Numérique

L’IA et le piège générationnel que nous n’avons pas vu venir

Écrivain

En 2012, Michel Serres célébrait dans Petite Poucette l’avènement d’une jeunesse née avec le numérique au bout des doigts, libre, inventive, détentrice d’un nouveau rapport au monde. Quinze ans plus tard, ce récit messianique semble vaciller. Et si, loin de libérer les « digital natives », le numérique avait fini par les piéger dans l’image qu’on avait projetée d’eux ?

On avait fini par admettre comme un axiome que les jeunes générations étaient naturellement favorisées par l’avènement des nouvelles technologies. Quoi de plus logique finalement que ceux dont c’est le biotope natif soient plus à l’aise pour naviguer dans les nouvelles configurations numériques ? On avait donc assimilé les digital natives — nés avec les technologies numériques — à des digital masters, maîtres et possesseurs du futur. 

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Michel Serres célébrait d’ailleurs dans Petite Poucette l’avènement de cette jeunesse née avec le numérique au bout des doigts, libre, inventive, affranchie des anciens savoirs et détentrice d’un nouveau rapport au monde. Nous étions alors en 2012. Nous vivions l’essor des réseaux sociaux, des premiers « smart » phones et des MOOCs ; il fallait célébrer alors la fin du vieux monde scolaire pour faire place à l’horizontalité des savoirs, au pouvoir collaboratif du web et à l’émergence de l’intelligence en réseau : l’âge des rhizomes supplantant les arbres rigides des connaissances. 

À l’horizon, l’avenir paraissait ouvert et fluide grâce au numérique, où l’élève libéré du professeur surferait librement sur le vaste champ des connaissances.

Car à quoi pourrait bien servir un professeur désormais ? Car les précédentes générations seraient elles tout aussi naturellement déclassées, lestées qu’elles étaient par un bagage d’habitus et de comportements pré-numériques devenues obsolètes. Autant d’obstacles pour l’apprentissage d’une langue qu’elles ne seraient, de toute façon, jamais en mesure de parler couramment. 

Même si cela s’avère brutal, il n’y avait rien de profondément révoltant, après tout. N’est-ce pas un peu l’ordre des choses. Une forme de loi naturelle du remplacement des générations ? 

Or, avec l’arrivée de l’IA, il semble qu’un scénario à front renversé se dessine. Comme si un piège sournois – « hidden in plain sight », disent les Anglais – était en train de se refermer sur cette génération élue par le numérique. Un p


Paul Vacca

Écrivain, Expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, membre de l'Observatoire « Marques, Imaginaires de consommation et Politique »