Éducation

La rentrée scolaire sous l’égide du « Guide suprême » Blanquer ?

Historien

Imagine-t-on l’immense éclat de rire qui secouerait la sphère politico-médiatique si un ministre de l’Agriculture s’avisait de publier et signer un « Guide de l’enseignement des labours » ? Le très vertical Jean-Michel Blanquer n’a pas hésité lui à publier un ensemble sans précédent de « recommandations pédagogiques » très fournies qui peuvent aller jusqu’à prendre la forme de « guides ». Qu’en feront, à l’heure de la rentrée, les enseignants concernés ?

Les professeurs des écoles vont-ils suivre sans rire et sans agacement le « Guide de l’apprentissage des gestes graphiques et de l’écriture » signé par le ministre de l’Éducation nationale en mai dernier ? Quelles vont être les applications effectives de la « loi Blanquer » publiée au BO fin juillet ?

L’hebdomadaire Le Point l’avait mis en exergue le 26 mai 2017 en reprenant les propos du tout nouveau ministre de l’Éducation nationale : « Il n’y aura pas de loi Blanquer, j’en serai fier ; il y aura des évolutions du système, qui ne seront pas verticales ».

Mais deux ans après, nous avons une « loi Blanquer » ; et la « verticalité » l’emporte de façon inédite dans le primaire par la publication sans précédent de « recommandations pédagogiques » très fournies qui peuvent aller jusqu’à prendre la forme de « guides ». La note de service du 28 mai 2019 signée par le ministre et intitulée « l’école maternelle, école du langage » énumère et précise de façon très détaillée « les principaux points sur lesquels fonder une programmation des enseignements du langage ».

Imagine-t-on l’immense éclat de rire qui secouerait la sphère politico-médiatique si un ministre de l’Agriculture s’avisait de publier et signer un « Guide de l’enseignement des labours » ?

Pour que chacun, même le non-initié, puisse saisir en pleine connaissance de cause jusqu’où peut aller le « guidage » ministériel, on va se permettre de reproduire de larges extraits de ce qui a trait à « Guider l’apprentissage des gestes graphiques et de l’écriture » (c’est le titre) ; mais qui représentent un cinquième seulement du texte ministériel (car il est très long.…) sur ce seul point. « C’est dès la petite section que se construisent les positions et stratégies adaptées […] À ce niveau, c’est principalement la correspondance entre les lettres capitales et scriptes qui est abordée. En fin de moyenne section, les élèves doivent pouvoir faire correspondre visuellement la plupart des lettres de leur prénom, en capitale et en script, et pouvoir les nommer. En grande section, la connaissance de la correspondance entre capitale et script est systématiquement travaillée […]. La composante graphomotrice dans l’activité de l’élève débutant requiert une attention particulière. Elle doit être guidée, et s’effectuer en petits groupes sous le regard attentif du professeur. Il conçoit la séance d’apprentissage en proposant des tracés modélisants, qu’il effectue sous les yeux des élèves, en commentant son geste et en attirant l’attention des élèves sur les obstacles éventuels […]. L’entrée dans l’aspect représentatif se caractérise par la maîtrise des directions, des variations de trajectoires, des contournements de plus en plus complexes sollicitant les articulations du coude et du poignet et les muscles de l’index et du pouce ».

Imagine-t-on l’immense éclat de rire qui secouerait la sphère politico-médiatique si un ministre de l’Agriculture s’avisait de publier et signer un « Guide de l’enseignement des labours » de cette eau, ou bien un ministre de la Santé un « Guide de l’enseignement de l’auscultation » ? Il y a eu pourtant peu de rieurs. Par méconnaissance ou par indifférence ?

Il y a cependant fort à parier que la plupart des principaux intéressés (à savoir avant tout les maîtres du primaire) réagiront, eux, par un haussement d’épaule (et un certain agacement). La « verticalité » est sans doute davantage de l’ordre du phantasme (de toute puissance ?) que de l’ordre de l’effectivité. Et elle contraste fort avec l’intitulé de la « loi Blanquer » votée en juillet dernier : « Pour une école de la confiance ».

« Confiance », c’est vite dit ! D’abord parce que les principaux articles de la « loi Blanquer » n’ont été annoncés d’aucune façon dans le programme « scolaire » d’Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle de mai 2017. À cet égard, c’est donc bien une loi Blanquer. Ensuite parce que l’on peut se demander ce qu’il va se passer effectivement dès cette année scolaire 2019-2020. À commencer par l’article de la loi qui concerne l’instauration de l’obligation d’instruction dès l’âge de trois ans et qui est présenté par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer comme la principale disposition de sa loi.

En effet, le 7 avril dernier, le ministre de l’Éducation nationale a dûment déclaré qu’il allait « donner le sens » de la loi sur l’École de la confiance : « cette loi est profondément sociale […]. C’est d’abord évidemment le cas de la mesure la plus emblématique, celle qui porte la loi, c’est-à-dire l’abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire à trois ans […]. La visée principale, c’est de ramener 25000 élèves qui ne vont pas à l’école maternelle chaque année ».

On peut s’étonner à bon droit que « cette mesure-là plus emblématique et qui porte la loi » ne figurait d’aucune façon dans le programme d’Emmanuel Macron ; d’autant que le Chef de l’État actuel avait été le seul des cinq candidats les plus importants à n’envisager aucun abaissement de l’âge de l’instruction obligatoire lors de l’élection présidentielle. Marine Le Pen et François Fillon avaient en effet proposé d’avancer d’un an l’obligation d’instruction ; et Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon de trois ans.

Si la « visée principale de la loi est de ramener 25 000 élèves qui ne vont pas à l’école maternelle chaque année » (plus de 97% y vont déjà…), il s’agit pour l’essentiel de 3800 enfants qui seraient à scolariser à Mayotte et 3600 en Guyane (les autres relevant de l’enseignement spécialisé et environ 8000 étant en « jardins d’enfants » prorogés provisoirement pour une durée de trois ans).

Interpellé le 9 avril dernier par Antoine Karam (Guyane, LREM) sur la difficulté à mettre en œuvre l’obligation d’instruction à trois ans en Guyane et à Mayotte dès la rentrée 2019, Jean-Michel Blanquer a reconnu que « nous ne réussirons pas immédiatement à tout résorber pour la rentrée prochaine ». Selon lui, l’objectif d’atteindre un taux d’instruction de 100 % pour les enfants de trois ans « devra être accompli sur deux ou trois rentrées ».

À vrai dire, l’enjeu tel qu’il est déclaré s’avère en réalité remarquablement faible (d’autant plus que ce n’est pas le fait d’aller dans une école qui est rendu obligatoire par la loi, mais de recevoir « une instruction » …)

En réalité, le principal changement introduit par la loi en l’occurrence est l’obligation nouvelle pour les municipalités de financer les écoles maternelles de l’enseignement privé sous contrat (puisque désormais l’instruction obligatoire ne commence plus à six ans mais à trois ans).

Le ministre de l’Éducation nationale a décidé de limiter le concours financier de l’État aux collectivités locales s’engageant de façon nouvelle pour cela (en raison de la loi nouvellement votée). Il a été finalement suivi en majorité par les parlementaires. Mais les Républicains tentent de capitaliser politiquement à leur profit cette ouverture vers le privé sous contrat en exigeant que le concours de l’État aille aussi aux collectivités locales qui ont décidé de financer des écoles maternelles privées sous contrat avant l’établissement de la « loi Blanquer ».

Ils ont saisi début juillet le Conseil constitutionnel en arguant que l’article 17 de la loi « méconna[issait] le principe d’égalité en ce qu’elle régl[ait] de façon différente des situations identique ». Ils ont aussi estimé que « la liberté de l’enseignement et le principe d’égal accès à l’instruction étaient également méconnus ». Mais le 27 juillet dernier, le Conseil constitutionnel a jugé ces motifs irrecevables. Pour le Conseil, le principe d’égalité « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». À suivre…

Ce qui est à suivre aussi, c’est l’application effective de l’article 3 (et le sens qui lui sera donné, ici ou là, dans la mesure du possible…). D’autant plus que cela doit être mis en place partout dès la rentrée ! « L’emblème national de la République française, le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge, le drapeau européen, la devise de la République et les paroles de l’hymne national sont affichés dans chacune des salles de classe des établissements du premier et du second degrés, publics ou privés sous contrat ».

L’article 1 de la « loi Blanquer » a longtemps défrayé la chronique. Lui aussi n’était d’aucune façon annoncé dans le programme d’Emmanuel Macron. Et cela a été manifestement « la surprise du chef ».

À l’amendement présenté initialement par le député républicain Eric Ciotti avait été ajouté après concertation avec le ministre de l’Éducation nationale le « drapeau européen »; puis, lors du passage au Sénat « la devise de la République ». In fine, il ne s’agit plus que de leur « affichage » (qui épuise d’ailleurs sans doute tout le sens que cela pouvait et devait avoir : de « l’affichage »). Drapeau en berne ou drapeau au vent ? Là encore, c’est une mesure qui n’était annoncée d’aucune façon dans le programme du candidat à l’élection présidentielle Emmanuel Macron.

L’article 1 de la « loi Blanquer » a longtemps défrayé la chronique. Lui aussi n’était d’aucune façon annoncé dans le programme d’Emmanuel Macron. Et cela a été manifestement « la surprise du chef » (Blanquer). La rédaction initiale a été la suivante : « Par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels ».

On peut se demander ce que fait cette déclaration apparemment de « principe » (ou d’ordre « philosophique ») dans un projet de loi. Mais « l’étude d’impact » du projet de loi (un document obligatoire fourni par le ministère aux députés pour les éclairer) jette une lumière tout à fait particulière sur cet article.

Pour cet article 1, il est évoqué un arrêt du Conseil d’État du 18 juillet 2018 qui avait annulé la décision d’une Cour administrative d’appel qui était revenue sur une décision de révocation d’un enseignant. Le Conseil d’État avait argué de « l’exigence d’exemplarité et d’irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs, y compris en dehors du service » et de l’importance de l’atteinte portée « à la réputation du service public de l’éducation nationale ainsi qu’au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service ».

Et le texte de l’étude d’impact de la « loi Blanquer » poursuit : « Compte tenu de son importance, il serait déraisonnable de s’en tenir à une simple consécration jurisprudentielle. Les dispositions de la présente mesure pourront ainsi être invoquées, comme dans la décision du Conseil d’État du 18 juillet 2018 précédemment mentionnée, dans le cadre d’affaires disciplinaires concernant des personnels de l’éducation nationale s’étant rendus coupables de faits portant atteinte à la réputation du service public. Il en ira par exemple ainsi lorsque des personnels de la communauté éducative chercheront à dénigrer auprès du public par des propos gravement mensongers ou diffamatoires leurs collègues et de manière générale l’institution scolaire ».

L’article est mis en cause par des opposants politiques de la majorité présidentielle (surtout de gauche) et par la plupart des syndicats d’enseignants. Ils lui reprochent en particulier de menacer l’expression des enseignants, et beaucoup demandent son retrait pur et simple.

Mais le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer tient beaucoup à cet article placé en premier des 63 articles de sa loi (une place ô combien éminente et significative…). Il promet des modifications pour cet article qui prend la forme suivante lorsqu’il est adopté par l’Assemblée nationale en première lecture : « Dans le respect de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, par leur engagement et leur exemplarité, les personnels de la communauté éducative contribuent à l’établissement du lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique également le respect mutuel entre les membres de la communauté éducative, notamment le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels ».

Après le passage de la loi au Sénat, le texte final est « raccourci » et devient finalement: « L’engagement et l’exemplarité des personnels de l’éducation nationale confortent leur autorité dans la classe et l’établissement et contribuent au lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public de l’éducation. Ce lien implique le respect des élèves et de leur famille à l’égard des professeurs, de l’ensemble des personnels et de l’institution scolaire. »

L ’épopée grandiloquente (allant jusqu’à la « sacralisation ») du baccalauréat est-elle vraiment encore de saison ? On peut en douter. Redescendons sur terre !

Cet article pourrait connaître son « baptême du feu » dès cette rentrée scolaire, notamment à propos des sanctions auxquelles peuvent s’attendre ceux qui ont participé aux grèves des examens et autres rétentions de notes lors de la dernière session du baccalauréat. Le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer n’a pas hésité à affirmer le 7 juillet dernier sur TF1 que « c’est un sacrilège d’abîmer le baccalauréat, un des plus beaux rendez-vous républicains ».

On remarquera pourtant que la condamnation par « l’opinion publique » (certes toujours nettement majoritaire) de perturbations du baccalauréat tend à s’effriter. En 2003, en pleines grèves à répétition dans l’Éducation nationale qui pouvaient perdurer jusqu’au baccalauréat, 88% des Français sondés fin mai 2003 par l’Institut CSA avaient répondu être d’accord avec l’assertion suivante: « l’exercice du droit de grève ne doit pas empêcher les élèves de passer leurs examens » . Et il n’y eut finalement pas alors de perturbations du baccalauréat.

Il n’en a pas été de même en 2019 avec des passages à l’acte (certes tout à fait minoritaires mais effectifs). L’opposition à ce type d’actions s’est nettement effritée si l’on en juge par le sondage effectué à la demande de « France Info » et du « Figaro » publié le 11 juillet dernier : 69% des Français interrogés estiment que les grévistes ont eu tort et 61 % approuvent qu’il puisse y avoir des sanctions. Il y a donc une majorité nette opposée aux perturbations du baccalauréat par des « grévistes » (de l’ordre des deux tiers), mais elle est aussi nettement moins compacte qu’il y a une quinzaine d’années (88% alors). Les « compréhensifs » ont presque triplé alors qu’il y a eu passage à l’acte accompagné de dramatisations.

L ’épopée grandiloquente (allant jusqu’à la « sacralisation ») du baccalauréat est-elle vraiment encore de saison ? On peut en douter. Redescendons sur terre ! Mais est-ce possible pour le « Guide suprême » Jean-Michel Blanquer qui est susceptible de voir là une sorte de crime de lèse-majesté ternissant son autorité et son image dans la sphère politico-médiatique ?


Claude Lelièvre

Historien, Professeur honoraire d’histoire de l’éducation à la Faculté des Sciences humaines et sociales, Sorbonne - Paris V

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