éducation

École : pour en finir avec une politique qui « donne un air de justice à l’inégalité »

Collectif de recherche

Le ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, faisait part le 5 octobre dernier du lancement de la mission de deux mois « Exigence des savoirs », pour améliorer le niveau des élèves à l’école. Pourquoi une nouvelle mission, alors que le constat est connu depuis les années 1970 : l’origine sociale est la dimension qui pèse le plus sur les trajectoires scolaires ?

« L’enseignement doit donc offrir à tous d’égales possibilités de développement, ouvrir à tous l’accès à la culture, se démocratiser moins par une sélection qui éloigne du peuple les plus doués que par une élévation continue du niveau culturel de l’ensemble de la nation. »
Plan Langevin Wallon 1947.

Le 5 octobre dernier, à l’occasion de la journée mondiale des enseignants, le ministre de l’Éducation nationale a fait part de son ambition pour l’École – le « choc des savoirs » – et sa méthode pour y parvenir : une mission « Exigence des savoirs » composée d’inspecteurs, de recteurs, d’experts et de professionnels qui rendra ses conclusions dans deux mois, pour une première mise en œuvre dès septembre 2024.

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Pourquoi une nouvelle mission, alors que le constat est connu depuis les années 1970 et confirmé par le rapport de France Stratégie sur le poids des héritages et les parcours scolaires : l’origine sociale est la dimension qui pèse le plus sur les trajectoires scolaires, plus que le genre et l’ascendance migratoire.

Tous les spécialistes reconnaissent que « l’école à la française » vantée par le ministre comme « profondément égalitaire et farouchement universelle », est en fait profondément inégalitaire en raison du dualisme public privé – rappelons que dans le projet de loi de finances, le budget du privé augmente de 6,5 %, contre 4,5 % pour le secteur public –, de l’existence des quartiers défavorisés où sont concentrées les familles les moins riches et aussi du fait que l’absence de formation initiale et continue digne de ce nom ne permet pas que les réalités des élèves des milieux populaires soient assez prises en compte dans les pratiques pédagogiques.

Alors même qu’il lance une mission de huit semaines, le ministre prétend que les réponses sont connues et critiquant, sans données sérieuses, les cycles, l’hétérogénéité des classes et la diversité des pratiques et des manuels, entend proposer les solutions déjà impulsées par Jean-Michel Blanquer. Disons-le d’emblée, les travaux disponibles, issus des rapports des inspections générales, des résultats des recherches en sciences de l’éducation, en sociologie et en psychologie sociale ainsi que des savoirs d’expérience des enseignants, ne valident pas ces mesures qui ne permettront en rien de corriger le poids de l’origine sociale sur la destinée scolaire des enfants issus des milieux populaires.

Sur la méthode : quelle prétention de croire qu’en huit semaines on peut consulter les syndicats, travailler avec les professeurs, rassembler les données de la science, et proposer des actions concrètes à mettre en œuvre à la rentrée prochaine ! C’est en effet la meilleure manière de répéter des idées simplistes relevant plus du sens commun que des résultats de la recherche. C’est une manipulation de l’opinion, mais pas un travail réel de réflexion collective à l’image de ce qui avait été réalisé pour rédiger les programmes de 2015 et pour réaliser la refondation de l’éducation prioritaire.

Existe-t-il un seul gouvernement qui n’a pas voulu l’amélioration des résultats scolaires ? Il ne suffit pas de dire des mots forts, il faut proposer des pistes de travail sérieuses.

La conduite du changement n’est pas chose facile et ni les beaux discours qui prétendent au consensus, ni les mots d’ordre autoritaires ne permettront de parvenir à de réels changements. Au point que nous devons nous interroger pour savoir si le ministre veut vraiment le changement ou si sa volonté n’est pas, au mieux, de laisser la situation en l’état, au pire, d’aggraver une ségrégation scolaire qui satisfait l’électorat favorisé, dont les enfants réussissent à l’école.

Concernant le rapport aux savoirs scientifiques, il faut rappeler que les neurosciences, qui servent encore de caution scientifique, ne disent rien de la question sociale, tout au plus peuvent-elles décrire ce qui se passe dans un cerveau dans des situations expérimentales qui ne sont jamais la vraie vie. Or les enfants qui apprennent sont d’abord des humains en relation avec d’autres humains : leurs parents, leurs pairs, leurs enseignants, tous ceux qui les prennent en charge dans des tiers-lieux. C’est de cette réalité là qu’il faut dire quelque chose. Il existe un important corpus de recherches en psychologie, en sociologie, en sciences de l’éducation qui permet de comprendre les réalités des apprentissages des élèves et celles des pratiques d’enseignement des professeurs. C’est sur ces résultats de recherche qu’il faut s’appuyer pour travailler la question sociale en éducation.

La « bataille du niveau » : existe-t-il un seul gouvernement qui n’a pas voulu l’amélioration des résultats scolaires ? Il ne suffit pas de dire des mots forts, il faut proposer des pistes de travail sérieuses. S’agissant des écarts liés à l’origine sociale, largement occultée par le brumeux concept de la baisse du niveau, la seule idée proposée, bien peu « innovante » tant elle est usée, est celle des groupes de niveaux ou des dispositifs de soutien extérieurs à la classe elle-même pour remédier à des manques. Les données de la recherche ne valident pas ces perspectives.

Il faut en revanche aider les enseignants à développer la prévention des difficultés de leurs élèves plutôt que leur remédiation et faciliter la gestion positive de l’hétérogénéité des classes. Il faut en effet se souvenir que si les élèves apprennent des maîtres, ils apprennent aussi de leurs pairs. En clair, la mixité scolaire et sociale doit être privilégiée, et non bannie des classes et des établissements. Considérant que la question du temps consacré aux apprentissages et celle de leurs rythmes ne sont pas sans une influence importante pour les plus défavorisés, dans un pays qui n’a cessé de réduire le temps d’enseignement et qui est récemment revenu à la semaine de quatre jours à l’école, il faudrait pour le moins également remettre la question sur le métier.

Quant à l’autorité des professeurs, elle est indispensable à un enseignement de qualité porteur d’apprentissages pour les élèves, mais de quelle autorité parle-t-on ? Certainement pas d’un préalable « hors-sol », mais d’une autorité construite sur la détention des savoirs par le professeur et sur son professionnalisme c’est à dire sa capacité à enseigner à tous les élèves dans leur diversité. Il faut pour cela des professeurs ayant une solide formation dans les contenus à enseigner et la manière de le faire, la didactique. L’autorité des professeurs s’appuie également sur la maîtrise de cet art qui consiste à bien savoir présenter les activités aux élèves, à comprendre ce qu’ils ne comprennent pas pour les aider à progresser : c’est l’art de la pédagogie.

Ce n’est pas en clamant la lutte contre le supposé « pédagogisme » qu’on peut soutenir les enseignants dans la construction de leur autorité pédagogique. Pour développer ce professionnalisme, une formation solide est incontournable. En 2008 la formation initiale a été détruite, entre 2013 et 2016 elle a été un peu rétablie. Mais elle reste bien insuffisante pour que les personnels disposent des outils théoriques et pratiques indispensables à l’exercice de leur métier. Enfin si l’on veut que nos enseignants aient de l’autorité, il faut d’abord la leur reconnaître en postulant qu’ils sont compétents pour vraiment co-élaborer les réponses aux problèmes posés, et ne pas les considérer comme de simples exécutants à qui le ministre impose un manuel unique et des « bonnes pratiques » !

Ce n’est pas ainsi que nous parviendrons à une réelle démocratisation de l’école. Or, les inégalités scolaires ne sont pas une fatalité, notre École est encore capable de porter la réussite des enfants des milieux populaires si la coopération de tous avec chacun triomphe sur la compétition de chacun contre tous, si le sens du collectif reprend l’ascendant sur l’individualisme, si l’intérêt général redevient l’alpha et l’oméga de notre démocratie. C’est ce message d’espoir que le collectif Langevin Wallon portera, par ses interventions dans le débat public.


Le collectif Langevin Wallon

Collectif de recherche