Société

Handicap : mémo pour quand les gauches s’y éveilleront

Sociologue, Historien, Sociologue, Sociologue, Sociologue, Géographe

Étrangement, les gauches françaises ne se distinguent guère sur la question du handicap. Pourtant, la révolution des droits qui anime les revendications des personnes handicapées incarne un projet de transformation sociale : mesures de lutte contre les inégalités, contre les discriminations, mesures d’inclusion, d’autodétermination… Les mobilisations des personnes handicapées appellent à construire une politique globale de justice sociale.

Un français sur sept de plus de 15 ans est en situation de handicap. 26% des personnes handicapées de 15 à 59 ans sont « pauvres », contre 14% des personnes de la même tranche d’âge sans handicap[1].

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Le taux de chômage des travailleurs handicapés est presque le double de celui des personnes non handicapées. Le handicap est, depuis des années, la première cause de discrimination recensée par le Défenseur des droits dans son rapport annuel[2]. Le handicap trace donc une ligne de démarcation entre les chances sociales accordées aux valides et celles dont sont privées les personnes handicapées.

Alors que les conventions internationales affirment l’obligation faite aux États d’agir pour l’effectivité des droits et la participation sociale des personnes handicapées, il est difficile d’entendre, dans les arènes de production des politiques publiques, y compris dans celles concernant directement les personnes handicapées (Conseil national consultatif des personnes handicapées, Conférence nationale du handicap…) mais aussi dans les arènes de la politique institutionnelle (Parlement, partis politiques, campagnes électorales…), ce que les gauches pourraient avoir à proposer sur ce sujet.

Comment la gauche a-t-elle ignoré le handicap ?

Le handicap passe à travers les mailles des mobilisations sociales ou n’y sont visibles que sporadiquement et dans des approches catégorielles limitées. Alors que les personnes accidentées du travail et/ou invalides ont constitué l’un des socles de l’État providence, les syndicats ne s’emparent pas vraiment de ces questions. Les politiques d’intégration dans l’emploi de travailleur·es déjà handicapé·es ne sont pas un objet prioritaire des luttes syndicales, qui se centrent davantage sur le maintien dans l’emploi. Mais nombre de travailleur·es concerné·es sont licencié·es pour inaptitude : sorti·es des collectifs de travail, ils et elles ne sont alors souvent plus à portée des actions syndicales et doivent chercher d’autres appuis collectifs, auprès d’associations spécialisées labellisées « handicap ».

Les personnes handicapées sont aussi tenues à l’écart des mobilisations sociales. D’autant que la question de l’accessibilité des espaces de mobilisation (lieux de réunion, modes de communication, prévention sanitaire en période COVID) n’est jamais prioritaire, dans aucune action collective. Exemplification parmi tant d’autres de cette invisibilité du handicap dans les luttes : Place de la Nation à Paris, le 19 novembre 2022, Céline Extenso, co-fondatrice de l’association intersectionnelle Les Dévalideuses, n’a pas pu accéder à la tribune dressée sur un kiosque, la rampe prévue pour lui permettre de monter étant beaucoup trop inclinée. Les risques physiques encourus par les personnes handicapées pour participer aux manifestations, surtout en des temps d’accroissement de la répression et des violences policières, font que celles-ci sont très peu présentes dans les défilés de rue, sauf lorsque ceux-ci sont spécialement organisés pour ou par elles.

Les marches des fiertés ou les manifestations du 8 mars pour les droits des femmes réservent ainsi parfois des espaces dédiés au sein des défilés. Handi-Social à Toulouse est l’un des rares collectifs militants de personnes handicapées à avoir réalisé des actions publiques, occupant les pistes de l’aéroport, la gare de Matabiau ou assurant la gratuité d’un péage. Cela leur a valu des poursuites judiciaires et un procès rocambolesque rendu par un tribunal et des procédures inaccessibles pour la plupart des accusés. Un collectif pour la désinstitutionalisation a aussi défilé dans les manifestations contre la réforme des retraites et lors du 1ier mai 2023. L’intersection des luttes est donc bien prioritaire et porteuse, comme le montre Charlotte Puiseux dans son livre[3], où elle raconte ses expériences de lutte contre le validisme à l’articulation avec d’autres luttes : anticapitalistes, antiracistes, féministes…

Pourtant, le handicap est relativement absent des préoccupations et des pratiques des organisations partisanes de gauche qui s’ouvrent trop peu aux revendications des personnes concernées. Si le validisme est un terme employé par EELV depuis décembre 2022, le dernier congrès fédéral de ce parti n’était pour autant pas accessible. Les relations de la France Insoumise avec le mouvement social des personnes handicapées sont parfois tendues et la NUPES n’a pas fait du handicap des candidat·es un critère dans la distribution des circonscriptions lors des législatives 2022, à la différence du critère du genre.

Les gauches n’investissant guère le potentiel de transformation sociale du handicap, la droite s’est emparée du sujet. Ce sont historiquement des familles de notables catholiques qui ont œuvré pour la création des premiers établissements pour personnes handicapées et obtenu de l’État cette délégation de services publics qui en fait les premiers opérateurs de cette politique[4]. Ce catholicisme social a trouvé plus aisément des relais auprès d’acteurs politiques intéressés à la défense des droits des familles. Elles sont devenues les interlocutrices privilégiées des pouvoirs publics sur les territoires comme dans les instances nationales, les personnes directement concernées étant ainsi souvent laissées à l’arrière-plan familial.

Quand des organisations proches des syndicats enseignants et du Parti Socialiste (comme l’APAJH) se sont engagées, elles l’ont fait dans un cadre professionnel, notamment celui des enseignants. Quand elles s’emparent de la question, les gauches le font le plus souvent au prisme des métiers de l’aide et du soin. A juste titre sensibles aux conditions de travail et de rémunération souvent honteuses de ces professionnels, elles manquent le plus souvent de les articuler aux droits et aux conditions d’existence des personnes handicapées.

Il est temps de défendre une alliance commune entre travailleuses et personnes handicapées. Les travaux existants montrent en effet que la promotion des droits des usagers peut soutenir la qualité des conditions d’exercice des professionnels et ainsi redonner du sens à leur travail : bénéficier d’un temps plus long pour la toilette d’une personne tétraplégique, avoir un moindre recours à la contrainte en psychiatrie, co-construire un projet professionnel avec un jeune avec une déficience intellectuelle… pour ne citer que quelques exemples.

Les partis de droite ont beau jeu de magnifier leur rôle dans le vote des trois lois majeures relatives au handicap (1975, 1987 (loi sur les quotas d’emploi de personnes handicapées) et 2005) en célébrant le rôle de Jacques Chirac, père d’une enfant handicapée et en posture de décideur à chacune de ces dates. Ce récit oublie toutefois le rôle des mobilisations associatives dans l’adoption des lois de 1975 et de 2005 et le fait que la France ne fait que suivre un mouvement convergent au niveau européen et international[5].

Nombre des idées forces de la loi du 11 février 2005, spécialement ses deux piliers fondamentaux que sont l’accessibilité et la compensation, avaient une histoire beaucoup plus longue, remontant aux mobilisations des personnes handicapées à l’échelle internationale dans les années 1970-80 qui se sont battues contre les obstacles dressés devant elle pour (tenter d’)obtenir de vivre à égalité avec les autres. C’est bien grâce à elles que les processus sociaux d’exclusion ou de marginalisation ont été identifiés et que le handicap a cessé d’être défini comme un problème strictement médical et individuel.

Aujourd’hui, une part de leurs revendications a trouvé sa traduction dans les politiques du handicap, mais celle-ci peinent à sortir d’un modèle médico-social caritatif au profit d’un projet de société producteur d’égalité, que ce soit à l’école, dans l’emploi, dans le logement, les transports, les loisirs, etc. Les affichages et annonces politiques sans cesse réitérés « pour une société inclusive » (mais à budget contraint) masquent mal le fait que celle-ci est encore très loin d’être réalisée. Ces incantations tendent souvent à se substituer à un projet de transformation sociale revendiqué par les mobilisations de personnes handicapées et pourraient empêcher toute velléité de politisation de cette cause, à ce jour encore largement confinée dans les arcanes d’une gestion administrative.

Le printemps arrive

Des indices de transformation sont pourtant perceptibles.

Des alternatives fortes sont aujourd’hui portées par des mouvements par et pour des personnes directement concernées, notamment les mouvements antivalidistes qui aiguillonnent ainsi les associations plus traditionnelles, tout particulièrement dans le champ de l’autisme, du handicap moteur ou intellectuel. Cette prise de parole formule deux revendications majeures : désinstitutionalisation et respect des droits fondamentaux. Ces associations dénoncent le validisme de la société française défini comme “l’oppression systémique d’un groupe de personnes justifiée par la référence à ce que celles-ci peuvent ou ne peuvent pas faire avec leur corps ou leur esprit.”[6].

La notion de validisme est forgée sur les mêmes bases que celles dénonçant le racisme et le sexisme systémiques : l’ordre social fonctionne sur la mise à l’écart matérielle et symbolique des minorités. L’architecture des villes, l’organisation du travail, l’ordinaire des interactions sociales réalisent une ségrégation effective des personnes handicapées : ségrégation silencieuse du fait des barrières mises à l’accès des personnes concernées à l’espace public et à une prise de parole à égalité ; ségrégation invisible du fait de la faible proportion de personnes handicapées occupant des fonctions politiques, médiatiques, syndicales ou associatives.

Ainsi, seuls trois députés se sont déclarés en situation de handicap en France en 2022, obligeant l’Assemblée nationale à réaliser des travaux pour rendre l’hémicycle plus accessible. Pour dénoncer ce validisme, les associations mobilisent le droit international et tout particulièrement la Convention internationale pour les droits des personnes handicapées de l’ONU, ratifiée par la France en 2010.

Les institutions chargées de le faire appliquer ont rappelé à l’ordre la France à plusieurs reprises. Le Comité des droits des Nations unies l’a fait en août 2021. Le Comité des droits sociaux du Conseil de l’Europe l’a dit en d’autres termes, à peine moins amènes en mars 2023, après une réclamation portée cette fois-ci par les principales associations gestionnaires. Le gouvernement s’est en effet attiré les foudres en renonçant à mettre en œuvre la loi de 2005. Si on s’en tient ici à l’obligation d’accessibilité sans laquelle l’inclusion ne demeurera qu’un slogan, on ne peut que constater la régression à l’œuvre.

En 2018, la loi « Elan » (« portant Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique ») est revenue sur le droit à l’accessibilité du bâti neuf, en ramenant le pourcentage de logement accessibles devant être construits de 100% à 20%. Les reports successifs de la mise en accessibilité du pays, depuis 1975, et encore récemment, lors de la Conférence nationale du handicap de 2023 (qui prévoit un investissement d’1,5 milliard sur les 5 prochaines années, soit 5 ans de délais supplémentaires) ont fini de démonétiser complètement la parole politique sur le sujet. L’espoir d’une mise en œuvre de la loi s’efface et oblige à se définir un autre horizon. C’est d’ailleurs sur les décombres des promesses non tenues d’une « France accessible » en 2015 que les associations antivalidistes ont émergé : crucial dans l’émergence des mouvements antivalidistes en France, le Collectif Handicap de Lutte pour l’Égalité et l’Émancipation (CHLEE) est né des mobilisations initiées par le collectif « Non au report » né pour protester contre les délais supplémentaires accordés en 2015 pour se plier aux obligations légales en matière d’accessibilité.

Le recul des engagements publics en matière de handicap ouvre un espace pour les mobilisations.

Que faire ?

Quatre enjeux sont au cœur des mobilisations et des revendications actuelles.

Le premier enjeu est celui de l’accessibilité de la société à toutes et tous. Pour les personnes concernées, l’absence d’accessibilité des transports, des musées, des commerces, des cabinets médicaux, des salles de spectacle, des lieux de vacances est intolérable. L’inaccessibilité limite la présence des personnes handicapées dans l’espace public et entretient l’invisibilité dans laquelle elles sont maintenues.

Il est donc temps de réaffirmer que l’accessibilité conditionne toutes les autres politiques (notamment celles d’accès à l’emploi). Les responsables politiques disposent de multiples leviers pour mettre en œuvre ce droit : durcir les sanctions, accroître la production d’expertise sur la mise en accessibilité, renforcer l’accompagnement à la transition accessible, limiter le rôle des lobbys du bâtiment et de la promotion immobilière dans les prises de décision à ce sujet… Le renforcement des pouvoirs de sanction des préfets est une option possible pour arriver à cette fin. La suppression de l’article 64 de la loi Elan qui revient sur le principe d’accessibilité du bâti neuf est aussi un préalable essentiel.

Cette politique d’accessibilité est aussi une façon d’enclencher une autre politique du logement, plus écologique et fondée sur d’autres bases que celles de la spéculation foncière. Au-delà d’une seule question architecturale, c’est l’ensemble des besoins, quels que soient les handicaps, qu’il s’agit de prendre en considération.

Le deuxième enjeu est celui de la désinstitutionalisation. Celle-ci doit conduire à la fermeture des établissements spécialisés pour personnes handicapées et organiser les conditions d’une vie autonome à domicile. Les politiques publiques du handicap visent alors à développer les soutiens à l’expression et à la réalisation de cette autonomie. Pour réaliser cette désinstitutionalisation, la mobilisation des futurs gouvernements est essentielle, au risque de voir se réaliser un tournant politique au moins disant social.

De nombreux points sont encore à définir, puis à mettre en œuvre. Comment organiser le soutien à la vie autonome sans précariser les travailleuses des métiers du care ? La fermeture des établissements doit s’accompagner d’une politique de protection sociale ambitieuse pour les personnes handicapées et leurs aidants professionnels ou familiaux, garantissant aux unes la qualité de la prestation de service, sa régularité et son effectivité, et aux autres, l’accès à des emplois pérennes et correctement rémunérés, à une protection sociale, à une carrière professionnelle et à des collectifs de travail qui les protègent de l’isolement. Une formation obligatoire et renforcée au handicap doit être systématique dans les formations des professionnel·les de la santé. Les droits sociaux des personnes handicapées doivent être plus facilement accessibles, notamment la Prestation de compensation du handicap (PCH) dont les modalités d’évaluation doivent être revues régulièrement.

Le troisième enjeu est celui de la déségrégation de l’école et de l’emploi. Réalisée sans moyens à la hauteur et sans modification des objectifs et méthodes de l’école, les politiques d’inclusion scolaire génèrent une colère puissante des parents d’enfants handicapés et des enseignants, qui sont tout autant livrés à eux-mêmes et se retrouvent à s’affronter durement sur l’avenir des enfants handicapés.

Parents et enseignants sont en droit de demander à l’État de prendre ses responsabilités et d’assumer une augmentation importante du nombre d’enseignants, des classes aux effectifs plus limités, pour rendre réellement possible l’inclusion scolaire. Les AESH sont en droit d’être reconnues comme fonctionnaires puisque l’école ne peut être inclusive sans elles : tant qu’elles ne le seront pas, leur statut demeurera précaire et leur expertise insuffisamment mobilisée et reconnue. Tous les petits trucs et astuces administratifs (comme les PIAL[7]) qui ont permis aux décideurs de croire qu’ils allaient réussir l’inclusion à coûts constants remettent en cause l’effectivité des droits.

En matière d’emploi, la situation est toujours aussi insupportable : un taux de chômage doublé pour les personnes handicapées par rapport à la population générale et une pauvreté beaucoup plus importante. Contrairement aux politiques actuelles visant essentiellement une mise forcée au travail (pour quelles fonctions ? pour quels salaires ? sous quel statut ?), les partis de gauche doivent réfléchir avec les organisations de personnes handicapées à refonder une politique d’accès à l’emploi et aux carrières professionnelles en articulant les politiques d’emploi des personnes handicapées à celle de la santé au travail.

Aujourd’hui, la majorité des bénéficiaires de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (les fameux quotas de 6% rarement atteints depuis 1987), est composée de personnes ayant acquis leurs limitations au cours – voire du fait – de leur activité professionnelle. Les travailleurs handicapés continuent d’être considérés par les employeurs comme des travailleurs moins capables. Là encore, les responsables politiques ont un rôle crucial à jouer : ils peuvent faire peser sur les employeurs une contrainte réelle pour améliorer l’emploi des personnes handicapées.

Le politique peut aussi amener à faire respecter l’obligation d’aménagements raisonnables et soutenir le développement du droit de la non-discrimination en entreprise. Enfin, d’importantes discussions doivent avoir lieu entre forces politiques et associations de personnes handicapées pour redéfinir les contours d’un revenu de remplacement fondé sur une définition unifiée du handicap appuyée sur le principe des droits humains.

Le dernier enjeu est celui de la représentation et de la participation des personnes handicapées à la détermination des politiques. Il ne s’agit pas seulement de leur permettre d’accéder à des espaces pour discuter des politiques les concernant directement, mais bien de leur permettre d’être présentes, actives et entendues dans tous les secteurs de politiques publiques.

Après avoir revendiqué la formulation du « Rien sur nous sans nous » pour participer aux décisions les concernant, les personnes handicapées demandent aujourd’hui que rien ne se décide sans elles. Partant de l’idée que le handicap est une question transversale, “Nothing without us” est le nouveau mot d’ordre des associations internationales. Comment assurer que les personnes handicapées seront entendues autant que les promoteurs immobiliers, les autorités régulatrices des transports, les représentants du patronat ou les syndicats de médecins généralistes ? C’est aussi sur ce point que les partis de gauche peuvent reconstruire une politique de justice sociale, assurant la prise en considération des intérêts de celles et ceux dont l’accès à l’espace public est le plus empêché par des décennies de mise à l’écart.

Comment faire ?

L’exemple des États-Unis et de l’Angleterre des années 1970-1980, période au cours de laquelle les mouvements de personnes handicapées ont été en relation avec un mouvement social global centré sur des revendications en termes de droits, a ouvert des perspectives. Cette période a été marquée par des liens renforcés –parfois tumultueux – entre les différentes mobilisations pour les droits des Noirs américains, pour les droits des femmes et de la communauté LGBT. La circulation des mots d’ordre et des ressources militantes a donné à ces différents collectifs une voix plus forte et des revendications plus précises.

Ce moment particulier a permis l’émergence d’une redéfinition du handicap, en termes de « modèle social » : à la différence d’une approche purement médicale, celui-ci propose de comprendre le handicap comme le produit d’un environnement inadapté. L’émergence de cette notion est due à la rencontre, notamment en Angleterre, entre militants marxistes, anti-racistes et handicapés. En dépit des vives controverses qu’elle a soulevée, l’approche en termes de « modèle social » a été un puissant moteur de redéfinition et de recadrage des situations vécues, de mobilisations politiques autour d’injustices ainsi mises en évidence. Elle a aussi permis de définir des alternatives désirables aux options asilaires alors mises en place.

Cette dynamique n’a rien perdu de sa pertinence, même si le monde a changé. Encore faut-il ne pas confiner dans un passé folklorisé, ni condamner par avance et réprimer les mobilisations protestataires pour se donner les chances du changement.

Ces mobilisations ont mis aussi en évidence un lien majeur dans la reconfiguration de l’action publique : celui joué par les sciences sociales. Les Disability Studies, ensemble de savoirs portant sur le handicap et porté principalement par des chercheur·es handicapé·es, ont été un des lieux de réinvention des discours, des représentations de mesure et de description des discriminations subies par les personnes handicapées. Ces liens sont aujourd’hui encore trop limités en France.

Les sciences sociales généralistes sont restées globalement aveugles à la question du handicap, qui souvent – à quelques rares exceptions – n’est pas une variable traitée ou identifiée dans les grandes sommes sociologiques, y compris dans la sociologie des inégalités, des discriminations, du genre ou de la race. Depuis une vingtaine d’années, des chercheur·es ont pourtant largement retravaillé les approches du handicap, revisitant son histoire à l’aune des approches coloniales ou de genre, en aidant à situer la France sur le plan international, en s’attachant à la parole des personnes concernées, en documentant précisément les inégalités sociales provoquées par le handicap, en décrivant concrètement les mécanismes discriminatoires et les expériences vécues, en transformant leurs pratiques de recherche pour les rendre plus inclusives. Ces recherches et leurs acquis sont aujourd’hui mobilisables. Reste à inventer des lieux dans lesquels tout cela pourra circuler.


[1] Au sens monétaire du terme : leur niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté fixé à 60% du revenu médian, soit 1102 euros par mois pour une personne seule. Panorama de la DREES, Le handicap en chiffres, 2023.

[2] Défenseur des droits, Rapport annuel d’activités 2022, p. 44.

[3] Charlotte Puiseux, De chair et de fer. Vivre et lutter dans une société validiste, Paris, La Découverte, 2022.

[4] Michel Chauvière, Enfance inadaptée. L’Héritage de Vichy, Paris, L’Harmattan, 1980.

[5] Lisa Waddington, From Rome to Nice in a wheelchair, Europa Law Publishing, 2006

[6] Arachné Rae,”Open letter to disabled lesbian”. Off our backs, 11(5), 1981, p. 39, cité par Adrien Primerano, “L’émergence des concepts de “capacitisme” et de “validisme” dans l’espace francophone”, Alter [Online], 16-2 | 2022.

[7] Pôles inclusifs d’accompagnement localisés

Pierre-Yves Baudot

Sociologue, Professeur de sociologie à l’université Paris-Dauphine et chercheur à l’IRISSO

Gildas Brégain

Historien, Chercheur au CNRS

Aurélie Damamme

Sociologue, Maîtresse de conférences à l’Université Paris 8

Delphine Moreau

Sociologue, Professeure de sociologie à l’EHESP et chercheuse au laboratoire ARENES

Emmanuelle Fillion

Sociologue, Professeure de sociologie à l’EHESP et chercheuse au laboratoire ARENES

Noémie Rapegno

Géographe, Professeure de sociologie à l’EHESP et chercheuse au laboratoire ARENES

Notes

[1] Au sens monétaire du terme : leur niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté fixé à 60% du revenu médian, soit 1102 euros par mois pour une personne seule. Panorama de la DREES, Le handicap en chiffres, 2023.

[2] Défenseur des droits, Rapport annuel d’activités 2022, p. 44.

[3] Charlotte Puiseux, De chair et de fer. Vivre et lutter dans une société validiste, Paris, La Découverte, 2022.

[4] Michel Chauvière, Enfance inadaptée. L’Héritage de Vichy, Paris, L’Harmattan, 1980.

[5] Lisa Waddington, From Rome to Nice in a wheelchair, Europa Law Publishing, 2006

[6] Arachné Rae,”Open letter to disabled lesbian”. Off our backs, 11(5), 1981, p. 39, cité par Adrien Primerano, “L’émergence des concepts de “capacitisme” et de “validisme” dans l’espace francophone”, Alter [Online], 16-2 | 2022.

[7] Pôles inclusifs d’accompagnement localisés