Écologie

L’architecture et la tentation du vernaculaire

Critique d'architecture

Quel horizon politique dessinent les architectes qui s’en remettent aux modes constructifs archaïques pour légitimer un discours écologique ? Ces arguments ravivent une tendance populiste de l’architecture. Ils rappellent aussi sa nature : imager les sensibilités de la société.

Il y a des mots qui mettent tout le monde d’accord. Des mots plastiques, déformables à l’envi, capables de revêtir, au même endroit, au même moment, autant de sens qu’il n’y a d’individus qui les partagent. Des mots qui neutralisent le débat par leur capacité à en absorber toutes les nuances. Prononcez aujourd’hui le mot « vernaculaire » au milieu d’une assemblée d’architectes ou d’artistes, et même de designers, et toutes et tous opineront du chef : en ces temps troublés, où les enjeux de frugalité écologique du monde rejoignent ceux de sa modération économique, le « vernaculaire » est un modèle à suivre.

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Chez les architectes, où le mot est actuellement particulièrement diffus, l’idéal est pourtant loin d’être univoque. Autour de la table des discussions, une première personne pensera sûrement aux « architectures sans architectes », regroupées par Bernard Rudofsky au MoMA en 1964, fantasmant l’ingéniosité économe de cette construction « anonyme, spontanée, indigène, rurale[1] ». Quant à son voisin, il rêvera aux ouvrages de terre érigés aux quatre coins du monde, répertoriés par Jean Dethier depuis les années 1980. Un autre lira dans la construction « avec le peuple » vantée par l’architecte égyptien Hassan Fathy, une expérience d’empouvoirement des habitantes et habitants d’un lieu, bien qu’il faille nuancer cette lecture. Tandis que la jeune diplômée, tout juste échappée de l’école d’architecture, aspirera à la retraite de « l’architecte de campagne » cantalien, Simon Teyssou, en quête d’un récit « alter urbain ». Enfin, le concepteur désespéré de l’impact de ses projets bétonnés, se réjouira de la perspective de réduire son bilan carbone que lui offre le chantre de la pierre massive, le Grand Prix national d’architecture 2024, Gilles Perraudin.

Le vernaculaire est équivoque. C’est cependant souvent sous forme d’objets idéalisés tels que des hameaux ruraux, des hangars à fourrage, des abris pour élevage et des remises agricoles construits par celles et


[1] Bernard Rudofsky, Architecture without architects : an introduction to non-pedigreed architecture. New York : The Museum of Modern Art, 1964.

[2] Rem Koolhaas, « La ville générique », dans Junkspace. Paris : Éditions Manuels Payot, 2011, pp. 49–52.

[3] Federico Ferrari, Le populisme esthétique. L’architecture comme outil identitaire. Gollion : Infolio, 2015.

[4] Monique Eleb et Jean-Louis Violeau, dossier « Savant-Populaire », Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, n°15, juillet 2004.

[5] Justine Lajus-Pueyo, Alexia Menec et Margot Rieublanc, What about vernacular ? Marseille : Parenthèses, 2023.

[6] Ivan Illich, « Les valeurs vernaculaires » et « La répression du domaine vernaculaire », dans Le travail fantôme, Œuvres complètes, volume 2. Paris : Fayard, 2005 (1ère éd. 1981), pp. 121-174.

[7] bell hooks, « Black Vernacular : Architecture as Cultural Practice », dans Art on my mind: Visual Politics. New York : The New Press, 1995, pp. 145-150.

[8] Gilles Perraudin, Les jours sont ronds. Paris : Caryatide, 2024 p. 53.

[9] Gilles Perraudin, op. cit.

[10] Edith Hallauer, Du vernaculaire à la déprise d’œuvre : Urbanisme, architecture, design. Thèse de doctorat en urbanisme, Université Paris-Est, 2017 ; Mathias Rollot, Décoloniser l’architecture. Vers des architectures écologiques, autochtones, pluriverselles. Lorient : Le Passager clandestin, 2024.

[11] Antoine Picon, La matérialité de l’architecture. Marseille : Éditions Parenthèses, 2018.

[12] Jean-Louis Cohen, “Promesses et impasses du populisme”, Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, n°15, juillet 2004, pp. 167-184.

[13] Richard Sennett, Ce que sait la main. La culture de l’artisanat. Paris : Albin Michel, 2010.

[14] Federico Ferrari, op.cit., pp. 166-220.

[15] Kenneth Frampton, « Toward a Critical Regionalism: Six points for an architecture of resistance », The Anti-Aesthetic, Essays on Postmodern Culture. Winnipeg : Bay Press, 1983.

[16] Jean-François Lyotard, La Condition post

Margaux Darrieus

Critique d'architecture, Maîtresse de conférences en théorie et pratiques de la conception architecturale et urbaine à l’Ensa Paris-Malaquais

Notes

[1] Bernard Rudofsky, Architecture without architects : an introduction to non-pedigreed architecture. New York : The Museum of Modern Art, 1964.

[2] Rem Koolhaas, « La ville générique », dans Junkspace. Paris : Éditions Manuels Payot, 2011, pp. 49–52.

[3] Federico Ferrari, Le populisme esthétique. L’architecture comme outil identitaire. Gollion : Infolio, 2015.

[4] Monique Eleb et Jean-Louis Violeau, dossier « Savant-Populaire », Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, n°15, juillet 2004.

[5] Justine Lajus-Pueyo, Alexia Menec et Margot Rieublanc, What about vernacular ? Marseille : Parenthèses, 2023.

[6] Ivan Illich, « Les valeurs vernaculaires » et « La répression du domaine vernaculaire », dans Le travail fantôme, Œuvres complètes, volume 2. Paris : Fayard, 2005 (1ère éd. 1981), pp. 121-174.

[7] bell hooks, « Black Vernacular : Architecture as Cultural Practice », dans Art on my mind: Visual Politics. New York : The New Press, 1995, pp. 145-150.

[8] Gilles Perraudin, Les jours sont ronds. Paris : Caryatide, 2024 p. 53.

[9] Gilles Perraudin, op. cit.

[10] Edith Hallauer, Du vernaculaire à la déprise d’œuvre : Urbanisme, architecture, design. Thèse de doctorat en urbanisme, Université Paris-Est, 2017 ; Mathias Rollot, Décoloniser l’architecture. Vers des architectures écologiques, autochtones, pluriverselles. Lorient : Le Passager clandestin, 2024.

[11] Antoine Picon, La matérialité de l’architecture. Marseille : Éditions Parenthèses, 2018.

[12] Jean-Louis Cohen, “Promesses et impasses du populisme”, Les Cahiers de la recherche architecturale et urbaine, n°15, juillet 2004, pp. 167-184.

[13] Richard Sennett, Ce que sait la main. La culture de l’artisanat. Paris : Albin Michel, 2010.

[14] Federico Ferrari, op.cit., pp. 166-220.

[15] Kenneth Frampton, « Toward a Critical Regionalism: Six points for an architecture of resistance », The Anti-Aesthetic, Essays on Postmodern Culture. Winnipeg : Bay Press, 1983.

[16] Jean-François Lyotard, La Condition post