Politique

Électrices et électeurs démocrates, n’ayez pas peur du Nouveau Front Populaire !

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Aurait-on demandé aux nazis de chiffrer les coûts et les bénéfices escomptés de la spoliation des biens des juifs ou de l’interdiction des syndicats avant de savoir s’il fallait ou non voter pour eux ? Le risque d’une focalisation de la campagne sur le détail des programmes est de faire passer au second plan la question des principes et du modèle de société que nous voulons.

La phase d’élaboration des programmes et de sélection des candidatures passée, la courte campagne électorale qui se dessine risque fort de porter pour l’essentiel sur l’aptitude à gouverner. Le camp macroniste, qui entend en tirer le profit maximum, n’a d’ailleurs pas attendu pour ouvrir les hostilités, à coups de chiffrages approximatifs, renvoyant dos-à-dos le Nouveau Front Populaire (NFP) et le Rassemblement national (RN) au nom de leur irréalisme économique et budgétaire.

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Face à cette mise en accusation, les dirigeants du RN ont habilement choisi d’en rabattre (programme économique et social réduit aux acquêts, introduction de la préférence nationale dans la Constitution repoussée à la prochaine élection présidentielle) et de promouvoir une stratégie du flou, sur les retraites par exemple. Le parti d’extrême-droite endosse en quelque sorte le stigmate et s’efforce d’apparaître comme aussi responsable et raisonnable que les gouvernants actuels.

La gauche a choisi une stratégie inverse. Elle pointe l’échec de la politique économique et sociale du gouvernement (creusement du déficit public, baisse du pouvoir d’achat, augmentation des inégalités, dégradation des services publics, stagnation de la productivité du travail en dépit des aides massives accordées aux entreprises) et promeut en conséquence une « rupture » échelonnée dans le temps. Les dépenses envisagées sont importantes, mais leur financement est présenté comme assuré, d’une part, par des hausses d’impôts, de taxes et une remise en cause de divers dégrèvements fiscaux, d’autre part, par les effets bénéfiques des hausses de pouvoir d’achat sur la consommation des ménages et des entreprises.

Le risque d’une focalisation de la campagne sur le détail des programmes est de faire passer au second plan la question des principes et du modèle de société que nous voulons : une société fermée, excluante, tournée vers des valeurs du passé dans le cas du RN et de ses alliés ; une société d’individus fondée sur la concurrence de tous contre tous dans le cas d’Ensemble ; une société solidaire, soucieuse des générations futures, de la planète et des autres peuples, dans le cas du Nouveau Front Populaire.

L’insistance sur la crédibilité conduit à faire de cette élection une élection comme une autre, alors que jamais l’extrême-droite n’a été aussi proche d’accéder au pouvoir en France, peut-être pas lors de cette élection mais, en cas de chaos politique, lors de la prochaine (présidentielle ou législatives). Or, il faut le dire et le répéter, le programme du Rassemblement national est en contradiction avec les principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité.

En proposant d’introduire dans la Constitution la préférence nationale, il vise à créer deux catégories de personnes vivant en France, ne bénéficiant pas des mêmes droits, libertés et protections. En proposant de rompre avec les traités internationaux et européens qui reconnaissent ces droits et libertés, le RN détruirait ce qui continue bon gré mal gré d’être le vecteur du rayonnement et de l’influence de la France à l’étranger, sa réputation de « patrie des droits de l’homme ». Les liens du RN avec la Russie de Poutine, la Hongrie de Victor Orban, ou l’entourage de Donald Trump provoqueraient enfin une mise au ban de la France au sein de l’Union européenne.

Le programme du NFP est le seul à proposer de s’attaquer aux ferments du vote RN et de l’abstention.

Comparer les programmes sous le seul angle de la crédibilité économique et financière et les candidats à la seule aune de leurs compétences supposées, revient dès lors à banaliser encore plus qu’il ne l’a déjà été le Rassemblement national. Aurait-on demandé aux nazis de chiffrer les coûts et les bénéfices escomptés de la spoliation des biens des juifs ou de l’interdiction des syndicats avant de savoir s’il fallait ou non voter pour eux ? Aurait-il fallu donner quitus à Mussolini et à ses séides s’ils avaient été docteurs en économie, hauts fonctionnaires ou banquiers ?

Répétons-le, c’est moins le détail du programme qui compte que le projet de société dans lequel il s’inscrit. À cet égard, le programme du Nouveau Front Populaire a comme principal mérite d’être le seul à proposer de s’attaquer aux ferments du vote RN et de l’abstention, d’abord en fixant un cap clair, celui de s’attaquer aux inégalités et de s’engager dans un nouveau modèle de développement, ensuite en affichant des objectifs précis : à court terme, augmenter le pouvoir d’achat ; à moyen terme, restaurer les services publics (éducation, culture, hôpitaux, équipements sportifs…) ; à long terme, engager une politique très ambitieuse de transition énergétique. Ce faisant ce projet assume la rupture avec une politique dite de l’offre qui a échoué selon ses propres critères d’évaluation : augmentation de la dette publique (et privée), baisse de la productivité, accroissement du déficit public, inflation, forte dégradation de la balance commerciale.

Alors oui, on peut à bon droit considérer que le programme économique et social du Nouveau Front Populaire n’est pas suffisamment précis et réaliste, on peut même considérer qu’il peut en l’état mettre en péril certaines entreprises ou avoir des effets pervers. Mais il est porté par des démocrates. En bons démocrates respectueux du droit, des partenaires sociaux, des traités et des institutions, ils feront au mieux pour mettre en œuvre leurs propositions s’ils sont élus. Mais qui peut douter qu’ils ne feront pas preuve de responsabilité comme ils l’ont fait à plusieurs reprises depuis 1981, tout en ayant cette fois bien en tête le coût politique des renoncements qui ont émaillé l’histoire de la gauche de gouvernement ? Qui doute que la « contre-démocratie » chère à Pierre Rosanvallon saura de toutes façons les rappeler à l’ordre et qu’ils ne traiteront pas les contestations comme Emmanuel Macron (ou Nicolas Sarkozy avant lui) par une politique de répression et de fichage systématique des contestataires ?

Que cela plaise ou non, éviter que le RN arrive au pouvoir ne suppose pas seulement la mobilisation derrière des candidats de gauche des seuls électeurs convaincus par le programme qu’ils portent. Il suppose que toutes les personnes qui ont la démocratie et les principes républicains chevillés au corps n’hésitent pas, au second tour, entre la participation et l’abstention et entre un bulletin NFP et RN. C’est la raison pour laquelle il appartient aux partis et candidats de gauche d’apparaître comme des démocrates exemplaires.

On mesure ici le danger que représente la stratégie promue par Jean-Luc Mélenchon au sein de la France insoumise ces derniers mois, mais aussi ces derniers jours avec le refus d’accorder l’investiture à cinq députés sortants qui ont eu l’impudence de la contester. La mise au point très claire concernant la lutte contre l’antisémitisme, le conflit israélo-palestinien et l’engagement de la France aux côtés de l’Ukraine que contient le programme du NFP a permis de clarifier les choses et a montré que les Insoumis n’étaient pas aussi inflexibles que beaucoup le pensaient. Mais pour corriger définitivement le tir, les candidats insoumis seraient bien inspirés d’annoncer dès maintenant qu’ils se retireront au second tour en faveur du candidat le mieux placé pour battre le RN.

Une fois élus, les insoumis ne se montreront-ils pas de nouveau intransigeants et dominateurs ? Cette attitude serait suicidaire et n’apparaît pas comme la plus probable. Le rééquilibrage du rapport de forces qui est intervenu au sein de la gauche entre socialistes et insoumis devrait y contribuer, mais c’est surtout la composition de la future assemblée qui obligera tous les députés de gauche à faire preuve de responsabilité. Si la gauche compte le plus de députés le 7 juillet prochain, il n’y a que très peu de de chances qu’elle dispose d’une majorité absolue. La recherche de compromis sera alors un impératif catégorique, sans quoi toute provocation ou intransigeance, toute tentative de passer en force (par exemple en recourant au si décrié 49.3) profiterait immanquablement au Rassemblement national.


Frédéric Sawicki

Politiste, professeur de science politique à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, chercheur au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP-CNRS)

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