éducation

Réformer le collège : les difficultés françaises au miroir de l’école finlandaise

Historien

Au-delà d’une culture pédagogique partagée, qui fait visiblement défaut à leurs collègues français, les professeurs de collège finlandais présentent un confort professionnel très supérieur s’agissant de leurs relations avec les élèves comme avec leur hiérarchie. Sans doute cela explique-t-il leur rapport plus apaisé au changement et leur acceptation des projets de réforme.

En matière d’éducation plus encore qu’ailleurs, on ne change pas les choses sans l’adhésion active de ceux qui sont chargés de mettre en œuvre sur le terrain le changement souhaité par le pouvoir. C’est sans doute ce constat de bon sens qui a conduit Nicole Belloubet, dès ses premières déclarations médiatiques, à édulcorer largement, devant l’opposition massive des enseignants et des cadres de l’Éducation nationale, la mesure-phare du « choc des savoirs » voulu par Gabriel Attal : les groupes de niveau au collège.[1]

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Or il ne s’agit pas, loin de là, du premier échec d’une réforme du collège, « maillon faible du système éducatif ». Un ministère se piquant d’ambition réformatrice serait bien inspiré de tirer les leçons d’expériences d’autres lieux et d’autres temps. C’est ce que suggère une enquête menée conjointement en France et en Finlande (pays régulièrement cité en exemple pour ses réussites éducatives) au moment de la précédente tentative de réforme du collège français.

Décidée en 2015 par Najat Vallaud-Belkacem pour une application à la rentrée 2016 et vidée de son contenu par Jean-Michel Blanquer en 2017, celle-ci reposait sur des principes très proches du « New core curriculum » mis en œuvre au même moment dans le premier cycle du secondaire finlandais, chargé dans ce pays de scolariser l’ensemble des jeunes âgés de treize à seize ans.[2]

Ces contextes analogues ont fourni l’occasion de mener une étude comparative auprès des professeurs de collège des deux pays, tant en ce qui concerne leur rapport au changement que leur identité professionnelle et leur expérience quotidienne[3]. S’appuyant sur des entretiens de 45 à 90 minutes menés avec 32 professeurs de collège en France et 14 en Finlande, cette recherche a ainsi mis en évidence des conceptions et des repères moins opposés que ce qu’on se plaît souvent à dire. Mais elle a surtout fait ressortir le caractère déterminant des relations de pouvoir au sein de l’institution dans l’ouverture des agents


[1] Éléa Pommiers, « Groupes de niveau au collège : Nicole Belloubet joue la nuance sur l’application de la mesure », Le Monde, 19 février 2024.

[2] Jenna Lähdemäki, « Case Study : The Finnish National Curriculum 2016 – A Co-created National Education Policy », dans Justin W. Cook (dir.), Sustainability, Human Well-Being, and the Future of Education, Palgrave Macmillan, 2018, p. 397-422.

[3] Yann Forestier, « How Principles and Values Backing the Professionnal Identity of French and Finnish Teachers Differentiate Their Ability to Face Educational Change », European Education, 2022 (3-4), p. 144-156.

[4] Paul Robert, La Finlande, un modèle éducatif pour la France ? Les secrets de la réussite, ESF, 2008.

[5] Patricia Broadfoot et Marilyn Osborn, « What Professional Responsibility Means to Teachers : National Contexts and Classroom Constants », British Journal of Sociology of Education, 1988 (9), p. 265-287.

[6] Pour la réforme française, cf. Emmanuelle Brossais et Gwénaël Lefeuvre, L’Appropriation de la prescription en éducation. Le cas de la réforme du collège, Octarès, 2018.

[7] Cf. Yann Forestier, Changer l’école ou la sauver. Une polémique médiatique, PUF, 2023, p. 227-240.

[8] Communiqué du 4 avril 2015.

[9] L’enquête de 2018 a confirmé ces tendances.

[10] Jean Ravestein, Les Causes de l’échec scolaire évaluées par les enseignants, L’Harmattan, 2019.

[11] Jenna Lähdemäki, op. cit.

[12] Vincent Dupriez, Peut-on réformer l’école ? Approches organisationnelle et institutionnelle du changement pédagogique, De Boeck, 2015.

[13] Claude Lelièvre, « La rentrée sous l’égide du ‟guide suprême” Blanquer ? », AOC, 28 août 2019.

[14] Cf. Romuald Normand, « Groupes de niveau : qu’en dit la recherche internationale ? », Le café pédagogique, 30 janvier 2024.

[15] Anne Barrère, Au cœur des malaises enseignants, Armand Colin, 2017.

[16] Cf. Aziz Jellab, « Enseigner dans le secondaire à l’heure des incertitudes. Entre prescriptions institutionnelles et invention de son métier au qu

Yann Forestier

Historien, professeur agrégé d'histoire, docteur en histoire et chercheur associé au Centre amiénois de recherche en éducation et formation

Notes

[1] Éléa Pommiers, « Groupes de niveau au collège : Nicole Belloubet joue la nuance sur l’application de la mesure », Le Monde, 19 février 2024.

[2] Jenna Lähdemäki, « Case Study : The Finnish National Curriculum 2016 – A Co-created National Education Policy », dans Justin W. Cook (dir.), Sustainability, Human Well-Being, and the Future of Education, Palgrave Macmillan, 2018, p. 397-422.

[3] Yann Forestier, « How Principles and Values Backing the Professionnal Identity of French and Finnish Teachers Differentiate Their Ability to Face Educational Change », European Education, 2022 (3-4), p. 144-156.

[4] Paul Robert, La Finlande, un modèle éducatif pour la France ? Les secrets de la réussite, ESF, 2008.

[5] Patricia Broadfoot et Marilyn Osborn, « What Professional Responsibility Means to Teachers : National Contexts and Classroom Constants », British Journal of Sociology of Education, 1988 (9), p. 265-287.

[6] Pour la réforme française, cf. Emmanuelle Brossais et Gwénaël Lefeuvre, L’Appropriation de la prescription en éducation. Le cas de la réforme du collège, Octarès, 2018.

[7] Cf. Yann Forestier, Changer l’école ou la sauver. Une polémique médiatique, PUF, 2023, p. 227-240.

[8] Communiqué du 4 avril 2015.

[9] L’enquête de 2018 a confirmé ces tendances.

[10] Jean Ravestein, Les Causes de l’échec scolaire évaluées par les enseignants, L’Harmattan, 2019.

[11] Jenna Lähdemäki, op. cit.

[12] Vincent Dupriez, Peut-on réformer l’école ? Approches organisationnelle et institutionnelle du changement pédagogique, De Boeck, 2015.

[13] Claude Lelièvre, « La rentrée sous l’égide du ‟guide suprême” Blanquer ? », AOC, 28 août 2019.

[14] Cf. Romuald Normand, « Groupes de niveau : qu’en dit la recherche internationale ? », Le café pédagogique, 30 janvier 2024.

[15] Anne Barrère, Au cœur des malaises enseignants, Armand Colin, 2017.

[16] Cf. Aziz Jellab, « Enseigner dans le secondaire à l’heure des incertitudes. Entre prescriptions institutionnelles et invention de son métier au qu