage philosophique se confonde avec lui, entre autres motifs du fait de son ancrage expérienciel, lié à l’existence humaine, singulière et en commun, qui ne justifie cependant pas, comme le souligne Jocelyn Benoist dans Concepts (éditions du Cerf), sa dissolution dans le « vécu » … Mais alors de quoi est-il question en philosophie ?

L’aptitude aperceptive au « sens de »

Se pose en effet la question récurrente de la place de la philosophie dans l’activité intellectuelle. N’est-elle pas débordée, voire remplacée par les sciences, y compris les sciences humaines et leurs objets respectifs ? La dérive essayiste, psychologisante et moralisante, de la philosophie (du bonheur, des valeurs…) paraît bien en ressortir, confirmée par l’abondance des publications à la rigueur évanescente, hormis les ouvrages universitaires de commentaires des philosophies historiques dont la pertinence dépend précisément de cet ajustement ou pas à l’enjeu incertain de la philosophie. D’un côté, il y aurait les savoirs déterminables avec leurs concepts référés à des objets dans des domaines spécifiés, de l’autre… Quoi ? des non-savoirs indéterminables avec leurs notions sans réfé


Éric Clémens

Philosophe et écrivain

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