Numérique

La recherche « deepLisée » ou pourquoi il faut se méfier de la traduction automatique

Politiste, traductrice

Dans un contexte touché de plein fouet par les innovations apportées par l’IA, un nombre croissant de chercheurs, par manque de temps ou par contrainte budgétaire, ont recours à des outils de traduction automatique, avec des résultats dont ils ne semblent pas toujours se méfier. À tort.

Dans le monde de la recherche, l’exigence croissante de l’internationalisation de la diffusion des résultats scientifiques a eu pour conséquence de faire émerger un métier : celui de la traduction spécialisée. Les traducteurs et traductrices exerçant ce métier, dont je fais partie, ont souvent suivi des études longues dans les disciplines dans lesquels ils et elles travaillent, avec un doctorat ou un master (en sciences expérimentales, en sciences sociales) ; ils et elles associent nécessairement une compétence disciplinaire avancée avec des compétences linguistiques natives[1].

C’est peut-être en raison de nos spécialisations et des exigences des chercheurs et chercheuses avec qui nous travaillons que nous avons été jusqu’alors relativement protégés des évolutions technologiques dans notre métier. Mais dans un contexte touché de plein fouet par les innovations apportées par l’intelligence artificielle (ChatGPT, et autres outils du même acabit) un changement semble se profiler, et un nombre croissant de chercheurs, par manque de temps ou par contrainte budgétaire – voire les deux – ont recours à des outils de traduction automatique avec des résultats dont ils ne semblent pas toujours se méfier. Car, in fine, on peut se demander si seuls les professionnels de la traduction pâtiront de ces nouvelles pratiques qui, au premier abord, paraissent comme une panacée.

La traduction automatique – redresseur d’inégalités ?

La domination de l’anglais comme lingua franca dans les sciences humaines et sociales constitue évidemment un obstacle bien connu à la diffusion et à la visibilité de la recherche non-anglophone[2]. Ceci implique que les chercheurs se retrouvent face à une pression importante, pour ne pas dire une exigence, de publier en anglais pour pouvoir progresser dans leurs carrières francophones. Or, il est évident que ces barrières linguistiques ont des conséquences en termes de temps (on peut mettre 50 % plus de temps à lire un article, ce qui vaudrait 19 jours de


[1]* Je remercie vivement Annabelle Allouch, Lucy Garnier, Miriam Perier et Sophie Duchesne pour leurs relectures et commentaires sur différentes versions de ce texte.

Pour ma part, après un doctorat en science politique à Sciences Po, je me suis réorientée vers la traduction universitaire, exclusivement en sciences humaine et sociales, vers ma langue maternelle, l’anglais.

[2] Voir l’article très récent à ce sujet dans Le Monde, « Les chercheurs non anglophones fortement désavantagés dans les publications scientifiques », 16 août 2023. Pour un aperçu de ces enjeux pour la traduction en SHS, voir Lucy Garnier, « Traduire les sciences humaines et sociales du français vers l’anglais : Enjeux, défis et apports », Bien Symboliques/ Symbolic Goods, 7, 2020.

[3] Mariana Lenharo, « The true cost of sciences’ language barrier for non-native English speakers », Nature, 18 juillet 2023.

[4] Ce que semble suggérer le rapport ministériel à ce sujet.

[5] Relecteurs scientifiques chargés d’évaluer l’article en vue de sa publication dans des revues à comité de lecture.

[6] Lucy Garnier explore cette question de la non-équivalence des cultures scientifiques et de ce qu’implique réellement une traduction vers l’anglais en vue d’une évaluation réussie par des « peer reviewers » anglophones, ainsi que les effets de cette situation sur la diffusion de la recherche française, art. cit.

[7] Thierry Grass, « L’erreur n’est pas humaine », Traduire, 246, 2022.

[8] Professor Alan Melby, Conférence, « Which side will win? No-cost machine translation, based on AI, or paid human translation? », Université de Montréal, 6 mai 2022.

[9] Le terme « post-editing » (dont le terme français est la traduction littérale) est le corollaire d’un autre, « pre-editing », où il s’agit de « nettoyer » (« editing » donc) le texte avant de le mettre dans un outil de traduction automatique. Le « post-editing », c’est donc le « nettoyage » qui vient après la machine.

[10] Cf. Thierry Grass, « L’erreur n’est pas hu

Katharine Throssell

Politiste, traductrice

Mots-clés

IA

Notes

[1]* Je remercie vivement Annabelle Allouch, Lucy Garnier, Miriam Perier et Sophie Duchesne pour leurs relectures et commentaires sur différentes versions de ce texte.

Pour ma part, après un doctorat en science politique à Sciences Po, je me suis réorientée vers la traduction universitaire, exclusivement en sciences humaine et sociales, vers ma langue maternelle, l’anglais.

[2] Voir l’article très récent à ce sujet dans Le Monde, « Les chercheurs non anglophones fortement désavantagés dans les publications scientifiques », 16 août 2023. Pour un aperçu de ces enjeux pour la traduction en SHS, voir Lucy Garnier, « Traduire les sciences humaines et sociales du français vers l’anglais : Enjeux, défis et apports », Bien Symboliques/ Symbolic Goods, 7, 2020.

[3] Mariana Lenharo, « The true cost of sciences’ language barrier for non-native English speakers », Nature, 18 juillet 2023.

[4] Ce que semble suggérer le rapport ministériel à ce sujet.

[5] Relecteurs scientifiques chargés d’évaluer l’article en vue de sa publication dans des revues à comité de lecture.

[6] Lucy Garnier explore cette question de la non-équivalence des cultures scientifiques et de ce qu’implique réellement une traduction vers l’anglais en vue d’une évaluation réussie par des « peer reviewers » anglophones, ainsi que les effets de cette situation sur la diffusion de la recherche française, art. cit.

[7] Thierry Grass, « L’erreur n’est pas humaine », Traduire, 246, 2022.

[8] Professor Alan Melby, Conférence, « Which side will win? No-cost machine translation, based on AI, or paid human translation? », Université de Montréal, 6 mai 2022.

[9] Le terme « post-editing » (dont le terme français est la traduction littérale) est le corollaire d’un autre, « pre-editing », où il s’agit de « nettoyer » (« editing » donc) le texte avant de le mettre dans un outil de traduction automatique. Le « post-editing », c’est donc le « nettoyage » qui vient après la machine.

[10] Cf. Thierry Grass, « L’erreur n’est pas hu