Intime hôpital
«Entre la chair de l’homme et la chair du monde nulle rupture,
mais une continuité sensorielle de chaque instant »
David Le Breton, Pour une anthropologie des sens, VST, 2007
« Les choses vraies sincères se disent rarement, dans des instants d’ivresse poétique peut-être.
Ce n’est pas une sorte d’excuse irrationnelle. Je ne voudrais pas tomber dans l’irrationnel,
car je crois que même ces instants-là sont fondamentalement rationnels »
Pier Paolo Pasolini, Ab Joy, extrait de l’entretien avec Jean-André Fiechi, 1966
«Les mecs roulent des mécaniques en sortant du bloc fingers in the nose, et moi on me dit qu’il faut que je m’affirme plus. » Eva est pétillante, vive, élancée, très mince. Elle fume des cigarettes. Elle a choisi la chirurgie orthopédique pédiatrique par passion. Elle espère rester à l’hôpital public, elle n’a pas envie de faire de la chirurgie industrielle dans le privé.
Dans le bureau du chef de service la discussion va bon train. Eva est angoissée, elle vient d’opérer Real, l’enfant croate. Tous s’est bien passé mais le cancer a récidivé. À son arrivée à l’hôpital le soir dernier, la douleur de l’enfant paraissait tellement intenable qu’elle pensait devoir l’opérer dans la nuit en situation d’urgence sans une équipe prévue pour l’entourer. De toute façon il fallait attendre les résultats du scanner. Quand ils sont arrivés, Eva a parcouru les couloirs de l’hôpital à la recherche du père de Real. Le cancer de l’enfant était revenu, elle devait lui annoncer, trouver les bons mots. Mais le père de Real ne voulait pas entendre : « doctoresse, mon fils c’est une bosse de gras qu’il a au cou, je sais, j’ai bien observé. » L’enfant récidivait d’un cancer. La chimiothérapie que Real avait subie après la première opération n’avait pas réussi. Cela faisait deux ans.
Au téléphone Louisa a la voix enjouée et familière. Je suis conseillée par Ana, alors elle accepte de me parler sans hésitation. La semaine prochaine elle fait sa dernière grosse intervention. J’aurais aimé voir, être auprès d’elle tellement la passion de son métier l’habite. Elle m’aurait bien volontiers invitée au bloc, la regarder travailler si j’avais été sur place. « Oui, parce que c’est toujours bien mieux quand le chirurgien est là pour vous expliquer son geste, le contact humain c’est mieux que YouTube, me dit-elle du coin des lèvres. » D’ailleurs si nous avions eu cette conversation de visu, elle m’aurait mieux expliqué, fait des croquis de la zone sous-mésocolique, là où la célioscopie a marqué son emprunte. Au-dessus, dans la région du corps humain sus-mésocolique, la chirurgie ouverte est encore reine.
Louisa aime transmettre. Le son de sa voix, sa tonalité, les mots qu’elle prononce nous disent cela d’elle. Louisa engage la conversation au sujet des études de chirurgie : « Ça passe d’abord par la théorie, ensuite l’expérimental, et puis la vraie vie, me dit-elle. Et la vraie vie, elle s’apprend par le compagnonnage. La chirurgie c’est avant tout du compagnonnage. Des couples se forment, sans savoir trop comment, et l’un va devenir le maître et l’autre l’élève. » Louisa fait partie de la génération des chirurgiens à ciel ouvert. Elle était parmi les vingt-cinq femmes chirurgiens à l’époque : « Au début, une nana interne en chirurgie, ça les faisait rigoler. » Aujourd’hui les choses ont vraiment changé, le nombre de femmes chirurgiens a explosé. Mais le mot « chirurgienne » n’existe pas, selon Louisa : « Chirurgien c’est un mot asexué », tient-elle à me préciser. Dans les années 1980, Louisa a dû se former à la célioscopie. Elle emploie des mots très forts : « J’ai dû me violer en faisant ça car je venais de l’ouvert. » La plus grande difficulté a été d’apprendre à s’orienter dans l’espace. Les yeux doivent apprendre à quitter le corps ouvert du patient pour se fixer sur une image à deux dimensions des organes. Et puis comme les mains sont désormais au bout de longs instruments de célioscopie, « au début tu ne sens rien du tout. Mais, il s’est passé un phénomène bizarre. Progressivement tu arrives à sentir ce que tu es en train de faire. Une vraie continuité s’installe alors entre ta main et le ciseau. »
« C’est beau un ventre, c’est chaud, c’est doux. » Je suis en face de Louisa cette fois. Elle sirote une menthe à l’eau. Elle est resplendissante, d’une beauté brune accomplie. Dans deux jours elle prend sa retraite. Elle aurait pu continuer encore deux ans, mais Louisa préfère partir avec panache, avant qu’il ne soit trop tard, avant que la justesse de son geste l’abandonne et sans que ses collègues osent lui dire qu’il est temps de partir. Depuis un mois Louisa ne fait plus de grosses opérations. Et depuis elle n’est plus inquiète. Cette angoisse constante qu’elle ressentait chaque nuit au fond d’elle l’a quittée. Mais elle le sait, elle va partir avec eux, avec le souvenir de ces morts : « Aucun chirurgien n’a pas de morts, on apprend à les gérer. »
C’est par hasard que Louisa a rencontré la chirurgie digestive. Elle était alors externe dans un service dont elle n’avait jamais vu le chef de service. Un jour il s’est disputé avec son instrumentiste qui est parti sur le champ. Il fallait le remplacer d’urgence et on a puisé dans le stock des externes. Louisa a été choisie au hasard : « Je me suis retrouvée à instrumenter le patron. Et ça s’est fait de façon quasiment biblique, sans qu’il ait à dire un mot je lui passais les bons instruments. Pour moi ça a été l’évidence. Là-dedans c’est très beau, je l’ai tout de suite vu. La chirurgie digestive c’est très sensuel, poursuit Louisa, quand vous entrez dans un ventre, dans ce que vous touchez il y a de la sensualité. C’est comme quand vous modelez la terre, vous voyez ? Pendant l’acte chirurgical, on est hors de la relation médecin-malade. Ce n’est pas là que ça se joue. C’est le geste et sa beauté qui importent, sa sensualité, le plaisir que l’on a à transformer quelque chose de mauvais en quelque chose de bon. Dans le geste chirurgical, il y a quelque chose de l’acte amoureux, une quête de jouissance. »
L’hôpital Nord a quelque chose d’effrayant vu de loin. Planté sur sa colline, le long de l’autoroute, bâtiment gris aux fenêtres serrées, il arbore un ton austère flanqué de ses cités populaires. Plus près, les grands pins vous accueillent en premier. Les oiseaux qu’ils abritent vous encouragent de leur chant. L’hôpital est ouvert aux quatre vents, il a de jolis noms.
L’entrée mistral ouvre sur un hall rond, grouillant de femmes, d’hommes, d’enfants bigarrés.
Les visages sont parfois usés, fatigués, voyous. Pourtant, l’atmosphère est hospitalière.
Des regards d’humanité se cherchent et se croisent. La dame de l’accueil sourit. Dans sa bulle de verre, inlassablement, elle vous sourit.
Le long du couloir qui mène au pavillon de l’Étoile des photos en noir et blanc racontent l’histoire de l’hôpital.Au bout, face aux ascenseurs, la journée, l’ambiance est à la place publique. Des femmes sont rassemblées, elles discutent, les enfants courent et tournoient autour d’elles. Un souffle de gaité pénètre. Et le soir a vidé la place. La solitude toute entière résonne.
Le claquement de mes pas dans le hall déserté me glace.
11 fevrier 2018 : « L’hôpital à corps et à cris » titre le journal Libération. L’hôpital public est en crise. Les témoignages, les tribunes, les rapports explosent. Un voyage dans le ventre de l’hôpital en burnout, une pluie de hashtag #balancetonhosto, des urgences en surchauffe, des couloirs aux allures de champ de bataille, images de corps en déshérence, indécent abandon de « nos vieux », maltraitance, souffrance éthique, résignation, suicides. L’étau budgétaire rend exsangue. On crie haro sur des sigles : T2A, ONDAM, GHM. L’emprise gestionnaire est au cœur de la tourmente.
Mais que font-ils de nos corps ? Le souvenir de la douceur de sa main me guide dans ma quête d’humanité. Je retourne là-bas, dans cet hôpital public des quartiers nord de la ville où un robot a pris place dans le bloc central. La firme américaine Intuitive Surgical le fabrique. Il porte le beau nom de Da Vinci. Il veut évoquer un rêve, celui du grand peintre de la Renaissance.
Je n’avais jamais entendu parler, jusque-là, de la chirurgie robotique. Les bras du robot s’introduisent dans votre corps sans le déchirer, pour le préserver. Ils pénètrent jusqu’à l’endroit du corps malade. La caméra livre une image en 3D démultipliée, l’air écarte les chairs, l’incise est électrique, précise. Le robot prolonge la main du chirurgien. Assis dans un fauteuil digne d’un film de science-fiction, il est aux manettes. Le robot au-dessus du corps du patient, lui, à l’autre bout du bloc, sa dextérité impressionne. Il a appris si vite à transformer son geste !
Ses mains ne tiennent plus l’outil chirurgical, son corps n’est plus penché sur le corps ouvert du patient, ses yeux ne sont plus directement fixés sur l’organe. Non, il commande les bras du robot et l’image numérique. Entouré de son équipe, son assistant tout près du patient, il règne sur la vie.
Le robot est le modèle S. Ce n’est pas le plus récent, mais tout comme son cadet, il est à obsolescence programmée. Tel que Apple opère sur son iPhone, Intuitive Surgical programme l’obsolescence de son robot, de ses bras d’abord. Dix opérations et les bras s’arrêtent. Le robot ne fonctionnera plus. Ses bras devront être remplacés, l’hôpital devra acheter à la firme américaine de nouveaux bras de métal si elle veut poursuivre l’activité. Intuitive Surgical n’a pas de concurrent sérieux, elle règne en maitresse sur le marché de la chirurgie robotique. Elle pénètre les blocs opératoires avec méthode et détermination. Da Vinci démultiplie l’ère de la chirurgie « mini-invasive ». Il transforme le geste chirurgical, ébranle l’art du chirurgien, son mythe aussi peut-être. Sa main ne serait plus reine, son art ne serait plus œuvre de main « experte en coupes et en sutures[1] ». Il ne serait plus ce virtuose-compositeur !
Chevauchant la voie ouverte part la cœlioscopie, la chirurgie robotique poursuit la révolution : plus d’ouverture du corps, plus de suture de la peau, plus d’effusion de sang. La chirurgie se soucie elle aussi des traces du corps. Elle cherche à effacer la violence de son geste. Mais bien plus que l’outil ou l’instrument, Da Vinci est un medium d’un genre nouveau. Il rompt le lien charnel, supprime le toucher, met à distance les corps, déplace le regard. Le robot bouleverse les sens. C’est lui qui désormais se penche sur le corps du patient endormi, ses bras le pénètrent par de fines incisions pour une opération de l’intérieur.
Le chirurgien, lui, est à l’écart de la scène opératoire. Il a changé de place. Ses yeux, ses mains sont déliés du corps du patient. Il est maintenant aux commandes du robot. De ses pieds il oriente la caméra tandis que de ses poignets et de ses doigts il dirige à distance les grands bras de métal, son regard fixé sur l’écran qui projette une image en trois dimensions de l’organe malade. Et si parfois il regrette la perte de la sensation du corps vivant qui réagit au bout de ses doigts, l’extraordinaire précision des bras de métal l’emporte et éloigne avec elle la peur ancestrale du tremblement des mains.
Mais déjà une autre peur s’installe : les robots chirurgicaux seraient vulnérables aux cyber-attaques ! Alors que l’ombre du hacker infiltre sans bruit les blocs opératoires, Da Vinci poursuit sa course aux hôpitaux publics et aux autres établissements de santé. Et entre eux la concurrence fait rage. L’heure est à l’audace ! L’Institut Gustave Roussy lance une campagne de collecte de fonds pour « rendre cette innovation accessible au plus grand nombre » ! L’urologie est à la pointe. La prostate est devenue en quelques années l’organe phare de la chirurgie robotique. Dans le langage médical on dit « prostatectomie totale par robot assisté » ou encore « prostatectomie radicale ».
Je frissonne. L’acte chirurgical ne souffre pas de douceur, ses qualificatifs non plus. Si soigner reste sa finalité, son sens profond, la froideur des mots, leur juxtaposition sèche sont là sans doute pour marquer la distance avec sa charge émotionnelle. Prostatectomie totale par robot-assisté : le chirurgien tient à distance les profondeurs de l’intime. De son geste robot-assisté, il doit ôter l’organe malade sans ébranler le corps érotique de l’homme qui a confié aux bras de métal le symbole de sa virilité, l’expression de son désir, son élan vital. Car Da Vinci promet de préserver Eros.
À la consultation, le chirurgien a le regard à moitié tourné vers son écran d’ordinateur cette fois. Il lit le compte-rendu de l’anapath dirait-on. Étrange…Pourquoi n’a-t-il pas pris le temps d’en prendre connaissance avant la rencontre ? À cause d’une cadence infernale de travail qui l’empêche de prendre soin ? Ou bien manque-t-il de mots pour le dire ? « Da Vinci a fait son travail », explique-t-il, les « bandelettes » sont préservées mais la maladie, elle, fait de la résistance, de la résistance à la chirurgie. La vie et éros sont toujours en danger de mort. Il faut repartir du point zéro. L’information est consignée dans le dictaphone, le traitement tant redouté aussi. On envisagera la suite au prochain rendez-vous. Tictac tictac. Dix minutes ont passé. Et de nouveau sa main, dans la mienne, ferme et déconcertante d’abord, puis douce et caressante encore. Une dernière fois sans doute. Plus tard, sans mot, il passera la main.
Mai 2014 : À l’Assemblée nationale on s’interroge. Depuis presque quinze années de diffusion dans les hôpitaux, le robot à obsolescence programmée n’aurait pas fait l’objet d’évaluation sérieuse et indépendante tant en matière de coût pour la collectivité que de progrès médical ! Bien sûr la commercialisation de Da Vinci est réglementée. Il doit répondre aux normes européennes relatives aux « dispositifs médicaux ». Da Vinci est classé « dispositif médical de classe III », c’est à dire « au potentiel très sérieux de risque ».
Le robot circule librement sur le marché européen depuis le début des années 2000 après que son fabricant ait obtenu son « marquage CE » prouvant sa conformité aux exigences de la réglementation européenne en matière de sécurité et de performances des dispositifs médicaux de classe III. Oui, mais ! Répondre à une norme de mise en marché n’implique pas la prise en charge de son prix par la collectivité ! De plus le marquage CE ne dit rien ou presque sur l’avantage médical du dispositif. Alors, à l’Assemblée, on demande à Madame la ministre des affaires sociales et de la santé de rendre compte de la charge financière du robot Da Vinci ainsi que des conséquences de ses usages sur la santé des patients.
Les magnats de la chirurgie robotique voient grand.
Septembre 2015 : La ministre a pris son temps, elle est allée consulter les services d’État. Mais elle a répondu. Elle a répondu que plusieurs études internationales avaient prouvé la « faisabilité des interventions chirurgicales réalisées par le robot » mais que, en effet, ces études n’ont pas pu « établir un bénéfice en termes d’efficacité, de sécurité et d’efficience compte tenu de l’absence de données cliniques et médico-économiques comparatives » ! Quinze ans de course effrénée aux blocs opératoires, une multitude de pénétrations de corps humains et, a priori, pas de preuves scientifiques tangibles et indiscutables donc.
La ministre a tenu à rassurer l’Assemblée. Elle et ses services ont saisi la Haute Autorité de Santé pour qu’elle puisse procéder à une évaluation « clinique » puis à une évaluation « médico-économique » de la chirurgie robotique et ce afin de « statuer sur la pertinence de sa prise en charge par la collectivité ». L’autorité publique indépendante a d’ailleurs déjà commencé son travail par la « prostatectomie radicale », renseigne la ministre. Elle s’attèlera ensuite à l’évaluation des autres usages chirurgicaux du robot.
Novembre 2016. La Haute Autorité de Santé rend son rapport et son avis sur le remboursement par la sécurité sociale de la prostatectomie robot assisté. C’est un avis favorable. La Haute Autorité de Santé explique le travail qu’elle a réalisé. Elle indique avoir évalué l’efficacité et la sécurité de la prostatectomie totale robot-assistée par rapport aux deux autres techniques existantes que sont la « chirurgie ouverte » et la « célioscopie conventionnelle ». Elle s’est aussi intéressée à la dimension organisationnelle de la chirurgie robotique ainsi que à l’apprentissage et à la formation des chirurgiens et des équipes chirurgicales.
Elle explique sa méthode. Elle a réalisé une analyse critique de la littérature scientifique, consulté les professionnels de santé, une association de patients, fait des enquêtes auprès des agences de santé, des fédérations hospitalières, des sociétés savantes, du fabricant du robot. Conclusion : « La prostatectomie totale robot-assistée est une technique possible mais sans valeur ajoutée démontrée par rapport aux autres modalités opératoires » ! La Haute Autorité de Santé confirme que « malgré un recul de 15 ans, le faible nombre de données probantes disponibles n’apportent pas d’argument en faveur de la supériorité ou de la non-infériorité de la prostatectomie totale robot-assistée » en notant toutefois l’absence d’augmentation des effets indésirables.
Des études convergent uniquement sur la diminution des pertes de sang et la durée moyenne d’hospitalisation en comparaison à la chirurgie ouverte. Mais aucune valeur ajoutée n’a pu être démontrée vis-à-vis de la célioscopie. Elle souligne aussi que des adaptations d’organisation au sein du bloc opératoires sont impératives, l’exigence d’une équipe qualifiée et formée à la gestion informatique du robot et de l’asepsie et elle recommande une normalisation de la formation encore très hétérogène et souvent organisée par le fabricant du robot lui-même.
À la commission de validation du rapport la discussion va bon train. Ici on remarque « qu’il est rare de rencontrer une aussi forte explosion d’une technique en l’absence des données scientifiques », là on souligne « que non seulement la supériorité scientifique n’est pas démontrée mais que la technique engendre en plus un surcoût », qu’il s’agit « d’une technique largement diffusée, essentiellement sur la base d’arguments marketing, sans aucun support clinique robuste » ; mais on tient à indiquer que « le robot est attractif aussi bien pour les praticiens que pour les patients ».
Oui, les chirurgiens, eux, verraient dans le robot « des avantages, notamment l’ergonomie et des gestes plus faciles » et le robot serait « l’avenir pour les jeunes générations de chirurgiens » leur autonomie serait « plus rapidement acquise avec le robot qu’avec la célioscopie conventionnelle ». On ne s’attarde toutefois pas sur cette étrange attractivité qu’exercerait le « robot » sur les patients. Mais une voix se lève pour dire que, quand même, il faudrait insister sur « la désinformation actuelle des patients et sur l’importance d’une information loyale et du consentement ».
Puis la commission délibère. Elle valide le rapport moyennant quelques modifications de présentation. Validé aussi l’avis favorable au remboursement : « le service attendu » de la prostatectomie totale robot-assistée considéré comme « suffisant » : validé ; « l’amélioration du service attendu » comparée à la chirurgie ouverte considérée comme « mineur » : validée ; « l’amélioration du service attendu » comparée à célioscopie conventionnelle considérée comme « absente » : validée !
L’avis favorable au remboursement a pris le chemin de la procédure complexe. Il voyage dans le labyrinthe technico-administratif de la tarification à l’acte. On travaille au « codage », dit-on. L’évaluation médico-économique n’a pas encore pointé le bout de son nez, ni les évaluations relatives aux autres usages médicaux du robot.
Intuitive Surgical quant à elle poursuit sa course. Elle a tenu à rassembler les médias spécialisés des marchés financiers. Elle a une annonce à faire : Son nouveau Da Vinci X a obtenu le marquage CE témoignant ainsi de son engagement « à répondre aux attentes de ses clients en leur proposant une offre à forte valeur ajoutée de technologies économiquement appropriées dans une gamme tarifaire variée et à moindre coût ! »
Les magnats de la chirurgie robotique voient grand : « Les enjeux et le potentiel de la chirurgie robotisée à l’échelle mondiale sont formidables » affirme-t-on. Et, à l’adresse des investisseurs financiers « s’il y a un secteur que l’on conseille de regarder de près, c’est bien celui-ci. »
Là-bas, arrivée sur le parvis de l’hôpital, je découvre qu’un artiste a jeté L’Écume des jours contre la façade haute. Elle a laissé ses traces de sel à la manière d’une vague. Sur la porte d’entrée de l’hôpital je lis : « il s’agit d’amener une forme poétique sur cette façade rigoureuse qui cache et protège des moments fragiles de la vie ». Je pénètre le hall de nouveau.