Écologie

La COP28 à l’épreuve du réel

Économiste, Économiste

Retour sur les résultats de la dernière COP, tenue en fin d’année : il n’y aura donc pas de calendrier de sortie, ni du charbon, ni du pétrole, ni du gaz ; on pouvait s’y attendre. Les fossiles ont électrisé les débats, avec des tirs de barrage des pétroliers, mais aussi des grands consommateurs de charbon, Inde et Chine en tête – respectivement 70 et 64 % de leur production d’électricité.

Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), expert reconnu des problématiques énergétiques, déclarait au micro de France 24 le 1er décembre dernier : « Soyons clair, ni la France, ni le monde, ne peuvent se passer rapidement et massivement du pétrole. » En sortir n’est envisageable que « sur une période de temps longue. »[1].

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John Kerry et Xie Zhenhua, les négociateurs climat des États-Unis et de la Chine, se sont rencontrés en Californie du 4 au 7 novembre. Leur déclaration commune avait ouvert une porte, et tracé la voie qui sera retenue à Dubaï : tripler la part des renouvelables dans l’approvisionnement énergétique mondial d’ici 2030 « de manière à accélérer la substitution au charbon, au pétrole et au gaz »[2].

Évoquer une substitution en citant expressément ces trois combustibles, n’avait rien d’anodin. Chinois et Américains avaient déjà banni le terme de « phase-out », la sortie des fossiles, qui cristallisera les tensions à Dubaï.

L’accord a été signé dans la confusion, l’adoption du texte final (First global stocktake) bâclée en cinq minutes le mercredi 13 décembre, le sultan al-Jaber, président de la COP, lisant un court texte sans poser de questions : « Je n’entends aucune objection ? C’est décidé. » ; en l’absence, au moment du coup de maillet final, des 39 petits États insulaires – le groupe AOSIS – alors en discussion pour coordonner leur position.

À leur arrivée, Anne Rasmussen, représentante des Samoa et présidente de l’alliance, sans s’opposer à la décision finale, a mis les points sur les i : « Nous ne voulions pas interrompre la standing ovation lorsque nous sommes entrés dans la salle, mais nous sommes déconcertés […]. Il semble que vous vous soyez contenté de prendre les décisions, alors que les petits États insulaires en développement n’étaient pas présents. […] Nous constatons [dans la décision finale] une litanie de lacunes. »[3]. À la fin de son intervention, Anne Rasmussen a été longuement applaudie .

Que dit cet accord sur la question des fossiles ? Dans un jargon qui se devait de satisfaire les exigences difficilement conciliables des principaux protagonistes, il est écrit qu’il appelle à « transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques (Transitioning away from fossil fuels in energy systems), d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques. »[4].

Le terme de sortie pour les fossiles – phase-out – est absent, remplacé par « transitioning away », qui peut avoir le même sens mais pas nécessairement. Cette ambiguïté langagière, la diplomatie des mots, permettait à tout un chacun de s’y retrouver, et de maintenir sa proposition ouverte pour les prochains rounds de négociations. Tout le monde pouvait alors se targuer, ou à peu près, d’un succès.

Ce texte mentionne néanmoins explicitement, et pour la première fois, les énergies fossiles ; mais afficher un calendrier pour l’épilogue du charbon, du pétrole et du gaz naturel – ce qui eut été historique – était impossible.

La Chine et les États-Unis à la manœuvre

L’Arabie saoudite était opposée à toute référence à la sortie des fossiles – comme le reste de l’OPEP, mais aussi des pays africains pourvus de vastes réserves d’hydrocarbures. Elle a joué un rôle clé dans les négociations. Son ministre de l’Énergie voit loin : « Nous extrairons toujours du pétrole en 2100, mais nous veillerons à le faire de manière responsable, en gérant nos émissions de la meilleure manière possible »[5]. Il y avait par ailleurs 2 400 lobbyistes fossiles accrédités, quatre fois plus que l’année précédente à Charm el-Cheikh. Une COP sous le signe des fossiles.

La Chine et les États-Unis sont restés discrets. La Chine a cependant tenu son rang. Lorsque le monde occidental engage, au début des années 1970, les débats sur la pollution et la préservation de l’environnement, les économies industrialisées produisent les 3/4 du PIB mondial, la Chine seulement 1,3 %. Tibor Mende, spécialiste de l’Inde et de la Chine, l’avait anticipé au début de la décennie 1950 : le déplacement « du centre de gravité du monde en route vers l’Asie, son berceau », qu’il décrivait alors, est en train de se réaliser sous nos yeux[6].

Entre 1990 et 2022, la taille de l’économie américaine a doublé, celle de la Chine a été multipliée par 16 (celle de l’Inde par 6,5)[7]. Elle devrait devenir la première puissance économique mondiale au début de la prochaine décennie annonce le CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales)[8].

Xie Zhenhua, son négociateur, a toujours soutenu qu’il était « irréaliste » de vouloir éliminer complètement les combustibles fossiles ; pour à la fois, précisait-il, maintenir la stabilité des réseaux en palliant l’intermittence des renouvelables, garantir la sécurité énergétique globale, et aussi le développement économique[9].

C’est elle, plus que les États-Unis, qui a été le facilitateur principal pour arracher un accord à la COP28, en ralliant tant les pays producteurs de pétrole que l’assemblage hétéroclite du « Sud global ».

Le temps séculaire de la renonciation aux fossiles

Le chemin pour se passer un jour des fossiles a été donné depuis Dubaï par les négociateurs chinois et américains. Xie Zhenhua : « C’est un processus. » John Kerry : « Vous devez procéder à une sortie progressive. »[10]. Cela pourrait durer longtemps.

Les États-Unis sont aujourd’hui le premier producteur mondial de pétrole. Ils pressent depuis 2022 la République démocratique du Congo (RDC) de surseoir à ses projets de mise aux enchères de permis d’exploration dans sa forêt tropicale, qui joue un rôle crucial dans le système climatique de l’Afrique[11]. Tosi Mpanu Mpanu, à la fois conseiller du ministre des Hydrocarbures et représentant climat de la RDC, ne transige pas : « Notre priorité n’est pas de sauver la planète » mais de faire rentrer des revenus[12].

Sans état d’âme, l’administration Biden continue, elle, d’en mettre en vente par centaines. Quelques jours seulement après la clôture de la COP28, alors que les États-Unis venaient de promettre d’opérer une « transition hors des énergies fossiles », elle mettait en vente des droits de forage dans le Golfe du Mexique pour l’année 2025, des contrats pour un montant que l’on n’avait pas observé depuis 2015[13].

De son côté, le Brésil, le jour même de la clôture de la COP, a procédé à l’adjudication de 600 blocs de pétrole et de gaz, dont certains dans des zones protégées et terres autochtones. Le pays, déjà 9e producteur de pétrole, entend bien gagner des parts de marché. Alors que son président, Luiz Inácio Lula da Silva, s’affiche en leader de la lutte contre le réchauffement. Sur les fossiles, l’hypocrisie est assez bien partagée.

En juin 2023, la demande mondiale de pétrole s’établissait à 103 millions de barils par jour, un record historique. Et le problème, c’est que de l’or noir il y en a encore vraiment beaucoup : les réserves estimées sont équivalentes à la quantité totale consommée depuis la fin du XIXe siècle ; voire quatre fois plus si l’on considère les gisements qui n’ont pas encore été quantifiés avec précision, bien que certaines de ces ressources puissent être difficiles ou impossibles à exploiter pour des raisons géologiques ou économiques[14].

Selon un inventaire récent conduit par Carbon Traker, les réserves mondiales de combustibles fossiles contiennent l’équivalent de 3 500 Gt (milliards de tonnes) de gaz à effet de serre[15] – alors que pour l’année 2022 les émissions étaient, seulement, si l’on peut dire, de 38,5 Gt pour le seul CO2, et de 57,4 Gt pour l’ensemble des gaz à effet de serre (mesurés en CO2 équivalent[16]. S’ils étaient libérés, ça en serait fini des objectifs climatiques internationaux.

Pareil pour le King Coal : en 2023 la production a atteint un niveau jamais égalé, 8,5 Gt, contre moins de 5 en 1992, l’année de la signature de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. King Coal est une expression popularisée à partir des années 1850, qui souligne l’ambivalence du rapport à ce combustible, qui nourrit le feu domestique comme la puissance de la nation, à la fois bienfaiteur et mortifère[17]. Son déclin « structurel » est annoncé par l’Agence internationale de l’énergie (AIE)[18].

La Chine est solidement installée comme le premier producteur et consommateur mondial, pour respectivement 52 et 54 %. Elle exploite quelque 5 000 mines et 3 000 centrales thermique charbon (contre moins de 200 aux États-Unis), des dizaines sont en construction et en projet. Celles en service le sont depuis seulement une douzaine d’années en moyenne, et seules 1,5 % d’entre elles ont plus de 30 ans[19]. La fermeture de la totalité de ces centrales à l’échelle de ce siècle est inconcevable.

En 1987, une cinquantaine de climatologues – dont le respecté Bert Bolin, qui sera président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à sa création –, étaient réunis à Villach, en Autriche, pour l’une des premières conférences d’envergure sur le climat. Ils affirment alors sans détour qu’il est impossible de limiter le réchauffement sans « réductions significatives de l’usage des combustibles fossiles. »[20]. Personne n’avait pris la pleine mesure des transformations à accomplir. Nul n’imaginait alors combien ce serait compliqué. Ça le demeurera pour de nombreuses COP.


[1] « La question qui fâche : Peut-on vraiment se passer de pétrole ? », entretien avec Francis Perrin, France 24, 1er décembre 2023.

[2] U.S. Department of State, « Sunnylands Statement on Enhancing Cooperation to Address the Climate Crisis », 14 novembre 2023.

[3] Anne Rasmussen, Statement of the Global Stockstate. Alliance of Small Island States (AOSIS), Dubai Expo City, UAE, 13 décembre 2023. « Reaction to the final COP28 climate deal », Reuters, 13 décembre 2023. « COP28 à Dubaï : l’accord final adopté en l’absence des États insulaires, qui se disent “déconcertés” et critiquent le texte », Franceinfo, 13 décembre 2023.

[4] UNFCCC, First global stocktake, 13 décembre 2023.

[5] Géraldine Woessner, « L’Arabie saoudite “continuera d’extraire des fossiles après 2100” », Le Point, 12 juillet 2023.

[6] Tibor Mende, Regards sur l’histoire de demain. Les nouveaux centres de gravité du monde, Seuil, 134, 1954.

[7] Données Banque mondiale en dollars constants, 2015.

[8] Lionel Fontagné, Erica Perego, Gianluca Santoni, « Horizon 2050 : où la dynamique actuelle mène-t-elle l’économie mondiale ? », La Lettre du CEPII, 421, Octobre-Novembre 2021.

[9] David Stanway, « China climate envoy says phasing out fossil fuels ‘unrealistic’ », Reuters, 22 septembre 2023.

[10] Fiona Harvey, « Cop28: China ‘would like to see agreement to substitute renewables for fossil fuels’ », Theguardian.com, 9 décembre 2023. Matthieu Goar, « À la COP28, John Kerry défend une sortie des fossiles, mais sous conditions », Le Monde, 7 décembre 2023.

[11] Edward Wong, « U.S. Presses Congo to Slow Oil-and-Gas Puch in Rainforest », The New York Times, 10 août 2022.

[12] Ruth MacLean, Dionne Searcey, « Congo to Auction Land to Oil Companies: ‘Our Priority Is Not to Save the Planet’ », The New York Times, 24 juillet 2022.

[13] Nichola Groom, « US Gulf of Mexico oil auction is largest since 2015 », Reuters, 20 décembre 2023.

[14] Antoine Le Solleuz, Olivier Gantois, « Les immenses réserves de pétrole face à l’enjeu de réduction de la consommation », Polytechnique insights, 17 janvier 2023.

[15] Carbon Traker, Global Registry of Fossil Fuel Emissions and Reserves, 19 décembre 2022.

[16] UNEP, Emissions Gap Report 2023: Broken Record – Temperatures hit new highs, yet world fails to cut emissions (again), United Nations Environment Programme, 2023.

[17] Louis Fagon, « Le Roi Charbon. À propos de : Charles-François Mathis, La Civilisation du charbon, Vendémiaire. », La Vie des Idées, 21 février 2022.

[18] IEA, Coal 2023. Analysis and forecast to 2026, International Energy Agency, décembre 2023.

[19] Xiaoying You, « China should ‘rapidly’ close 186 coal plants to help meet its climate goals, study says », Carbon Brief, 25 mars 2021.

[20] Jill Jaeger, Developing Policies for Responding to Climate Change. A summary of the discussions and recommendations of the workshops held in Villach (28 September – 2 October 1987) and Bellagio (9-13 November 1987), WMO/TD-225, World Meteorological Organization (WMO), United Nations Environment Programme (UNEP), 24 avril 1988.

Michel Damian

Économiste, Professeur honoraire à l’Université Grenoble Alpes

Nathalie Rousset

Économiste, Docteure de l’Université Grenoble Alpes

Notes

[1] « La question qui fâche : Peut-on vraiment se passer de pétrole ? », entretien avec Francis Perrin, France 24, 1er décembre 2023.

[2] U.S. Department of State, « Sunnylands Statement on Enhancing Cooperation to Address the Climate Crisis », 14 novembre 2023.

[3] Anne Rasmussen, Statement of the Global Stockstate. Alliance of Small Island States (AOSIS), Dubai Expo City, UAE, 13 décembre 2023. « Reaction to the final COP28 climate deal », Reuters, 13 décembre 2023. « COP28 à Dubaï : l’accord final adopté en l’absence des États insulaires, qui se disent “déconcertés” et critiquent le texte », Franceinfo, 13 décembre 2023.

[4] UNFCCC, First global stocktake, 13 décembre 2023.

[5] Géraldine Woessner, « L’Arabie saoudite “continuera d’extraire des fossiles après 2100” », Le Point, 12 juillet 2023.

[6] Tibor Mende, Regards sur l’histoire de demain. Les nouveaux centres de gravité du monde, Seuil, 134, 1954.

[7] Données Banque mondiale en dollars constants, 2015.

[8] Lionel Fontagné, Erica Perego, Gianluca Santoni, « Horizon 2050 : où la dynamique actuelle mène-t-elle l’économie mondiale ? », La Lettre du CEPII, 421, Octobre-Novembre 2021.

[9] David Stanway, « China climate envoy says phasing out fossil fuels ‘unrealistic’ », Reuters, 22 septembre 2023.

[10] Fiona Harvey, « Cop28: China ‘would like to see agreement to substitute renewables for fossil fuels’ », Theguardian.com, 9 décembre 2023. Matthieu Goar, « À la COP28, John Kerry défend une sortie des fossiles, mais sous conditions », Le Monde, 7 décembre 2023.

[11] Edward Wong, « U.S. Presses Congo to Slow Oil-and-Gas Puch in Rainforest », The New York Times, 10 août 2022.

[12] Ruth MacLean, Dionne Searcey, « Congo to Auction Land to Oil Companies: ‘Our Priority Is Not to Save the Planet’ », The New York Times, 24 juillet 2022.

[13] Nichola Groom, « US Gulf of Mexico oil auction is largest since 2015 », Reuters, 20 décembre 2023.

[14] Antoine Le Solleuz, Olivier Gantois, « Les immenses réserves de pétrole face à l’enjeu de réduction de la consommation », Polytechnique insights, 17 janvier 2023.

[15] Carbon Traker, Global Registry of Fossil Fuel Emissions and Reserves, 19 décembre 2022.

[16] UNEP, Emissions Gap Report 2023: Broken Record – Temperatures hit new highs, yet world fails to cut emissions (again), United Nations Environment Programme, 2023.

[17] Louis Fagon, « Le Roi Charbon. À propos de : Charles-François Mathis, La Civilisation du charbon, Vendémiaire. », La Vie des Idées, 21 février 2022.

[18] IEA, Coal 2023. Analysis and forecast to 2026, International Energy Agency, décembre 2023.

[19] Xiaoying You, « China should ‘rapidly’ close 186 coal plants to help meet its climate goals, study says », Carbon Brief, 25 mars 2021.

[20] Jill Jaeger, Developing Policies for Responding to Climate Change. A summary of the discussions and recommendations of the workshops held in Villach (28 September – 2 October 1987) and Bellagio (9-13 November 1987), WMO/TD-225, World Meteorological Organization (WMO), United Nations Environment Programme (UNEP), 24 avril 1988.