Savoirs

Les sciences sociales sont-elles scientifiques ?

Ethnologue et anthropologue

Dans le « Manifeste pour la science sociale » de Bernard Lahire publié en septembre dernier dans AOC, Charles Macdonald remarque une perspective nouvelle qui a été peu relevée dans les réponses proposées dans nos colonnes par Jean-Louis Fabiani et Jean-Pierre Olivier de Sardan : pour élucider les lois et et les principes fondamentaux de notre vie collective, nous devons plonger dans un au-delà de la pensée consciente et chercher dans les origines de l’espèce, de sorte que l’on peut voir les sciences sociales comme un champ particulier de la biologie.

Les sciences humaines et sociales (disons ici « sciences humaines » ou SHS) sont-elles des sciences ? Si oui, de quelle sorte ? Peuvent-elles énoncer des lois ? À quelles conditions ? Bernard Lahire [1] a eu le mérite de se poser ces questions et de relancer une discussion plus que jamais nécessaire. Malgré l’absence de cumulativité théorique, l’éparpillement et la pluralité théorique de ces disciplines, Lahire pense qu’il leur est possible d’énoncer des principes généraux, des invariants, des constantes, des régularités et des fondamentaux qui traduisent des propriétés objectives du réel.

Dans leurs commentaires à ce texte et dans de nombreuses et pertinentes remarques, Jean-Louis Fabiani [2] et Jean-Pierre Olivier de Sardan [3] opposent à ce retour optimiste du positivisme l’empirisme irréductible de savoirs qui ne peuvent jamais espérer être nomothétiques, mais qui peuvent revendiquer la rigueur de la description, un comparatisme modéré et l’énoncé d’hypothèses seulement plausibles. C’est déjà pas mal. Une chose est certaine, les sciences sociales ne sont pas expérimentales. Ce sont des sciences d’observation, pas très différentes de ce que pouvaient être la zoologie ou la botanique à leurs débuts.

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Bernard Lahire pose cependant deux constats qui me semblent entièrement justes. D’abord que les sciences humaines et/ou sociales (notamment la sociologie, l’ethnologie, l’histoire, la préhistoire, les sciences économiques et politiques, la démographie, la géographie humaine) sont en fait une seule et même science et que les parois disciplinaires qui les séparent sont strictement des artefacts institutionnels non scientifiques et des traditions disciplinaires arbitrairement séparées. Ensuite, que si l’on veut trouver un cadre général d’explication, il faut se donner pour objet l’ensemble des sociétés humaines, prémodernes et modernes, ainsi que le proposait à juste titre Alain Testart, cité par Lahire.

Mais surtout, Bernard Lahire fait intervenir une troisième


[1] « Manifeste pour la science sociale », AOC, 2 sept. 2021.

[2] « Une science sociale ? En réponse amicale à Bernard Lahire », AOC, 9 sept. 2021.

[3] « Du régime scientifique des sciences sociales », AOC, 24 sept. 2021.

[4] Bernard Chapais Primeval Kinship ,Harvard University Press, Cambridge & London, 2008.

[5] Robin Fox, The Red Lamp of Incest University of Notre Dame Press, Notre Dame, 1980 ; The Search for Society, Rutgers University Press, New Brunswick  & London, 1989.

[6] T. Ingold & G. Palsson, Biosiocal Becomings, Cambridge University Press, Cambridge 2013, p. 9.

[7] Thierry Lodé, Histoire Naturelle du Plaisir Amoureux, Odile Jacob, Paris, 2021.

[8] Charles Macdonald, L’ordre contre l’Harmonie, Éditions Petra, Paris, 2018.

[9] Charles Macdonald, « Structures des groupes humains. Vers une axiomatique ». L’Homme 2016/1 N° 217 p. 7-20.

[10] Alan Page Fiske, Structures of Social Life.  The Free Press Macmillan, New York, 1991.

Charles Macdonald

Ethnologue et anthropologue, Directeur de recherche honoraire au CNRS

Notes

[1] « Manifeste pour la science sociale », AOC, 2 sept. 2021.

[2] « Une science sociale ? En réponse amicale à Bernard Lahire », AOC, 9 sept. 2021.

[3] « Du régime scientifique des sciences sociales », AOC, 24 sept. 2021.

[4] Bernard Chapais Primeval Kinship ,Harvard University Press, Cambridge & London, 2008.

[5] Robin Fox, The Red Lamp of Incest University of Notre Dame Press, Notre Dame, 1980 ; The Search for Society, Rutgers University Press, New Brunswick  & London, 1989.

[6] T. Ingold & G. Palsson, Biosiocal Becomings, Cambridge University Press, Cambridge 2013, p. 9.

[7] Thierry Lodé, Histoire Naturelle du Plaisir Amoureux, Odile Jacob, Paris, 2021.

[8] Charles Macdonald, L’ordre contre l’Harmonie, Éditions Petra, Paris, 2018.

[9] Charles Macdonald, « Structures des groupes humains. Vers une axiomatique ». L’Homme 2016/1 N° 217 p. 7-20.

[10] Alan Page Fiske, Structures of Social Life.  The Free Press Macmillan, New York, 1991.