éducation

Pourquoi avons-nous besoin d’une théorie de la justice scolaire ?

Philosophe

Si les annonces de Gabriel Attal ont au moins contribué à mettre l’école au centre de l’attention, elles ne l’ont fait qu’à travers le prisme du maintien (ou du rétablissement) de l’autorité sur les élèves et de la méritocratie supposée du système scolaire. Parce que le débat et les polémiques manquent de hauteur, il s’avère nécessaire de s’interroger sur ce que serait réellement une école juste et égalitaire.

Les polémiques récentes à propos de la place qu’occupe l’enseignement privé et de la mise en place prochaine de groupes de « besoins » au collège ont replacé l’école au cœur du débat politico-médiatique. Dans les deux cas, c’est l’incapacité du système scolaire à traiter de façon égale tous les élèves qui est en cause. Toutefois, au-delà des réactions critiques, nécessaires, la question reste ouverte de savoir en quoi consisterait exactement une école qui traiterait de façon égale tous les élèves.

publicité

Répondre à cette question suppose de formuler une théorie de la justice scolaire. L’objectif d’une théorie de la justice est d’expliciter et de justifier les principes au nom desquels une règle collective coercitive peut légitimement être adoptée. John Rawls, par exemple, soutient que, pour être juste, la règle de distribution des fruits de la coopération sociale doit être retenue par des personnes placées sous un voile d’ignorance. Celui-ci les conduit à ignorer certaines informations qui pourraient biaiser leurs intuitions morales (comme leur genre, leur race, leur position sociale, etc.). Cette procédure permet de s’assurer que les principes choisis sont acceptables par toutes et tous quelles que soient leurs caractéristiques sociales réelles.

Appliquée à l’école, une théorie de la justice doit donc expliquer à quelles conditions il peut être légitime d’obliger tous les enfants à aller à l’école pendant une partie significative de leur vie. Si la question a de quoi surprendre, il faut se rappeler que, dans Une société sans école (1970), Ivan Illich a brillamment défendu la thèse suivant laquelle il existe une incompatibilité entre la promotion de la liberté et l’institution d’une scolarité obligatoire. Loin de former les élèves à l’autonomie, elle institue plutôt leur dépendance vis-à-vis d’un système compétitif d’allocation de diplômes, réduisant le savoir à son utilité marchande, asséchant toute curiosité désintéressée et produisant inévitablement des perdan


[1] Le libéralisme dont il est question ici renvoie à la tradition philosophique qui place au cœur de son projet la promotion de la liberté individuelle et non à une doctrine économique particulière. Il existe par exemple de bonnes raisons libérales de s’opposer à la marchandisation de différents secteurs – dont l’éducation.

Guillaume Durieux

Philosophe, Professeur agrégé

Notes

[1] Le libéralisme dont il est question ici renvoie à la tradition philosophique qui place au cœur de son projet la promotion de la liberté individuelle et non à une doctrine économique particulière. Il existe par exemple de bonnes raisons libérales de s’opposer à la marchandisation de différents secteurs – dont l’éducation.