Littérature

L’héritage des espions – sur Le masque de Dimitrios d’Eric Ambler

Écrivain

Admiré de Graham Greene et d’Alfred Hitchcock, présenté par John le Carré comme « notre maître à tous », l’écrivain britannique Eric Ambler (1909-1998) n’avait pas complètement disparu des bibliothèques, mais il faut bien avouer qu’on ne pensait plus trop à lui. Les Éditions de l’Olivier ont donc la très bonne idée de le faire redécouvrir, en publiant dans une traduction révisée une série de romans formidables, à commencer par le cultissime Masque de Dimitrios (1939).

Il va être question d’Eric Ambler, c’est entendu, mais redisons d’abord ceci : tout part de John le Carré. L’occasion, et le plaisir, nous ont déjà été donnés de dire dans les colonnes d’AOC l’importance du romancier britannique, décédé en 2020 – à l’occasion par exemple de la publication en français de ses deux derniers romans (L’héritage des espions en 2018Retour de service en 2020), puis d’un inédit posthume (L’Espion qui aimait les livres en 2023) – et du fait qu’une telle importance ne tient pas seulement à sa place dans l’histoire de la littérature, ou plus spécifiquement de la littérature d’espionnage : elle est liée aussi à une sorte d’effet générationnel, si l’on peut oser pareille interprétation, un peu personnelle.

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En effet, quand on est né au XXe siècle et qu’on a grandi alors qu’existait encore l’Union soviétique (on lisait sur la page de garde des romans qu’on aimait cette formule un peu énigmatique, aujourd’hui totalement désuète : « droits réservés pour tous les pays, y compris l’U.R.S.S. »), on entretient peut-être une sorte de lien d’enfance avec les secrets du monde, l’idée de « rideau de fer » ou de « bloc communiste »… et l’espionnage en général.

On a lu La Taupe à 11 ans, disions-nous, sans être sûr d’y comprendre vraiment quelque chose, mais avec l’excitation et l’assurance qu’il existe quelque part un sens caché, une vérité secrète, un code inconnu que le temps devrait nous permettre de décrypter (car le temps est long, à la proue de l’enfance…). C’est pour cette raison aussi que nous a fasciné, au même âge, Le Prisonnier, la série culte de Patrick McGoohan, avec sa fameuse ouverture dans Londres en musique et Lotus Seven (pourquoi le héros a-t-il démissionné des Service secrets ? quels sont les « renseignements » sur lesquels on lui demande sans cesse des comptes ?).

La vie nous apprendra bien assez tôt que le sens que l’on cherchait peut se retourner comme un gant, vide de la main de Dieu : les camps sont réversibles, les agents


Fabrice Gabriel

Écrivain, Critique littéraire

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